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Transports - Transport fluvial : comment mieux suivre le courant ?

A quand une phase plus offensive de la gestion de la voie d'eau française ? Le 22 juillet, les sénateurs Francis Grignon (UMP Bas-Rhin) et Yves Rome (Oise) ont rendu public un rapport sur le potentiel et les handicaps du réseau fluvial français. Si ce repport se concentre sur l'évolution du statut et du rôle de Voies Navigables de France (VNF), l'engagement des collectivités aux côtés de l'établissement fait aussi l'objet de propositions concrètes.

Petites rivières deviendront fleuves. Un rapport d'information réalisé au nom de la commission du développement durable par les sénateurs Francis Grignon (UMP) et Yves Rome (PS) élargit le lit de son propos initial – vérifier l'application de la loi faisant évoluer le statut de VNF d'établissement public industriel et commercial (Epic) à établissement public administratif (EPA) – pour s'attarder plus globalement sur l'avenir de la voie d'eau. En repartant d'un constat connu : la France possède de loin le plus long réseau d'Europe mais accuse un retard de développement certain, "qui peut sembler paradoxal au vu du potentiel fluvial du pays". La faute à l'infrastructure ? En partie car la majorité du domaine public fluvial français n'est en fait pas navigable, a fortiori par de gros convois. Mauvais état du réseau (qu'une série de chantiers de rénovation toujours en cours peinent à pallier), prédominance en son sein du petit gabarit sur le grand, "maillage imparfait tant entre bassins qu'avec les ports maritimes", abandon du réseau Freycinet, dont la contribution aux transports urbains mériterait selon les sénateurs d'être explorée au travers d'une mission dédiée…

Un réseau sans travailleurs ?

Ce titre volontairement provocateur est repris d'un chapitre tiré d'un ouvrage fort intéressant à lire en complément de ce rapport ("Les métropoles fluviales", 24 euros, éditions L'oeil d'or). Il fait référence aux métiers d'éclusiers et de barragistes, totalement méconnus alors qu'ils sont près d'un millier en France. Côté flotte, les entreprises artisanales constituent le gros de la batellerie. Elles sont confrontées à des difficultés elles-mêmes peu connues, évoluent dans un milieu contraignant, que cet ouvrage tout comme ce rapport s'attache à décrire.
Un problème de stationnement fluvial, et plus largement de place laissée dans les villes aux populations navigantes, itinérantes "et aux espaces en marge qu'ils pratiquent", y est pointé comme crucial. Il fait l'objet de frictions croissantes entre la profession et les collectivités locales. Côté rapport, les sénateurs ajoutent qu'il y a urgence à ce qu'émerge une communauté soudée des personnels de la voie d'eau (clivage actuel entre salariés privés et agents de droit public), mais aussi à "améliorer la police de la navigation intérieure", assurée par VNF mais apparemment "sans le discernement souhaitable". Ils demandent aussi, en termes de liaisons entre voies navigables et ports maritimes (projets au Havre et à Marseille), que ce "continuum fluvio-maritime" devienne une "priorité".

Un établissement sans domaine

Les rapporteurs déplorent l'autonomie "fictive" de VNF. Ils rappellent que l'établissement n'a pas la propriété du domaine fluvial dont la gestion lui est confiée, en partie d'ailleurs, puisque l'Etat a conservé la gestion directe de 700 km de cours d'eau et les collectivités en gèrent un millier. Sa liberté de gestion est aussi contrainte du fait d'un nombre "foisonnant" de tutelles (ministre chargé des Transports, ministères financiers) s'imposant à lui et cette situation est renforcée de par sa "dépendance envers des arbitrages budgétaires". En clair, son autonomie "se révèle d'emblée si corsetée que sa nature d'établissement public, sans être entièrement dénuée d'effets (…) engendre une certaine perplexité".
Du fait du niveau de cofinancements perçus par VNF (41 millions d'euros en 2014) et de la part d'investissements contractualisés avec les régions, ils estiment par ailleurs "souhaitable que les collectivités soient systématiquement impliquées dans ses orientations stratégiques". "Car elles sont bien des partenaires essentiels et consacrent au transport fluvial d'importants efforts, et ce alors même que la politique publique dont il relève est principalement une politique nationale", éclaire Yves Rome, qui préside par ailleurs le conseil général de l'Oise. Le plan d'investissement de VNF, lui, reste à sécuriser. Les sénateurs ont en effet constaté que l'établissement, "trop souvent tributaire d'options qui lui échappent, situation qui n'est que l'une des illustrations de la vulnérabilité, notamment financière, de l'établissement", mène son programme d'investissements en eaux troubles. Et qu'il est très difficile "d'apprécier les besoins réels de l'établissement et d'indiquer l'ampleur des investissements à venir". Afin de délibérer de manière plus ouverte des grandes orientations de la politique fluviale du pays, le rapport suggère de créer un Conseil national du transport fluvial, qui réunirait l'ensemble des parties prenantes, en particulier les collectivités.

Le Canal Seine-Nord, un signal à ne pas rater

Le rapport revient aussi sur le destin du canal, toujours pas scellé, et qui se solderait en cas d'abandon par "des pertes sèches sur les dépenses engagées", soit 258 millions d'euros dépensés par VNF. Le sénateur Yves Rome estime nécessaire qu'"il soit enfin lancé", malgré les péripéties du projet et l'inflation de ses coûts prévisionnels. Il ajoute : "S'il y a un consensus dans les collectivités pour qu'il se fasse, c'est qu'elles ont conscience qu'il ouvrira de formidables perspectives, tout en réveillant la dynamique et commande de travaux publics. Les opportunités budgétaires européennes doivent être saisies : il faut que l’Etat donne un signal clair !"