Trafics de stupéfiants : la Cour des comptes pointe le risque de corruption des agents

Après les annonces récentes du gouvernement dans la lutte contre les narco-trafics, la Cour des comptes appelle à "les formaliser et à les hiérarchiser afin de définir une stratégie claire et coordonnée". Peu amène avec l'ancien gouvernement, elle dénonce l'abandon du suivi du précédent plan à partir de 2022. Parmi les sujets d'inquiétude de la Cour figurent les tentatives de corruption des agents publics et privés.

Plus qu'un réquisitoire, c'est un nouvel avertissement sur l'ampleur que prend le trafic de stupéfiants en France, territoire privilégié "tant au regard du marché qu’il représente que par sa situation géographique favorable pour l’entrée et le transit des produits". Dans un rapport sur "L’Ofast et les forces de sécurité intérieure affectées à la lutte contre les trafics de stupéfiants" publié le 27 novembre, la Cour des comptes appelle à un nouveau plan de lutte et un pilotage stratégique "du même niveau que celui mis en œuvre au cours des dernières années en matière de lutte anti-terroriste". Le 8 novembre à Marseille, le ministre de l'Intérieur et le garde des Sceaux, Bruno Retailleau et Didier Migaud (ex-président de la Cour des comptes) avaient égrené les mesures "immédiates" et législatives qu'ils souhaitent mettre en œuvre (voir notre article du 8 novembre). Ils comptent s'appuyer sur la proposition de loi d'Étienne Blanc et Jérôme Durain issue de leur rapport d'enquête. Texte qui sera examiné par la Haute Assemblée fin janvier. Mais pour la Cour des comptes, si "des annonces importantes ont été faites", il importe désormais de "les formaliser et de les hiérarchiser afin de définir une stratégie claire et coordonnée".

Corruption

Parmi les mesures annoncées par le nouveau gouvernement, la Cour des comptes se félicite de "la volonté de sécuriser massivement les enceintes portuaires, dont la porosité actuelle constitue une faiblesse majeure". Mais elle "doit être rapidement mise en œuvre", appelle-t-elle de ses voeux. 

Autre sujet d'inquiétude : la corruption des agents publics et privés. Cette corruption se focalise sur les dockers, les magistrats, les forces de sécurité, les fonctionnaires des institutions judiciaires, pénitentiaires et des administrations "pouvant influer sur le sort des trafiquants". Mais aussi les "agents municipaux, contrôlant les territoires". Ces derniers peuvent être "mis à contribution pour permettre l’accès à des équipements communaux (véhicules, box, locaux) servant au transport et au stockage de produits stupéfiants". "L’achat de décisionnaires municipaux et la pénétration au sein des sphères politiques nationales" avait été pointé comme un "risque majeur" par un responsable judiciaire dans le cadre de la commission d'enquête sénatoriale, rappelle la Cour. "Cette opinion est partagée par d’autres services spécialisés", poursuit-elle, même si "à ce jour, les services répressifs ne disposent pas de données permettant d’objectiver une augmentation des faits de corruption d’élus ou de candidats à une élection en lien avec le trafic de stupéfiants".

Le rapport appelle aussi à améliorer la détection de nouvelles modalités de trafic, notamment sur les réseaux sociaux utilisés pour les livraisons à domicile.

Manque d'enquêteurs au sein de l'Ofast

Les magistrats dressent un constat critique de la politique de ces dernières années. La création de l’Ofast et le plan national de lutte contre les stupéfiants 2020-2024 "s’inscrivent dans une montée en puissance de ce sujet au niveau interministériel", saluent-ils. Seulement, leurs résultats s'avèrent "peu pérennes". Pire, le bilan de ce plan apparaît d'autant plus mitigé que "son suivi à haut niveau a été interrompu à l’été 2022", par le changement de Premier ministre, Elisabeth Borne ayant alors succédé à Jean Castex. Quant au "harcèlement des points de deal", priorité de l'ancien ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin, il s'est traduit par une chute de 25% du nombre des points en deux ans, avec "des effets immédiats dans les grandes métropoles", mais les effets s'estompent à présent car le "pilonnage" est difficile à maintenir dans la durée.

S'agissant de l'Ofast (Office anti-stupéfiants), structure créée en remplacement en 2020 de l'Octris, pour mieux coordonner la lutte contre les trafics de stupéfiants et apporter une "approche globale", son bilan est mitigé. Ses effectifs ont doublé en trois ans, passant de 318 à 678 agents, pour un budget porté de 36 à 55 millions d'euros. Mais il manque encore d'un véritable "pilotage opérationnel" : "une frontière subsiste entre les informations de terrain échangées par les Cross (les cellules de renseignement opérationnel sur les stupéfiants 'présentes dans chaque département', ndlr) et le réseau Ofast d’une part, et l’Ofast central d’autre part, dont le travail se concentre sur les seules enquêtes à portée internationale", pointe la rue Cambon. De plus, l'office pâtit de sérieuses carences : il ne possède que 7 enquêteurs formés à la lutte anti-blanchiment et une vingtaine d'agents formés à la cybercriminalité, deux sujets pourtant prioritaires.

Des critiques qui sont dans le viseur du nouveau gouvernement. Le 8 novembre, à Marseille, Bruno Retailleau a en effet annoncé le renforcement des moyens de l’office et de ses 15 antennes régionales, mais aussi de la filière d’investigation : plus d'enquêteurs et réalisation d’enquêtes "à 360°".