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Aménagement - Société du Grand Paris, le projet qui sème la discorde

En voulant créer une Société du Grand Paris, détenue majoritairement par l'Etat, le gouvernement se met à dos une bonne partie des élus de la région qui dénoncent un coup de force sur les transports et l'urbanisme.

Le bureau du syndicat mixte d'études Paris Métropole doit se réunir mardi 8 septembre pour arrêter une position commune sur l'avant-projet de loi du Grand Paris et faire part de son "appréhension", selon les mots de son président Jean-Yves Le Bouillonnec. Un texte très controversé en effet : Christian Blanc, le secrétaire d'Etat au développement de la région capitale, qui en est déjà à sa troisième mouture, ne parvient pas à calmer les esprits. En témoignent les échos de ses dernières consultations avec les présidents de conseils généraux. Si la rencontre avec Patrick Devedjian, jeudi 3 septembre, a été "très positive et très constructive", indique-t-on au conseil général des Hauts-de-Seine, ailleurs, l'accueil est nettement plus réservé. "Il n'est pas possible de tirer un trait sur vingt-cinq années de décentralisation", a ainsi déclaré le président du conseil général de l'Essonne, Michel Berson, le 2 septembre, emboîtant le pas à son homologue du Val-de-Marne, Christian Favier, dénonçant quelques jours plus tôt "une attaque d'envergure contre la décentralisation". La date de présentation en Conseil des ministres annoncée pour septembre pourrait être reportée à octobre.

 

Un droit d'entrée à 200 millions d'euros

Que contient-il de si inquiétant ce projet, alors que la présentation du Grand Paris par le chef de l'Etat, le 29 avril dernier, avait suscité un enthousiasme général ? Hormis un chapitre consacré au développement du pôle scientifique et technologique du plateau de Saclay, il vise surtout à lancer le grand réseau de transports, le fameux "grand huit", de 140 km autour de Paris. Ce projet phare évalué au bas mot à une vingtaine de milliards d'euros doit permettre de tirer le développement de la banlieue. Pour mener à bien ce chantier, le projet prévoit la création d'une "Société du Grand Paris" (article 7), indépendante de l'actuel Syndicat des transports d'Ile-de-France (Stif) qui porte le projet de la région Ile-de-France "Arc Express" sur le point de démarrer. Sur le papier, les deux projets se veulent complémentaires mais le passage à la pratique va rapidement poser problème. Le conseil de surveillance de la Société du Grand Paris sera composé de représentants de l'Etat, des collectivités territoriales et de personnalités qualifiées. Or, l'Etat sera majoritaire. Quant aux collectivités, elles seront représentées "au regard de leur contribution". "Selon les hypothèses de travail, cela représenterait un droit d'entrée de 200 millions d'euros pour les collectivités. Qui pourrait se le payer ?, se demande Antonio Duarte, le président de l'Association Grand Paris. Soumettre, la représentation des collectivités à une condition de financement, c'est du jamais vu."
Autre point de friction : la création de "zones d'aménagement différé" autour de la cinquantaine de gares concernées (dont une trentaine de nouvelles). Au sein de ces zones, la Société du Grand Paris aura un droit de préemption. Elle pourra ainsi "acquérir, au besoin par voie d'expropriation, les biens de toute nature, immobiliers et mobiliers, nécessaires à la création et à l'exploitation des projets d'infrastructures" (article 7). Le texte indique que "les décrets d'utilité publique emportent approbation des nouvelles dispositions du schéma directeur de la région d'Ile-de-France (Sdrif), des schémas de cohérence territoriale, des schémas de secteur et des plans locaux d'urbanisme". Autrement dit, le Grand Paris prime sur tous les autres documents d'urbanisme et la société pourra imposer ses choix aux élus. Seule concession, le rayon de ces zones d'aménagement initialement fixé à 3 km, puis à 1,5, a finalement disparu de la dernière mouture. Ce qui n'écarte pas le risque pour les petites communes d'être totalement couvertes et de perdre ainsi leurs compétences d'urbanisme. "Il aurait été beaucoup plus simple que dans les plans locaux d'urbanismes, les maires intègrent les exigences du Grand Paris", estime Jean-Yves Le Bouillonnec, également maire de Cachan. "Ce passage en force querelle de façon inacceptable les compétences du Stif, celle des maires et des agglomérations", ajoute-t-il. Autre idée du l'Association Grand Paris : laisser le soin aux collectivités d'élaborer des Scot dans un rayon de cinq kilomètres autour des gares mais avec un droit de regard ou de blocage de l'Etat. L'exemple des discussions interminables autour du Sdrif montrent toutefois les limites de l'exercice.

 

"Une décision mise en œuvre du haut vers le bas"

Enfin, le projet ne lève pas le flou sur la participation de l'Etat. Dans un rapport d'étape remis à Matignon début août, la commission Carrez chargée de proposer des pistes de financement avait suggéré une synthèse entre le plan de financement d'Arc Express de la région et du Stif, d'autre part, le schéma de transports porté par Christian Blanc. A quelques jours de la remise du rapport final, l'affaire se présente mal : deux parlementaires communistes, le député du Val-de-Marne, Pierre Gosnat, et le sénateur de Seine-et-Marne, Michel Billout, ont claqué la porte de la commission, la semaine dernière. Dans un communiqué, ils expliquent que la création de la Société de Grand Paris, "va à l'encontre des conclusions du rapport d'étape de la commission". "Il serait incongru que l'Etat organise la prise en main des projets sans à aucun moment y participer", estime encore Jean-Yves Le Bouillonnec.

Derrière cette reprise en main de l'Etat, se pose la question de la gouvernance, problème majeur de la métropole parisienne qui regroupe, pour le coeur de l'agglomération, quelque deux cents villes, quatre conseils généraux et treize intercommunalités. A échelle équivalente, le Grand Londres ne compte que deux cités et trente et un districts… Lors de son discours à la Cité de l'architecture, fin avril, Nicolas Sarkozy avait appelé de ses vœux "une Agora du Grand Paris", réunissant les maires et les élus de la région, saluant au passage la création de Paris Métropole. Mais pour Jean-Yves Le Bouillonnec, "on est entrés dans ce que le président de la République ne voulait pas, c'est-à-dire une décision mise en œuvre du haut vers le bas". Selon lui, la concertation autour du projet de loi, "a montré les limites des discussions bilatérales". "La force de Paris Métropole était de faire travailler ensemble des élus qui ont des stratégies  et des problèmes souvent différents, pour apporter une cohérence d'ensemble : après plusieurs mois de rencontres, le gouvernement fait l'unanimité contre lui", constate-t-il. 

 Michel Tendil