Environnement - Sites pollués : les collectivités défrichent le terrain
A Nîmes, une ancienne usine à gaz reconvertie en pôle d'échanges. Et à Mantes-la-Ville (Yvelines), une autre devenant un centre commercial. Dans le Maine-et-Loire, une plateforme industrielle transformée en parc solaire. Et à Lorient, d'anciens laminoirs revalorisés en un quartier mixte et port urbain (ZAC des Forges). Même si en France, le nombre de friches industrielles est difficile à cerner – l'Ademe promet de s'y atteler, de préciser le potentiel des 100.000 hectares souvent évoqués et une étude du cabinet Quelleville sur le gisement foncier urbain potentiellement pollué est attendue à la rentrée - au niveau local, les projets pullulent et les chiffres pleuvent. En vingt ans, l'Ademe intervenant en qualité de maître d'ouvrage a injecté 300 millions de travaux dans la dépollution et la reconversion de près de 400 friches ou sites orphelins.
"La métropole lilloise en recense près de 160, soit 400 hectares de friches. La ZAC de l'Union est un projet phare (80 hectares) mais la dynamique touche aussi des sites comme la Lainière de Roubaix, la friche des Grands Moulins de Paris à Marquette-lez-Lille. Situées au cœur des villes, souvent au bord des canaux, elles sont un formidable atout à exploiter, à condition de poser un cadre méthodologique clair et adapté à leur requalification, ce à quoi s'évertue la métropole depuis plusieurs années, avec la constitution d'une mission qui a remis dès 2010 un rapport sur le sujet et aujourd'hui des outils innovants", explique Ludovic Demeyer, chargé de mission risques et friches à Lille Métropole, qui vient de se doter d'un système d'information géographique (SIG) dédié aux friches, aussi convaincant que pratique à utiliser. "Donc les outils s'améliorent, les métiers de la dépollution montent en gamme, les collectivités intègrent mieux l'enjeu dans leurs documents d'urbanisme en s'appuyant sur des atlas ou inventaires. Et le gisement est énorme", motive José Caire, directeur Villes et Territoires durables à l'Ademe.
Des freins encore nombreux
Intégrer les contraintes pollution dès l'amont des projets de renouvellement urbain, en réalisant pour commencer un inventaire historique des anciens sites industriels avant de "pré-dimensionner techniquement et économiquement ces reconversions et de préparer le volet social" : c'est ce que fait sur son territoire, pour ne citer qu'un exemple, la communauté d'agglomération de la région nazairienne et de l'estuaire (Carene, Loire-Atlantique). "Les collectivités à fort passé industriel ont pris les devants mais ailleurs, si on prend pour échantillon d'étude des Scot et PLU, on s'aperçoit qu'au moins la moitié d'entre eux ne dit rien des sites pollués. A croire que les collectivités ne considèrent pas ou peu ce risque dans leur processus décisionnel", tempère Michel MacCabe du cabinet Ernst & Young, missionné par l'Ademe sur le sujet.
Tout est possible. Du moins en théorie... "Car les freins à lever sont encore nombreux", prévient José Caire. "Sans reconquête des centres-ville, si rien n'est fait pour que la densité reprenne et réveille le marché, une friche même bien située reste en l'état et l'étalement urbain perdure", constate Julien Langé, urbaniste à l'Atelier act urba, qui a planché sur le PLU de Vendôme, dans le Loir-et-Cher. Les collectivités butent aussi sur le manque de moyens. Le Grand Amiénois (Somme) a sondé le potentiel de ses friches d'activités, en en ciblant treize et en activant le dialogue entre élus, propriétaires, investisseurs potentiels. "Au-delà de cet inventaire, il faut un tableau de bord alimenté en continu. Ce qui pose la question des forces vives mobilisables en interne. Améliorer l'offre pour réveiller la demande est néanmoins possible en menant une reconversion de la friche par palier, avec des aménagements légers, provisoires, préparant à terme sa reconquête définitive", suggère Nicolas Delbouille à l'Agence de développement et d'urbanisme du Grand Amiénois. Exemples d'usages provisoires : centres artistiques, plates-formes logistiques, agriculture urbaine (hors sol)... A Dreux, cette logique a conduit à créer un jardin public sur le site d'une ancienne fonderie, pour un coût de 3 millions d'euros, dont 40% consacrés à l'acquisition, démolition et dépollution. L'usage transitoire le plus consensuel reste le parc urbain. "Laisser la végétation reconquérir les friches urbaines est aussi un choix urbanistique", défend Viriginie Anquetil, doctorante en aménagement auprès d'un institut de recherche nantais.
Maître-mot : anticiper les contraintes de dépollution
Quant à l'obstacle souvent avancé du coût de dépollution, il mérite d'être nuancé selon Claire Delalande, du service friches urbaines et sites pollués de l'Ademe : "Ce coût ne pèse que marginalement par rapport aux coûts de construction et aménagement. Il est souvent surévalué, mal appréhendé". Un exemple qui donnera tout de même un ordre de grandeur aux petites communes : à Crouy (2.700 habitants, Aisne), la dépollution d'une aire de stockage de métaux résorbée au travers d'une opération de construction de 45 logements sociaux coûte 1,2 million d'euros. Outre la dépollution des sols et des eaux, reconvertir une friche implique de gérer des matériaux qu'il vaut mieux réutiliser au maximum sur site, pour des raisons environnementales et économiques. Sur des opérations conséquentes, de type ZAC, des plateformes de tri des terres sur le site ont leur pertinence. Pour ériger la ZAC des Forges, le maintien sur site des déblais faiblement pollués va ainsi réduire la facture. Mais un chiffre résume la complexité de ces projets d'aménagements, impactés à divers stades par les aléas de gestion de la pollution : pour cette ZAC de 10 hectares portée par une petite ville du Morbihan, Inzinzac-Lochrist (6.200 habitants), au sein de laquelle une équipe - d'élus et de responsables - dédiée suit le projet, avec l'appui jugé "indispensable" d'un bureau d'études environnement, pas moins de neuf scénarios de gestion ont au fil du temps remodelé lourdement le projet. La quête de rentabilité produit aussi l'inverse : vu le volume en jeu (70.000 m3), les terres du chantier de la ZAC Landy-Pleyel à Saint-Denis (93) ont été évacuées par voie fluviale aux Pays-Bas pour y être traitées thermiquement.
Morgan Boëdec / Victoires-Editions
La loi Alur : un effet accélérateur ?
Le recyclage des friches industrielles est au cœur de l'article 173 de la loi Alur fraîchement promulguée. Elle prescrit la création "de secteurs d'information sur les sols". Conséquence ? "La maîtrise de l'enjeu va s'améliorer, estime Aurélien Louis, chef du bureau du sol et du sous-sol au ministère de l'Ecologie. Cette prescription s'appuiera sur les bases de données existantes Basias (inventaires historiques régionaux des sites industriels et activités de service) et Basol (sites et sols pollués appelant une action des pouvoirs publics). Elle implique aussi des études à mener et à annexer aux documents d'urbanisme, l'obligation d'informer l'acquéreur/locataire et un passage oblige par des bureaux d'étude certifiés. "Une petite révolution pour l'administration !", commente-il. La "relative souplesse" apportée à l'obligation de réhabilitation par le dernier exploitant devrait aussi débloquer les chantiers où un "tiers aménageur" peut se substituer à l'ancien exploitant pour réhabiliter le site. "L'ensemble orientera les PLU vers des stratégies de reconquête des friches", espère-t-il.
M.B.