Sécurité, prévention : huit associations d'élus se regroupent pour dialoguer avec l'État
Huit associations nationales d'élus ont décidé de se regrouper en collectif pour porter la voix des élus sur les sujets de sécurité face à un État un peu trop sourd à leurs revendications. Elles demandent à rencontrer le ministre de l'Intérieur.
C'est peu dire que les relations entre le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, et la "troisième force de sécurité" que constituent les quelque 25.500 policiers municipaux n'ont jamais été au beau fixe (voir notre article du 21 juillet 2023). Après l'amère déception du "Beauvau de la sécurité", tout en se gardant de personnaliser leur démarche, huit associations nationales d'élus* ont décidé de se regrouper dans un "collectif inter associations d’élus pour la sécurité et la prévention" (CIAESP) pour que "la voix des élus locaux soit mieux prise en compte par l’État et les parlementaires sur la sécurité, la prévention de la délinquance". Et pour réclamer davantage de concertation dans la mise en œuvre des politiques de sécurité, à commencer par la stratégie nationale de prévention de la délinquance actuellement préparée sous l'égide du secrétariat général du comité interministériel de prévention de la délinquance (CIPDR) ou la répartition des crédits du fonds interministériel de prévention de la délinquance (FIPD). "On a besoin d'avoir un dialogue et de pouvoir pousser des sujets, si on ne travaille pas en commun, c'est beaucoup de perte d'efficacité", a fait valoir Frédérique Macarez, maire de Saint-Quentin (Aisne), vice-présidente de Villes de France, mercredi 18 octobre, lors de la présentation de ce collectif dans les locaux de l'Association des maires de France, à Paris. "Ce n'est pas uniquement quand ça va mal qu'il faut nous inviter", a abondé David Marti, maire du Creusot et co-président de la commission sécurité et prévention de France urbaine.
"Les associations n'ont pas le sentiment d'avoir été écoutées"
Cette démarche s'est vue rattrapée par l'actualité brûlante : l'assassinat du professeur de lettres Dominique Bernard à Arras et le contexte israélo-palestinien ravivant la menace terroriste. "Au-delà de cette situation, nous vivons une période plus que trouble, après les émeutes, les événements extérieurs… Tout cela a un impact important sur la tranquillité publique", a expliqué Jean-Paul Jeandon, maire de Cergy Pontoise, co-président de la commission sécurité et prévention de la délinquance de l'AMF. Dans le cadre du Beauvau de la sécurité - vaste consultation lancée en 2021 avec les élus et les syndicats de police pour renouer les liens police-population suite à l'affaire Michel Zecler -, "les associations d'élus étaient présentes et ont fait des propositions, mais elles n'ont pas le sentiment d'avoir été écoutées" alors qu'elles "participent pleinement au continuum de sécurité", a-t-il fustigé. Elles aspirent aujourd'hui à une "vraie réunion" avec le ministre de l'Intérieur pour parler du rôle et du poids des collectivités dans ce continuum de sécurité", avant d'envisager des réunions régulières. En tête des préoccupations des élus : le délitement des relations populations-forces de sécurité, la montée en puissance des trafics de drogues et l'abaissement de l'âge des jeunes impliqués, les violences intrafamiliales…
Le cadre de cette concertation ne doit pas être redondant avec d'autres démarches ou instances du type de la commission consultative des polices municipales (CCPM), tiennent à préciser les associations dans une charte adoptée pour l'occasion. Elles entendent se réunir de façon régulière et "autant que de besoin en fonction des actualités fortes sur les questions de sécurité-prévention".
Les huit associations ont déjà un certain nombre de propositions et revendications sur la table. L'enveloppe du FIPD est "sous-évaluée" et "elle ne correspond pas du tout aux besoins", a fait valoir David Marti. Dans ses 40 propositions remises aux candidats à l'élection présidentielle en 2022 (voir notre article du 4 mars 2022), France urbaine avait demandé de porter à 140 millions d'euros les crédits de ce fonds. L'association représentant les grandes villes alerte aussi sur les très forts besoins de recrutement dans la police municipales : entre 11.000 et 12.000 postes seront à pourvoir dans les prochaines années, ce qui nécessite de "rendre plus attractives ces filières en termes de formation, de rapidité des formations, de difficultés administratives, de coûts et de rémunération", a souligné David Marti, reconnaissant certaines avancées (à noter que les syndicats de police municipale étaient reçus au cabinet de Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l'Intérieur, le 17 octobre, pour une réunion de travail sur les questions statutaires et le continuum de sécurité). Lors de leur dernier congrès à Angers, les maires de grandes villes avaient aussi alerté sur l'ampleur des trafics de drogue, touchant désormais toutes les strates de communes (voir notre article du 22 septembre 2023).
Fichés S
Alors que la question de l'information des maires sur la présence de fichés S sur leur commune resurgit brutalement après l'attentat d'Arras, Frédérique Macarez demande de "systématiser les remontées d'information" et d'informer sur les suites judiciaires données aux interpellations. "Je serais curieuse de savoir combien de maires ont obtenu un suivi après les émeutes", a-t-elle lâché. Mais pour les fichés S, le sujet reste clivant. "Ma position personnelle est que si on commence à entrer dans cette dynamique, il faut avoir le pouvoir. La sécurité est d'abord et avant tout une responsabilité de l'État, sinon on aura des inégalités de traitement sur le territoire français", a rétorqué Jean-Paul Jeandon.
Le maire de Saint-Yon (Essonne), Alexandre Touzet, vice-président du département et président du groupe de travail prévention de la délinquance et de la radicalisation à Départements de France, estime que "la politique de sécurité autour de la jeunesse nécessite une instance de partenariat et d'évaluation". Les départements ont aussi un sujet de friction avec l'État sur les mineurs non accompagnés ou sur le manque d'efficacité des comités départementaux de prévention de la délinquance qui "se résument bien souvent à de grands-messes". Pour Frédérique Macarez, il va falloir s'attaquer au "sentiment d'impunité des mineurs".
En visioconférence depuis Mayotte, Laïthidine Ben Saïd, maire de Mtsamboro, représentant l'ACCD'OM, a souhaité que ce collectif puisse apporter "un éclairage sur ce qui se passe à Mayotte". "La situation est très critique", a-t-il expliqué, au lendemain de la prise d'assaut de la gendarmerie de Sada par une centaine de jeunes pendant six heures. On se souvient de l'appel lancé par les élus mahorais lors du dernier congrès des maires (voir notre article du 23 novembre 2022).
Hasard du calendrier, Gérald Darmanin et la secrétaire d'État chargée de la citoyenneté et de la ville, Sabrina Agresti-Roubache, ont annoncé, ce mercredi, avoir adressé une circulaire aux préfets pour leur demander d'entamer une concertation avec les élus pour accélérer le déploiement des dispositifs de vidéoprotection, "dans un contexte de menace terroriste élevée".
*Les huit associations : Départements de France, Association des maires de France et des présidents d’intercommunalité, Forum français pour la sécurité urbaine, France urbaine, Villes de France, Intercommunalités de France, Association des maires Ville et Banlieue de France, Association des communes et collectivités d’Outre-mer.