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Education prioritaire - Scolarisation des moins de 3 ans : les collectivités en ont-elles les moyens ?

L'annonce ce jour, par Najat Vallaud-Belkacem, de la répartition académique des 350 REP+ et des 732 REP, est l'occasion de revenir sur un des dispositifs phare de la réforme de l'éducation prioritaire, la scolarisation des moins de 3 ans. Rien ne pourra se faire sans les collectivités, dit en substance un rapport remis en juin dernier au précédent ministre de l'Education nationale. Mais les collectivités, qui sont en train de digérer la réforme des rythmes scolaires, en ont-elles vraiment les moyens ?

L'Inspection générale de l'administration de l'Education nationale et de la Recherche a remis en juin dernier un rapport au ministre de l'Education nationale de l'époque, Benoît Hamon, intitulé "Scolarité des enfants de moins de trois ans : une dynamique d'accroissement des effectifs et d'amélioration de la qualité à poursuivre". La mission d'inspection générale a mené son enquête auprès de 94 dispositifs.
Un chapitre entier tente de démontrer que la réussite du dispositif dépend de l'implication des collectivités (des communes et des départements essentiellement) (*). Ce que laissait déjà supposer la circulaire du 15 janvier 2013 (voir notre article ci-contre).
Et tout d'abord, quelques chiffres. A la rentrée 2013, le taux de scolarisation des enfants de moins de trois ans est passé de 11% en 2012 à 11,8% en 2013. La progression était plus importante en éducation prioritaire (+2,9%) où le taux s'établissait à 20,4% pour un objectif national de 30%. Mais avec 262,25 postes prévus à la rentrée 2014 (contre 397,5 à la rentrée 2013), les créations d'emplois "marquent le pas", regrettait la mission en juin dernier.

"Tisser des partenariats locaux"

Rappel utile. "Une scolarisation de qualité pour les moins de 3 ans consiste à s'adresser effectivement aux publics prioritaires, à offrir des conditions de vie adaptées aux besoins physiques, psychologiques et éducatifs des jeunes enfants tout au long de leur temps de présence à l'école, à proposer à chacun des situations éducatives et d'apprentissage stimulantes tout en impliquant les parents et en tissant des partenariats locaux", indique le rapport. Pour répondre à ces critères, les auteurs dressent les conditions de réussite qui, toutes, impliquent les collectivités.
Les premières portent sur les locaux et l'accès aux espaces extérieurs. "Les surfaces doivent être vastes, les fonctions pour la vie quotidienne (propreté, nourriture, sommeil) bien intégrées et facilement accessibles, les aménagements matériels adaptés pour que chacun puisse agir librement et en sécurité", souligne le rapport.
Concernant les personnels, "du côté de l'Education nationale comme des collectivités territoriales, ils ont à être motivés pour exercer auprès de jeunes enfants, formés et compétents, qualifiés, prêts à inclure les parents dans les démarches et à engager des partenariats locaux". De plus, les taux d'encadrement "sont à définir de façon raisonnable à la fois pour assurer l'accompagnement des activités des enfants tout en permettant de scolariser un nombre d'enfants suffisant afin de répondre aux besoins d'accueil". Quant à l'organisation de la prise en charge de chaque enfant tout au long de la journée (ou de la demi-journée scolaire), "elle a à répondre effectivement à l'ensemble des besoins des jeunes enfants et à leur rythme de vie".
Et surtout, le rapport souligne que "l'implication des partenaires locaux et des mairies doit permettre de solliciter et d'inscrire les publics prioritaires".

Des conventions entre associations d'élus du bloc local et ministère ?

Pas étonnant donc, que les premières recommandations du rapport soient de "mieux organiser les coopérations" à différents niveaux. Il s'agirait, au niveau national, d'une part de "renouveler l'accord interministériel de 1990 avec le ministère chargé de la famille et le ministère chargé de la politique de la ville", d'autre part d'établir des conventions entre le ministère chargé de l'éducation et les associations d'élus du bloc communal afin de "définir des cahiers des charges portant sur les conditions matérielles, l'encadrement et la formation des personnels, qu'ils relèvent de la responsabilité de l'Etat ou de celle des collectivités".
Au niveau académique, le rapport suggère de "confier aux autorités académiques, en relation avec le préfet, le soin de diffuser l'information et de décliner les partenariats et les outils réalisés (par exemple sous forme de conventions, de chartes, de déclarations d'intention communes, de projets), auprès des acteurs (collectivités départementales et du bloc communal, associations et services de l'Etat, système éducatif)". Selon les auteurs du rapport, les procédures liées au schéma départemental d'accueil du jeune enfant pourraient être réexaminées dans ce sens.

Des dépenses d'investissement et de fonctionnement

"Adapter la réponse scolaire usuelle engage ainsi la collectivité territoriale à supporter des dépenses d'investissement et de fonctionnement pour des locaux, des matériels et des emplois", reconnaît sans détour le rapport, ajoutant "au-delà des équipements et personnels nécessaires sur le temps de classe, du respect des normes de sécurité applicables aux matériels et aux jeux destinés aux enfants de moins de 36 mois, les coûts globaux dépendront aussi de décisions prises en termes de durée et de niveau de service rendu (accès ou non à la restauration scolaire, capacité à organiser la sieste à l'école, fréquentation de services périscolaires) ainsi que de conditions de mise en œuvre dans le contexte local (état et organisation des bâtiments et des salles, adaptation des charges de travail et emplois du temps des personnels)".
"L'ouverture d'une classe susceptible d'accueillir des enfants de moins de 3 ans est perçue comme un investissement important, toujours supérieur à celui consenti pour les autres classes, et des communes ont ainsi dépensé des sommes assez importantes au regard de leurs ressources", soulignent les auteurs du rapport, insistant sur le fait que cela exige "un réel engagement de la part des responsables municipaux". Un responsable de service administratif leur a indiqué que l'ouverture d'une classe pour les moins de 3 ans représentait le double d'une classe maternelle en investissement.

Des aménagements techniques qui peuvent dépasser les 80.000 euros

Ainsi, dans "presque toutes les communes", des budgets particuliers ont été consacrés à l'achat de petit matériel ou au fonctionnement de la classe, allant de 600 euros à 1.300 euros. L'acquisition de mobilier adapté ("qui n'a pas été réalisée partout", souligne le rapport), se révèle plus onéreuse pour une classe à équiper entièrement, les chiffres variant entre 5.000 et 10.000 euros. "Les aménagements techniques atteignent rapidement 5.000 euros tandis que les changements d'affectation de locaux pour faire place à une classe spécifique entraînent des coûts très importants qui peuvent dépasser les 80.000 euros", a également observé la mission, citant en exemple la commune de Vire (Basse-Normandie) qui a investi 12.000 euros en mobilier, jeux, et aménagement de la cour, et celle du Gosier (Guadeloupe) qui a consacré 70.000 euros de travaux pour plusieurs classes et d'autres espaces de l'école.

Qui assumerait la montée en charge du dispositif ?

Les auteurs notent par ailleurs que "dans les rares cas où des projets de reconstruction d'une école existent, les élus annoncent qu'ils prendront en compte les spécificités de l'accueil des enfants de moins de 3 ans". De là à suggérer que les futures interventions Anru sur les écoles comprennent obligatoirement ce volet…
Les élus rencontrés par la mission ont fait part de leur inquiétude sur le coût que représenterait une montée en charge de cette forme de scolarisation sachant que dans la plupart des communes, moins du tiers des élèves potentiellement concernés par la politique ministérielle est scolarisé. Par ailleurs, le rapport fait part des témoignages "de nombreux édiles municipaux" qui "invitent l'Etat à plus de constance quant à la scolarisation des enfants de moins de trois ans". "Ils souhaitent que cette scolarisation précoce ne soit plus considérée comme une variable d'ajustement de la carte scolaire, qu'elle monte en puissance pour répondre aux nombreuses demandes tout en tenant compte de leurs contraintes", rapporte-t-il. "Au regard de ces investissements parfois coûteux, certains élus s'interrogent sur la baisse des dotations de l'Etat aux collectivités et mentionnent les dépenses de fonctionnement que peut entraîner la réforme des rythmes scolaires", ajoutent les auteurs.

Une faible fréquentation l'après-midi, et alors ?

Petit bug sur la fréquentation. La scolarisation à temps complet représente le schéma de base pour la création des structures (définition des emplois, contraintes données pour les locaux concernant la sieste notamment), or une grande majorité d'enfants de moins de trois ans ne vient pas à l'école l'après-midi. Cela peut venir des conditions d'accueil, mais aussi des réserves de certains parents.
Le rapport souligne que "dans quelques cas, les très bonnes conditions réunies font que, très vite, de très nombreux parents laissent leur enfant fréquenter l'école toute la journée", citant une école du Lamentin (Guadeloupe) et de Lormont (académie de Bordeaux). Pour y parvenir, "il convient de s'appuyer sur une conception globale des activités pédagogiques et éducatives", martèlent les auteurs du rapport, mais aussi "de recevoir un appui sans faille de la collectivité qui, outre un engagement très fort pour les locaux, les espaces extérieurs et l'équipement, soit en mesure de modifier parfois profondément les modes de fonctionnement du côté des personnels (préparation des repas, service de restauration, organisation de la sieste et des pauses des personnels)".
Ils admettent entre les lignes que la scolarisation uniquement le matin vaut mieux que rien et coûte moins cher, ou plutôt, en langage académique : "une telle pratique peut être appréciée pour les économies qu'elle permet, tant du côté de l'Etat que des collectivités territoriales" et cela "sans que les moins de trois ans ne perdent réellement de temps effectif d'éducation et d'apprentissage" (l'après-midi étant tout de même largement consacré au temps de sieste).

Incontournable Atsem

Le rapport souligne "le rôle essentiel" de l'agent territorial spécialisé des écoles maternelles (Atsem), "référent très important, un repère pour ces très jeunes élèves, une figure bienveillante connue et reconnue". Selon les auteurs, "il est à regretter que cette participation ne soit pas mieux étudiée dans les rapports, car elle constitue un élément fondamental en classe ; elle pourrait représenter un volet important d'approfondissement d'une politique de la petite enfance qui chercherait à rapprocher l'école et ses partenaires".
D'autant que, pour les communes, les Atsem représentent "le poste budgétaire le plus important, et pérenne".
Ils remarquent que ces agents ont très majoritairement le CAP petite enfance, disposent parfois d'un Bafa et, dans certains cas, d'un BEP Carrières sanitaires et sociales (plus rarement d'une formation en secourisme). "Parmi toutes ces personnes, très peu ont effectivement bénéficié d'une formation spécifique à l'encadrement des moins de trois ans", regrettent-ils, suggérant : "Un travail devrait impérativement être mené avec les associations d'élus du bloc municipal, en lien avec le centre national de formation des personnels territoriaux, pour constituer une offre à ce niveau."
D'autant que "le rôle et les tâches des Atsem pour cette tranche d'âge impliquent une évolution de leur travail qui semble être renforcée par la mise en place des nouveaux rythmes scolaires dans la mesure où ces agents jouent souvent un rôle central pour assurer une forme de continuité auprès des enfants". Ils en sont convaincus : "Cela nécessitera à terme une évolution de leur formation initiale et continue, voire d'engager une réflexion sur les points communs avec des emplois équivalents du secteur de la petite enfance."

Impliquer davantage les services petite enfance

D'ailleurs, le rapport suggère également "des services et structures de petite enfance plus impliqués". Certes, "dans les 94 dispositifs identifiés, les partenaires occupent une place importante, que ce soit pour repérer les bénéficiaires des dispositifs de scolarisation d'enfants de moins de trois ans ou pour assurer des liens entre les structures de la petite enfance et l'école". Tous les services et structures de la petit enfance sont cités par les acteurs rencontrés par la mission : la protection maternelle et infantile (PMI) et la caisse d'allocations familiales (CAF) sont citées dans plus de 80% des dispositifs. Les crèches, les haltes garderies, les assistantes maternelles constituent le second ensemble de partenaires (une au moins de ces structures est mentionnée dans les deux tiers des dispositifs). Quant aux centres d'action médicosociale précoce et les services d'accueil des familles ils sont moins régulièrement cités. Et d'une manière générale, "la place de ces partenaires reste très hétérogène". La place des structures qui accueillent de très jeunes enfants (crèches, haltes garderie et assistantes maternelles) serait par ailleurs "ambiguë". "Le sentiment d'une concurrence déloyale de la part d'une Education nationale qui offre un service gratuit reste présent, particulièrement par rapport aux assistantes maternelles ou aux haltes garderies", même si des initiatives montrent que tout cela est surmontable avec le "dialogue construit en proximité".

Valérie Liquet

(*) Le chapitre est précisément – et improprement – intitulé "Une qualité de l'organisation éducative et pédagogique étroitement liée aux compétences de la collectivité territoriale".