Education - Benoît Hamon donne le coup d'envoi de la refondation... de l'éducation prioritaire
Vincent Peillon l'avait présentée en janvier. Benoît Hamon l'a lancée ce matin. Le coup d'envoi de la refondation de l'éducation prioritaire a été donné mercredi 9 avril, en Sorbonne, par le nouveau ministre de l'Education nationale, devant les représentants (recteurs, inspecteurs, quelques chefs d'établissement…) des 102 réseaux REP + préfigurateurs que le ministre a surnommés "les pionniers des nouvelles pratiques pédagogiques".
Benoît Hamon a saisi l'occasion de cette première journée nationale pour exprimer sa soif de faire de "nombreuses visites sur le terrain". "Qu'on ne me montre pas forcément les fleurons, a-t-il précisé. Je veux avoir une idée des lacunes, des points de difficultés, de ces verrous qui empêchent la communauté éducative de remplir sa mission." "Je veux comprendre vos doutes, vos craintes, vos réticences, vos impatiences", a-t-il ajouté.
L'éducation prioritaire dans les contrats de ville
De doutes et de réticences, il n'en a guère été question dans la table-ronde initiant la journée. L'objet était de motiver les troupes de l'Education nationale autour d'une seule question résumée par Jean-Paul Delahaye : "Comment, dans notre pays, mieux faire réussir les enfants pauvres ?" Et la réponse est "essentiellement pédagogique", selon directeur général de l'enseignement scolaire. Donc de collectivités locales non plus, il n'a guère été question. En tous les cas, pas directement.
Invité à s'exprimer en tribune, le préfet délégué pour l'égalité des chances de l'Essonne, Seymour Morcy, a assuré que l'éducation prioritaire serait au cœur des futurs contrats de ville (et annoncé au passage que le premier contrat de ville serait signé en juillet prochain avec la communauté d'agglomération Evry-Centre-Essonne…). A ce sujet, il est notamment préoccupé par le principe de coéducation avec les parents : "Comment les accrocher ? Comment discuter avec eux ?" Plus tard dans le débat, manifestement agacé par les belles paroles sur la coéducation, le préfet à l'égalité des chances lancera, sans craindre d'être terre-à-terre : "Je finance des associations dont l'objet est de dire aux parents qu'il ne faut pas avoir peur de l'enseignement scolaire !"
Par ailleurs, il a indiqué que le contrat de ville pouvait aussi servir à créer des passerelles avec d'autres domaines, comme la santé par exemple, avec l'organisation de dépistage de problèmes d'orthophonie, dès le plus jeune âge, en partenariat avec des hôpitaux.
L'école bienveillante, mais pas indulgente
"Une école est bienveillante quand elle accueille tous les élèves, enfants et adolescents - y compris en situation de handicap -, les parents et les personnels, dans des locaux conviviaux et adaptés", a expliqué l'IEN Claude Bisson-Vaivre, chargé de définir les contours d'"une école bienveillante et exigeante" (les locaux n'étant qu'un des aspects). "Des locaux où le corps peut s'exprimer", a-t-il précisé.
Une question particulièrement aiguë lorsqu'il s'agit de l'accueil des enfants de moins de 3 ans, où "un partenariat étroit est à prévoir avec les collectivités", a-t-il insisté. Sylvie Cèbe, professeur à l'Espe de Clermont-Auvergne rappelle ainsi qu'à 2 ans, beaucoup d'enfants ont besoin de dormir le matin : c'est une question de bienveillance de le leur permettre.
Pour le directeur général de l'enseignement scolaire Jean-Paul Delahaye, l'accueil des moins de 3 ans ne peut pas non plus être "l'accueil à tout prix" : il doit être "bien pensé avec les collectivités locales", sur la question des locaux mais aussi des "accompagnants des enseignants".
"Le numérique ne peut pas être le couteau suisse de l'éducation prioritaire"
Claude Bisson-Vaivre, le monsieur "bienveillance" de la table-ronde, a également permis de sortir d'un débat qui s'enlisait sur l'intérêt du numérique dans les pratiques pédagogiques de l'éducation prioritaire. "Cliquer n'est pas penser", assurait Jean-Jacques Pollet, recteur de l'académie de Lille, pour qui "la seule question à se poser" est de savoir si "l'outil numérique éloigne de l'exercice intellectuel ou rapproche l'élève dans l'exercice de la compréhension ?" Quoi qu'il en soit, pour lui "le numérique ne peut pas être le couteau suisse de l'éducation prioritaire".
Face aux réactions guidées par le principe de réalité des usages, Claude Bisson-Vaivre, avec ses lunettes "bienveillantes", a rappelé qu'il fallait prendre l'élève "dans sa globalité", c’est-à-dire "avec son usage du clavier et de l'écran". Mais sans renoncer à l'apprentissage : "Si l'élève n'a pas envie d'apprendre, il va s'échapper via ses pratiques (de jeux vidéo…)." L'IEN invite donc à lui "apprendre à cliquer, à choisir les mots clés qui lui permettront d'accéder aux bonnes ressources". "Et ça, c'est de notre responsabilité", a-t-il conclu.
Rythmes scolaires : Benoît Hamon se dit ouvert à des aménagements
"La réforme ne sera pas reportée, ne sera pas annulée, elle peut être complétée". En marge du lancement de la refondation de l'éducation prioritaire, Benoît Hamon a répondu, lors d'un point presse informel, à une série de questions, toutes portant sur la réforme des rythmes scolaires. "Je ne serai pas le ministre des abandons", a assuré le nouveau ministre de l'Education nationale, "j'entends poursuivre le travail de Vincent Peillon". A savoir : "que 100% des élèves puissent bénéficier de ces nouveaux temps scolaires" à la rentrée prochaine, convaincu comme son prédécesseur que la semaine de 4,5 jours favorise les apprentissages.
Sa marque de fabrique, il entend la poser d'abord dans la méthode : "j'ai compris que cette réforme avait pu créer de l'embarras (ndlr : aux enseignants et aux élus) ; je ne dis pas que cet embarras est illégitime", a-t-il déclaré. Ou encore : "j'écouterai tout le monde" (tout en précisant qu'il ne sera "pas dupe" des propositions qui feraient de la réforme un "enjeu politique"). Dès lors, "je suis prêt, avec les élus, à poser les termes d'un complément pour aménager la réforme des rythmes", a-t-il assuré, se disant disponible pour discuter de projets qui jusque-là n'ont pas été retenus mais qui s'inscriraient "dans l'esprit de la réforme".
Autre dimension qui le démarquerait de son prédécesseur : "Je ferai de la lutte contre l'inégalité sociale ma priorité personnelle", a-t-il déclaré.