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Fiscalité locale - Sans lissage, la révision des valeurs locatives créera des situations explosives

La révision des valeurs locatives des 3,3 millions de locaux professionnels engagée par le gouvernement va entraîner pour de nombreuses entreprises des hausses très fortes des cotisations de taxe foncière. Ces hausses seront cependant variables selon les secteurs et les départements. Dans un rapport que le gouvernement vient de remettre au Parlement, Bercy juge indispensable un dispositif de lissage des effets de la réforme. Un rapport dont Localtis a obtenu copie en avant-première.

Le Medef, qui récemment demandait à cor et à cri que soit annulé le projet de révision des valeurs locatives des 3,3 millions de locaux professionnels, est à moitié satisfait. Dans le rapport (à télécharger ci-contre) sur les conséquences d'une telle révision qu'il vient de remettre au Parlement - avec plus de trois mois de retard -, le gouvernement conclut qu'"il est indispensable de prévoir un mécanisme de nature à rendre plus progressive l'application de la réforme pour les entreprises". Le dispositif aurait pour objectif, "a minima", de "lisser les effets de la revalorisation des valeurs locatives".
Le bilan de la révision des valeurs cadastrales expérimentée depuis février 2011 dans cinq départements-tests (Hérault, Haute-Vienne, Bas-Rhin, Pas-de-Calais et Paris) en apporte une démonstration sans faille. Certaines catégories de locaux enregistrent en effet des hausses de cotisations très fortes dans plusieurs départements. Ainsi en est-il des boutiques et des magasins du Bas-Rhin, du Pas-de-Calais et de la capitale, dont les cotisations de taxe foncière augmentent, avec la révision, dans des proportions comprises entre 31 et 36%. Pour les bureaux, les hausses moyennes de cotisations sont même parfois encore plus fortes, comme dans le Pas-de-Calais (+67%). Certains locaux, dont le nombre est certes marginal, mais qui relèvent de secteurs sensibles comme le social et la petite enfance, voient même leurs cotisations exploser. Les maisons de repos et maisons de retraite de l'Hérault devront ainsi payer des cotisations de taxe foncière d'un montant trois fois supérieur à celui d'aujourd'hui. Dans le Pas-de-Calais, les hausses que vont connaître ces établissements seront également très fortes (+173%). Dans le Bas-Rhin et le Pas-de-Calais, les centres médicosociaux, centres de soins, crèches et haltes-garderies vont connaître des hausses respectives de leurs cotisations de 138% et 139%.

L'industrie, grande bénéficiaire

A l'opposé, certains locaux vont voir leurs cotisations diminuer. Ce sera le cas des bureaux de conception récente situés à Paris, dont la cotisation doit décroître de 20%. Dans le Pas-de-Calais, les établissements réservés à la pratique d'un sport ou à usage de spectacle sportif vont connaître une réduction de cotisation de 83%.
La réforme induit donc de nombreux transferts de charges fiscales. Les plus conséquents de ces transferts bénéficient massivement aux propriétaires des locaux industriels, dont les cotisations baissent, au détriment des propriétaires des locaux professionnels, dont les cotisations, au contraire, augmentent en général.
Sans être entrée dans le détail de l'impact de la révision des valeurs locatives sur les contributions de cotisation foncière des entreprises (CFE), la direction générale des Finances publiques (DGFIP) considère que les résultats concernant cette imposition "suivent dans l'ensemble les tendances observées pour la taxe foncière".

Une méthode désormais rodée

La réforme se fera à produit constant pour chaque "niveau de collectivité donné" et sera sans conséquences sur la dotation globale de fonctionnement (DGF), analyse le rapport. Il est permis de penser que la révision aura cependant dans certains cas des conséquences positives sur les ressources des collectivités. L'envoi d'un formulaire à tous les propriétaires de locaux professionnels est en effet l'occasion d'une mise à jour sans précédent de la documentation cadastrale. Des locaux professionnels transformés en lieux d'habitation mais qui n'avaient pas fait l'objet d'une déclaration vont ainsi être soumis à la taxe d'habitation.
Au-delà de l'évaluation des conséquences de la révision des valeurs locatives, le rapport confirme la pertinence de la méthode retenue pour mener à bien le chantier. Au cours de l'année 2011, les services de la DGFIP ont en effet testé avec succès les principes posés par l'article 34 de la loi de finances rectificative du 29 décembre 2010. Les propriétaires des cinq départements-tests ont renvoyé 86% des déclarations attendues, ce qui constitue selon la DGFIP un "excellent" taux de retour. Avec cette matière, les services de l'Etat ont découpé les départements en six secteurs géographiquement discontinus, mais regroupant des territoires dont les caractéristiques du marché locatif sont proches. En outre, ils ont mis en place des grilles tarifaires prévoyant, pour chaque secteur, un tarif au m2 appliqué à 22 catégories de locaux. Cette méthode sera mise en oeuvre dans l'ensemble des départements à compter de 2012. Les propriétaires, notamment ceux de plusieurs locaux, disposeront de délais un peu plus longs et le questionnaire sera adapté. La révision doit déboucher sur une prise en compte des nouvelles valeurs locatives dans les impositions de 2014.

Thomas Beurey / Projets publics

La commission des finances du Sénat prépare des propositions
La commission des finances du Sénat s'est emparée sans tarder du rapport gouvernemental. Elle a chargé deux de ses membres, Pierre Jarlier (UC) et François Marc (PS), d'une mission de contrôle sur la révision des valeurs locatives. Le tandem, qui a déjà fait ses preuves en déminant le sujet explosif du fonds de péréquation intercommunal, va s'intéresser aux "puissants effets" induits par la réforme, qu'il s'agisse des effets sur la localisation des activités ou des "effets collatéraux" que vont subir certains secteurs parfois non lucratifs (domaines sociaux, médicosociaux, petite enfance et loisirs). Il faut donc s'attendre à ce que les sénateurs proposent un lissage dans le temps de l'application de la réforme. L'enjeu consiste tout simplement à "éviter que le dossier ne soit refermé" comme en 1992, lorsqu'un projet de révision des valeurs locatives avait été abandonné, explique Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Les sénateurs remettront leur rapport au mois de mars.
T.B.