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Energie - Risques nucléaires : les élus manquent de moyens pour renforcer la prévention

La catastrophe de Fukushima relance en France le débat sur la politique de gestion des risques nucléaires. A proximité de nos 19 centrales de production électrique vivent 400.000 foyers dans 500 communes. Comment les protéger et renforcer la prévention ? Les élus s'interrogent.

Pas de risque zéro. Le 30 mars, lors de la présentation au Parlement du rapport annuel de l'Autorité de sûreté nucléaire, André-Claude Lacoste, président de l'ASN, a insisté sur le fait que "personne ne peut garantir qu'il n'y aura jamais en France un accident nucléaire". Pour l'heure, l'Autorité se prépare à tirer les leçons de l'accident japonais et à mobiliser des ressources pour auditer les centrales françaises. Un audit qui devrait s'appuyer sur ce bilan de santé du parc, où la sûreté de quatre centrales (Chinon, Saint-Alban, Chooz et Nogent-sur-Seine) a plus particulièrement été épinglée.

La pertinence des plans d'intervention mise en doute

Aussi critique soit-il, ce rapport n'invite pas - contrairement à ce que préconise un certain nombre d'élus locaux - à remettre à plat la zone de couverture des risques autour des centrales. Actuellement, elle est encadrée par les plans particuliers d'interventions (PPI) qui, en cas d'accident, seraient activés par les préfets. Comme le définit un arrêté de 2006, ces PPI sont consultables dans les mairies des communes où ils s'appliquent. Soit une dizaine de communes par exemple dans le Loiret, autour de la centrale de Dampierre, où le PPI concerne une vingtaine de milliers d'habitants. Pour rappel, ce sont ces plans qui déterminent les mesures de sécurité civile et précisent le rôle à jouer par les maires dans leur organisation et leur suivi, aux côtés des services de secours et de ceux de l'Etat, mais aussi des acteurs privés (exploitants) et des associations. "Mais comme il est par nature impossible de prévenir tous les risques, les mesures qui sont prévues - même en les améliorant - reviennent à appliquer un pansement sur une jambe de bois. D'autant qu'au Japon, les faits ont tristement démontré que les périmètres de sécurité prévus dans un rayon de 5 à 10 km autour des centrales ne peuvent qu'être imparfaits", juge Xavier Rabilloud, l'un des porte-parole du réseau Sortir du nucléaire. "En cas d'évacuation dictée par le préfet, des mesures complémentaires sont normalement prévues dans les plans communaux de sauvegarde (PCS) et leurs modalités doivent être communiquées en amont aux habitants", ajoute Henri de Choudens, président de l'Institut des risques majeurs. Problème : en France, beaucoup de retard a été pris dans la mise en œuvre de ces PCS, si bien que l'efficacité de leur activation en articulation avec les PPI peut être mise en doute. Les zones d'application des PPI pouvant être élargies, la situation de flou que cela engendrerait à proximité de grandes villes inquiète certains élus : à Bordeaux, les élus écologistes ont interpellé la ville et la communauté urbaine à ce sujet et ceux du conseil régional de Midi-Pyrénées viennent de s'adresser au préfet pour en savoir plus.

Les commissions locales montent au créneau

Mais au quotidien, ce sont surtout les commissions locales d'information (CLI) qui sont au cœur de la problématique de prévention des risques nucléaires. Composées à 50% d'élus, elles sont 37 à être officiellement installées mais une vingtaine d'entre elles sont plus actives. Le réseau qui les fédère, l'Association nationale des commissions locales d'information (Ancli), estime essentiel que les collectivités concernées par cette problématique "se l'approprient et s'organisent pour mieux l'intégrer dans les plans de secours". Selon elle, il reste des progrès à faire dans l'information des habitants sur les scénarios d'accident : mise à disposition de cartes d'aléas et d'enjeux, scénarios à préciser afin qu'ils intègrent davantage de combinaisons de facteur… "En cas de crise, l'Etat a ses propres plans d'intervention, les collectivités sont censées appliquer les consignes et mettre en place des cellules de crise et de communication. Ce n'est pas suffisant, il faut qu'elles soient mieux éclairées sur leur rôle", appuie Michel Demet, administrateur territorial et chargé des risques majeurs à la ville de Dunkerque. Certes, une démarche globale dite Codirpa (Comité directeur pour la gestion de la phase post-accidentelle d'un accident nucléaire ou d'une situation d'urgence radiologique) s'est mise en place sous l'égide de l'ASN en vue d'améliorer la gestion des risques post-accidentels. Mais la lenteur de sa mise en œuvre (elle a débuté en 2005) et son aspect très doctrinal ont de quoi rebuter les élus qui ont pu être associés à son élaboration. "Son volet territorial n'est pas aisé à comprendre, de toute façon il faut plus de clarté pour que les collectivités sachent comment gérer le moyen et le long terme en cas d'accident", ajoute Michel Demet.

Plans de distribution d'iode

En 2009 a eu lieu la 4e campagne de distribution d'iode pour les populations situées autour des centrales nucléaires EDF. "Est-ce à dire que les pastilles sont depuis périmées ? ", s'interroge Alexandre Pissas, président de la CLI du site de Marcoule. Le 20 mai, cette CLI réunira ses membres et l'ASN afin d'éclairer et de remettre en perspective avec celle-ci les dispositions à prendre en cas d'accident. "A Gravelines, on a d'abord expérimenté la distribution d'iode en porte-à-porte. Cela fonctionnait très bien mais on a nous remis dans le droit chemin et le lobby des pharmaciens a joué pour que ces stocks soient désormais en officine", indique Jean-Claude Delalonde, ex-conseiller général du Nord, président de l'Ancli et de la CLI de Gravelines. Fervent défenseur de "la société civile, qui a son mot à dire sur le nucléaire", il exige que les CLI soient associées aux audits prévus dans les centrales. Et réclame plus de moyens pour ces commissions locales qui, le plus souvent, s'organisent avec trois bouts de ficelle. Malgré tout, grâce au dynamisme de leurs bénévoles, certaines ont dernièrement trouvé les moyens d'innover, par exemple les CLI de Golfech (Tarn-et-Garonne) et du Blayais (Gironde), pour réaliser leurs propres mesures dans l'environnement des centrales. "Mais pour mieux coordonner leur réseau et améliorer leur efficacité, chaque CLI a besoin de 150.000 euros de budget annuel, ce qu'elles sont bien loin d'avoir", ajoute Jean-Claude Delalonde. Et de conclure sur un inquiétant constat : "A Gravelines a eu lieu en janvier dernier un exercice d'évacuation de la population en conditions réelles. En France, c'était le troisième de ce type à être réalisé en trente ans !"