Responsabilité pénale des décideurs publics : la mission Vigouroux prône des "assouplissements"

Le risque pénal effraie nombre de responsables publics. Pour cause : ils peuvent être poursuivis pénalement, au motif de prise illégale d'intérêts notamment, pour des questions formelles, alors que leur probité n'est pas en cause. En résulte un risque de paralysie de l'action publique. Une mission présidée par Christian Vigouroux a planché pour définir un cadre de responsabilité pénale des décideurs publics plus adapté. 

Faciliter la prise de risque et l'initiative des élus et des agents publics en éloignant, lorsque cela est légitime, l'épée de Damoclès que constitue le risque de mise en cause pénale : tel est l'objet des 35 "propositions" et 7 "pistes de réflexion" de la mission présidée par Christian Vigouroux, président de section honoraire au Conseil d'État dans son rapport qui a été récemment mis en ligne.

Malgré "les avancées" apportées par plusieurs réformes, notamment la loi Fauchon de juillet 2000, "le sujet du risque pénal pour les gestionnaires publics reste prégnant", indiquait la lettre de mission du Premier ministre, en mars 2024 (voir notre article sur les annonces faites à ce moment-là). "L'insécurité qui peut en résulter pour ceux-ci", les incite "dans certains cas, à des biais dans la prise de décision publique ou des abstentions de prises de décisions", déplorait Gabriel Attal. 

Selon le ministère de la Justice, 676 élus et agents en moyenne ont été mis en cause chaque année entre 2014 et 2023 pour au moins une infraction parmi les atteintes à la probité, les discriminations, les abus d'autorité, les faux et usages de faux, les infractions au code électoral et les manquements aux obligations déclaratives en matière de transparence. Sur la période, 211 condamnations par an ont été prononcées à l'encontre de décideurs publics, dont 90% pour une atteinte à la probité.

Situations douloureuses

Les mises en cause sont "limitées en nombre" et concernent dans certains cas des personnes qui "n'ont pas recherché un avantage personnel ou n'ont pas eu l'intention de nuire à autrui", souligne la mission Vigouroux. Une "négligence", une "erreur d'appréciation" ou une "mauvaise compréhension de la loi" peuvent être à l'origine des poursuites contre elles, explique-t-elle aussi. Or, les élus concernés sont embarqués dans des procédures longues et douloureuses psychologiquement. Leur sort ne laisse pas indifférent leurs collègues, qui nourrissent de réelles craintes pour eux-mêmes. Ce qui peut les conduire à prendre des précautions susceptibles de freiner l'action publique. Le phénomène peut même être "une source importante de démotivation" chez les intéressés.

La mission entend répondre à cette situation sans renoncer aux objectifs de transparence et de moralisation de la vie publique et sans tomber dans l'excès inverse, qui empêcherait l'engagement de poursuites contre les décideurs publics. "Plutôt qu’une refonte complète de la législation", elle prône "des adaptations (…) ciblées du cadre juridique actuel". 

C'est avec cet état d'esprit qu'elle aborde les conflits d'intérêts public-public. Pour sécuriser la participation des décideurs publics au sein des organismes de droit public, elle propose de "légaliser certaines situations aujourd’hui illégales" et de "clarifier" la législation applicable. Ce que les élus locaux devraient apprécier, ceux-ci dénonçant des situations "ubuesques" provoquées par la mise en oeuvre des règles actuelles. 

Mieux cibler la prise illégale d’intérêts

Le rapport recommande également de "desserrer les éléments constitutifs de la prise illégale d’intérêts", infraction qui nourrit le plus l'inquiétude des décideurs publics à l’égard du risque de mise en cause pénale. Le besoin de répondre à une "nécessité impérieuse" peut légitimer certains assouplissements, selon la mission. Qui fournit l'exemple d'un maire "contraint, afin de faire face à un sinistre, de conclure en urgence un marché au bénéfice d’une entreprise exploitée par un proche, alors que celle-ci était la seule en mesure d’intervenir efficacement à brève échéance". 

Le rapport propose également la reconnaissance d'une sorte de droit à l'erreur au profit des élus, lorsqu'ils ont commis une infraction en matière de prise illégale d'intérêts par la seule méconnaissance des règles, ou en se méprenant sur leur application.

S'agissant du délit de favoritisme, la mission propose là encore d'introduire la notion d'"objectif d'intérêt général impérieux". Elle permettrait de dédouaner par exemple un élu méconnaissant certaines règles de procédure de la commande publique pour parvenir à achever dans les temps la construction d'un équipement sportif destiné à accueillir une grande compétition.

Moins de mises en examen

Le rapport propose aussi des "adaptations" pour mieux protéger les "décideurs de service public" contre le risque pénal, lorsqu’ils doivent prévenir des dangers ou combattre des risques (sanitaires par exemple) pour la population. 

Une autre préconisation vise à "limiter les cas de mise en cause pénale des préfets", lorsque ceux-ci mettent en œuvre le droit de dérogation aux normes qui leur est attribué depuis 2020. Cela répond à une attente récemment exprimée par la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales, qui y voit le moyen d'encourager l'utilisation de cet outil (voir notre article).

En outre, le rapport recommande, s'agissant de la procédure pénale, que les élus et agents publics mis en cause soient moins souvent mis en examen - ce statut étant associé dans l'opinion publique à "une quasi-déclaration de culpabilité" - et davantage placés comme témoins assistés.

Accompagner et protéger les responsables publics

Pour "accompagner et protéger plus efficacement les élus et les agents publics face au 'risque pénal'", le rapport recommande d'encourager les décideurs confrontés à un risque de mise en cause, à solliciter davantage l'avis des organismes compétents en matière de déontologie, notamment les centres de gestion de la fonction publique territoriale. Elle préconise aussi la "généralisation" des référents déontologues des élus locaux mis en place en 2024, ce qui selon elle serait plus facile en autorisant les centres de gestion à exercer de plein droit cette fonction.

À l'égard des décideurs publics mis en cause, la mission propose d'étendre le bénéfice de la protection fonctionnelle (concrètement la prise en charge des honoraires d'un avocat) à l'ensemble des élus locaux mis en cause dans le cadre de leurs fonctions, alors que celle-ci est aujourd'hui réservée à ceux qui exercent des fonctions exécutives. Elle met également en avant plusieurs mesures pour mieux protéger la présomption d’innocence.

"Le gouvernement étudiera ces recommandations dans les prochains mois afin de déterminer les évolutions législatives nécessaires", a déclaré Matignon à l'occasion de la publication du rapport.

 

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