Cantine scolaire - Rentrée scolaire 2015 : et pour vous, ce sera avec ou sans porc ?
Tout a commencé en mars dernier lorsque le maire de Chalon-sur-Saône (Saône-et-Loire), Gilles Platret (Les Républicains / LR), également coprésident du groupe de travail Laïcité de l'AMF, annonçait qu'il supprimerait, à partir de la rentrée 2015, les "menus de substitution" (à la viande de porc) dans les cantines scolaires de sa ville au nom de principe de laïcité (voir notre article du 18 mars 2015). Dès lors, plusieurs villes ont communiqué sur leur positionnement, entretenant ainsi une polémique qui dure depuis plus de 10 ans (voir notre encadré ci-dessous).
Le 23 juin, la mairie de Perpignan (LR) annonce que ses cantines ne serviront plus de "viande de substitution", mais que les familles pourront s'inscrire à un menu végétarien. Le 2 juillet, celle de Toulouse (LR) annonce également qu'elle proposera un menu sans viande "alternatif au menu de base". "Tout plat contenant un ingrédient carné pourra être remplacé, pour ceux qui le souhaitent, par un plat sans viande d'égale valeur nutritionnelle en matière de protéines (poisson, ovoproduit, steak végétaux, …)", précise -t-elle dans son dossier de presse de rentrée. L'agglomération de Pau (Modem) aussi s'est mise au végétarien. Les familles se voient proposer trois formules de menu : un repas standard, un menu végétarien ou un repas végétarien ponctuel. Objectifs affichés : "lutter contre le gaspillage alimentaire, proposer une offre diversifiée à tous les publics, répondre à des enjeux de développement durable". A Strasbourg (PS) en revanche, rien ne change.
Quatre menus à Strasbourg (et peut-être bientôt cinq)
Depuis des années, la capitale alsacienne - région marquée par le régime du Concordat, qui confie à l'Etat la gestion des quatre cultes religieux reconnus (catholique, luthérien, réformé et israélite) - propose jusqu'à quatre menus différents dans ses cantines scolaires : menu standard, végétarien, halal ou simplement "sans porc". Et si elle trouve un prestataire adapté, la municipalité envisage aussi de proposer à l'avenir un menu casher. "Ce serait plus compliqué que le halal (NDLR : les plats halal sont produits à part et de nuit, pour ne pas les mélanger avec les autres menus), car il faudrait une unité de production entièrement à part, le lieu et les outils servant à produire des aliments casher ne pouvant être utilisés pour autre chose", indique Eric Wolff, directeur de l'Alsacienne de restauration, la filiale du groupe Elior prestataire de la commune. Autre changement en perspective : si jusqu'à présent le prix des différents menus est le même, la ville de Toulouse envisage une facturation différenciée selon les menus. Le coût de repas s'élève à environ 3 euros en moyenne, soit un tiers du coût de la pause méridienne incluant le repas et les activités périscolaires.
Un seul menu avec porc d'ici aux vacances de la Toussaint
A Chalon-sur-Saône, il n'y aura pas de menu de substitution... mais il n'y aura pas non plus beaucoup de porc dans les menus... du moins jusqu'aux vacances de la Toussaint. D'ici là, un seul menu contiendrait du porc (celui du 15 octobre), qui plus est en entrée.
C'est ce qui apparaît dans les documents fournis par la ville au tribunal administratif de Dijon, saisi par la Ligue de défense judiciaire des musulmans qui demandait la suspension de la décision du maire. La requête a d'ailleurs été rejetée le 12 août, sur la question de l'urgence, le tribunal ayant jugé que "l'accès aux services de restauration scolaire de l'ensemble des usagers, y compris des enfants de confession musulmane ne paraît pas compromis".
Une proposition de loi pour rendre obligatoire le menu végétarien
Le lendemain, Eric Ciotti, député (LR) des Alpes-Maritimes, a salué dans un communiqué le "courage dans le combat contre le communautarisme" du maire de Chalon. "Nous devons nous opposer à ce que notre pays soit soumis à quelques formes d'accommodements qui affaiblissent notre République en faisant de celle-ci une 'République à la carte' ", a-t-il ajouté.
Son collègue (UDI) Yves Jégo, député-maire de Montereau-Fault-Yonne (Seine-et-Marne), a en revanche fait savoir, le 14 août, qu'il entendant déposer, "à la rentrée parlementaire", une proposition de loi afin de "rendre obligatoire dans les cantines scolaires en alternative aux repas servis un repas végétarien, sans viande, ni poisson". Cela permettrait aux enfants "qui pour des raisons médicales, pour des raisons éthiques, pour des raisons religieuses ne veulent pas manger de viande (...) de ne pas les stigmatiser", a-t-il expliqué. Sa pétition en ligne en faveur d'une PPL a recueilli, au 31 août, plus de 100.000 signatures.
Parallèlement, Yves Jego a annoncé qu'il avait écrit à tous les maires des communes de plus de 10.000 habitants ainsi qu'aux présidents des départements et des régions afin de leur proposer - avant que la loi ne soit discutée - d'expérimenter ce dispositif de double menu. Pour sa part, la ville de Montereau organisera cette "alternative végétarienne", à partir du 1er octobre, "sans surcoût pour les familles", a-t-il précisé.
Pétition contre pétition
En réponse, Gilles Platret, le maire de Chalon-sur-Saône, a lancé le 17 août sa propre pétition, demandant cette fois aux parlementaires de "s'opposer à toute initiative qui forcerait les communes à proposer dans leur service de restauration scolaire un menu de substitution obligatoire", estimant que la composition de menus différenciés selon les pratiques religieuses était "une entorse au principe de Laïcité". Elle a recueilli à ce jour un peu plus de 3.350 signatures.
L'histoire ne dit pas si Philippe Laurent a signé la pétition de Gilles Platret. Quoi qu'il en soit, le maire (UDI) de Sceaux, également secrétaire général de l'AMF et vice-président du Conseil national d'évaluation des normes, s'insurge lui aussi sur le fait "que des parlementaires et des hauts fonctionnaires imaginent régler cette affaire par la loi, en obligeant toutes les mairies à prévoir des repas sans porc, ou végétariens, etc." Il estime que "tout cela devrait relever du vivre ensemble local, dans le respect intelligent du principe de laïcité naturellement, mais qui laisse chaque maire et à son équipe de régler la question dans la paix sociale locale". Et de regretter que "la frénésie législative et règlementaire ne faiblit pas".
La ministre invite les communes "à faire preuve de responsabilité"
La ministre de l'Education nationale, elle, tente de se faire discrète sur le sujet. A la suite de l'annonce de Gilles Platret en mars dernier, Najat Vallaud-Belkacem avait qualifié la décision du maire de Chalon de "démagogique" et "politicienne" tout en soulignant qu'il est "de notre intérêt que les enfants mangent" et ne viennent pas en classe l'après-midi "le ventre vide". Le jour de la rentrée des professeurs, lundi 31 août, elle a "invité les communes à faire preuve de responsabilité et de continuer pour l'immense majorité d'entre elles à permettre aux enfants d'avoir le choix entre deux menus".
A noter que dans les "recommandations nutritionnelle pour le milieu scolaire" publié en juillet et réalisé par le groupe d'étude des marchés de restauration collective et nutrition (GEM-RCN) du ministère de l'économie, les seuls menus spécifiques évoqués sont ceux des "enfants souffrant de maladies chroniques nécessitant une adaptation de l'alimentation" et qui sont pris en charge dans le cadre d'un projet d'accueil individualisé (PAI).
Pas de porc, pas de petit-déjeuner
Les recommandations insistent sur la consommation "suffisante" de fruits et légumes, "sources de vitamines, minéraux, oligo-éléments et fibres " ; la "variété" des féculents "sources de glucides complexes et fibres" ; la "place" des poissons gras "sources d'acides gras essentiels (oméga 3)"... et "la consommation suffisante de bœuf, veau, agneau et abats de boucherie (NDLR : "abats des caprins, équidés et porcins en excluant les abats de volaille"), viandes sources de fer bien assimilé par l'organisme". Quant au plat végétarien, il est recommandé de limiter sa fréquence de service à "3 maxi/20 menus successifs".
En attendant, une récente étude du Crédoc montre que 13% des enfants et adolescents arrivent tous les jours le ventre vide à l'école. Ils seraient 17% dans les écoles et établissements de REP et 22% dans ceux de REP +." Il n'est pas rare que les enfants dans l'élémentaire soient les seuls dans la maison à se lever le matin, parce que les parents n'ont pas d'activité professionnelle", témoigne un directeur d'école en REP +, "ils se préparent tout seuls, ce qui fait qu'ils se lèvent tard, et ils ont juste le temps de s'habiller pour venir à l'école, il y a des familles où les enfants sont livrés à eux-mêmes". Un autre observe les conséquences : "Ils ont mal au ventre vers dix heures, ensuite, ils ont mal à la tête, vers onze heures, onze heures et demi, ils sont en hypoglycémie je pense, ils ne sont plus capables de travailler, ils ont la tête sur la table." Un représentant de parents d'élève suggère que, dans chaque école, le trio parents-enseignants-commune mène, au moins une fois par an, une opération de sensibilisation auprès des familles sur l'importance du petit déjeuner. Voilà un sujet sur lequel tout le monde sera d'accord. Au moins sur le principe.
Valérie Liquet avec ToutEduc et AFP
Porc à la cantine : un débat de 10 ans
Partisans et adversaires des menus de substitution se sont affrontés à diverses reprises au cours des dix dernières années. Voici quelques épisodes qui ont émaillé cette polémique.
Juillet 2004 : un rapport de l'inspection générale de l'Education nationale s'alarme du refus d'un nombre croissant d'élèves de consommer toute viande qui ne serait pas abattue selon un rituel religieux, alors que les cantines scolaires présentent depuis une trentaine d'années des plats de substitution au porc.
Janvier 2005 : la mairie de Villefranche-sur-Saône (Rhône) avertit les parents d'une vingtaine d'élèves refusant de manger de la viande non conforme au rite musulman qu'ils pourraient être exclus des restaurants scolaires. Le président du Conseil français du culte musulman (CFCM), Dalil Boubakeur, appelle les pouvoirs publics à "répondre si possible" à la demande de viande halal dans les cantines, revendication qu'il n'estime "pas extravagante".
Février 2008 : la mairie de Lyon crée un menu sans viande dans les cantines, à la demande de parents musulmans ou juifs.
Mai 2012 : lors du débat télévisé qui l'oppose à Nicolas Sarkozy, François Hollande affirme que s'il était élu, "rien ne sera toléré en terme de présence de viande halal dans les cantines de nos écoles".
Décembre 2014 : la commune de Sargé-lès-Le Mans (Sarthe), décide de ne plus servir une autre viande que du porc lorsque celui-ci est au menu de sa cantine scolaire, suscitant un début de polémique.
Mars 2015 : le député-maire (Les Républicains) de Chalon-sur-Saône décide de mettre un terme aux menus de substitution à la cantine au nom de la "laïcité".
AFP