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Education / Cantine - Un rapport pour remettre un peu d'ordre à la cantine

Des enfants privés de cantine scolaire pour manque de places, pour cause de handicap, d'allergie alimentaire, d'interdit religieux, philosophique ou encore pour impayés ou mauvais comportements..., la liste des problèmes auxquels sont confrontés les maires dans le fonctionnement de la cantine n'est pas exhaustive. Mais un rapport du défenseur des Droits sur l'accès des enfants à la cantine de l'école primaire distingue les situations les plus fréquentes, se gardant bien d'y voir une volonté de discrimination systématique de la part des communes. Tour d'horizon des réclamations, de ce que dit la loi et des recommandations du défenseur.

Alerté par de nombreux cas de refus ou de difficultés d'accès à la cantine et certaines polémiques qui ont pu en découler, le défenseur des Droits a publié le 28 mars un rapport intitulé "L'égal accès des enfants à la cantine de l'école primaire" qui se lit comme un recueil de recommandations juridiques et pratiques, utile aux élus comme aux parents d'élèves.
Fruit d'une enquête lancée auprès de parents d'élèves et de maires, entre le  28 août et le 28 octobre 2012 sur le site du défenseur des Droits*, le rapport de 60 pages résume les nombreuses difficultés auxquelles sont confrontés les maires dans la mise en place du service de restauration scolaire et les articule autour des quatre thématiques les plus souvent abordées dans les témoignages recueillis : les difficultés d'accès aux cantines scolaires (critères d'accessibilité, critères d'accès pour les enfants handicapés) ; l'accueil d'enfants allergiques, les revendications religieuses et philosophiques ; les problématiques liées à la tarification et à la facturation ; la mise en place des sanctions (pour retard de paiements ou liées à l'exclusion d'un enfant).

"La discrimination est un délit lorsqu'elle consiste à refuser l'accès à un service"

Si ce service public en école primaire est une compétence qui relève de la commune (donc du maire, et en aucun cas du directeur de l'établissement), le rapport rappelle que le maire n'a pas "un pouvoir souverain d'appréciation quant au droit d'y accéder". Selon l'article 225-1 du Code pénal, "toute distinction opérée entre des personnes placées dans une situation comparable, sur la base d'un critère prohibé (origine, situation de famille, état de santé, handicap, appartenance à une religion, etc.), constitue une discrimination". L'article 225-2 ajoute : "Cette discrimination est un délit lorsqu'elle consiste à refuser l'accès à un service, notamment l'accès à la cantine, à une personne en raison de son appartenance à l'un de ces critères." Le principe d'égalité interdit en effet de traiter différemment des usagers placés dans une situation comparable, bien qu'il ne s'oppose pas à ce qu'une commune réserve un traitement différent à des usagers placés dans une situation différente au regard de l'accès à un service public.
Et là commencent les difficultés, et les subtilités : les maires ont des règles à suivre... qui ne leur garantissent pas d'être dans leur droit. Tour d'horizon des réclamations, marge de manoeuvre des édiles et recommandations du Défenseur.

Critères d'accès à la cantine : les édiles marchent sur des oeufs

La difficulté d'accès à la cantine pour leur enfant représente 45 % des réclamations enregistrées lors de l'enquête. Le rapport souligne qu'aujourd'hui plus de 6 millions d'élèves (un élève sur 2 en primaire et 2 lycéens et collégiens sur 3) mangent à la cantine, soit deux fois plus d'enfants que dans les années 70. Cette fréquentation exponentielle rend l'accès à ce service de plus en plus délicat pour les maires en proie aux difficultés financières, et engendrent l'établissement de "critères" tels que la priorité d'accès aux enfants dont les deux parents travaillent. Une pratique jugée discriminatoire par la loi, et qui, rappelle Dominique Baudis, le défenseur des Droits, est passible de cinq ans de prison et 75.000 euros d'amende... ce qui donne à réfléchir.
L'élément intentionnel peut être alors établi si le maire refuse l'accès à la cantine à un enfant alors même que des mesures appropriées peuvent être prises pour assurer son accueil (possibilité d’adapter le mobilier pour gagner de la place, l’organisation en self qui permet une meilleure rotation des tables ainsi que la possibilité de multiplier le nombre de service lors de la pause méridienne...). En revanche l'élément intentionnel n'est pas démontré s'il ressort que le refus est en réalité fondé sur un motif légitime sans lien direct avec le critère prohibé. Dans le cas de raisons objectives, il n'y a donc pas discrimination ; mais la marge de manoeuvre du maire demeure assez étroite. Selon le droit, "les communes peuvent refuser l'accès de certains enfants à la cantine et accorder prioritairement l'accès à certains d'entre eux. Il appartient alors aux collectivités territoriales, d'une part, de démontrer l'insuffisante capacité des cantines dont elles se prévalent et, d'autre part, de fonder la priorité d'accès sur un ensemble de critères approprié qui tient compte de la situation objective des usagers au regard de l'objet et des caractéristiques du service public de restauration scolaire".
On marche alors sur des oeufs... ce que reconnaît le défenseur en soulignant "e raisonnement parfois peu explicite et nécessairement casuistique du juge administratif qui ne permet toutefois pas proposer des critères de restriction d'accès qui seraient dépourvus de risque juridique et donc insusceptibles d'annulation contentieuse". Le défenseur recommande par conséquent "que le service public de la restauration scolaire soit ouvert à tous les enfants dont les familles le souhaitent". Précisant que la compensation financière de cette nouvelle charge imposée aux communes se posera dans les termes voisins à celle liée à la réforme en cours des rythmes scolaires.... et par conséquent en fonction de.... critères !

Des mesures adaptées pour les enfants handicapés

Concernant l'accès des enfants handicapés à la cantine (5% des réclamations), la difficulté reste de définir là aussi des critères objectifs de restriction d'accès. Le rapport relève que  "l'égal accès des enfants handicapés aux activités périscolaires suppose que des mesures adaptées, notamment sous la forme d'un accompagnement spécifique, par exemple AVS, soient prises pour répondre aux besoins des enfants accueillis chaque fois que nécessaire" et constate que "faute de moyens suffisants et coordonnés, les structures d'accueil se trouvent aujourd'hui confrontées à des difficultés pour mettre en place les réponses appropriées".
Dans sa décision du 30 novembre 2012 (n°MLD/2012-167), le défenseur des Droits recommandait d'ailleurs au ministre de l'Education nationale, dans le cadre du projet annoncé de réforme de l'école et des rythmes scolaires, de veiller à prendre en compte les besoins spécifiques des élèves handicapés s'agissant, en particulier, de la nécessité d'accompagnement par un AVS sur l'ensemble des temps d'activités scolaires et périscolaires, conformément aux préconisations de la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées (CDAPH). Si cette dernière considère que l'enfant concerné n'a pas besoin d'un tel accompagnement, la commune ne peut lui refuser l'accès à la cantine. 

Troubles alimentaires : de l'importance de "l'élément intentionnel"

Pour les enfants souffrant de troubles alimentaires (allergie ou intolérance alimentaire, diabète) - un pourcentage en augmentation constante, rappelle le rapport -, "le délit de discrimination de refus de fourniture d'un service suppose la réunion d'un élément matériel, à savoir le refus d'accès à un service en raison de l'état de santé, ainsi qu'un élément intentionnel, à savoir la conscience de se livrer à une pratique discriminatoire".
L'élément intentionnel n'est pas démontré s'il ressort que le refus est en réalité fondé sur un motif légitime sans lien direct avec l'état de santé. En revanche, l'élément intentionnel peut être établi dans le cas où le maire refuse l'accès à la cantine à un enfant en raison de son allergie alimentaire alors même que des mesures appropriées peuvent être prises pour assurer son accueil.
En matière de refus, les maires avancent souvent l'argument de sécurité de l'enfant, et donc de la responsabilité communale. Là aussi, tout est dans la subtilité, l'élément intentionnel. Le défenseur avance que  l'argument sécuritaire peut constituer un motif légitime mais la situation doit être appréciée au cas par cas, au regard de la réalité des motifs de sécurité invoqués pour refuser d'accueillir l'enfant tel que : degré ou la complexité de l'intolérance dont l'enfant est affecté ; capacité à gérer son allergie en toute autonomie ; avis du médecin en charge du suivi de l'enfant ; mesures appropriées susceptibles d'être mises en place (panier-repas, repas sécurisé).
Le défenseur s'appuie sur la circulaire ministérielle n° 2003-135 du 8 septembre 2003 relative à l'accueil en collectivité des enfants et des adolescents atteints de troubles de la santé évoluant sur une longue période, qui définit les aménagements qu'il convient de mettre en place afin que tout enfant atteint d'allergie ou d'intolérance alimentaires, justifiant à ce titre d'un régime alimentaire particulier, puisse profiter des services de restauration collective. Ces modalités sont les suivantes : soit les services de restauration fournissent des repas adaptés au régime particulier en application des recommandations du médecin prescripteur, soit l'enfant consomme dans les lieux prévus pour la restauration collective un repas fourni par sa famille qui en assume la pleine et entière responsabilité (composants, couverts, conditionnements et contenants nécessaires au transport et au stockage de l'ensemble).

Aucun texte n'impose des menus en fonction de convictions religieuses

Pour ce qui est de la présence de viande de porc, halal, ou de plats végétariens (à eux deux 37% des réclamations), le défenseur est sur ce point explicite : "Dès lors qu'aucun texte législatif ou réglementaire n'impose aux communes un aménagement des repas en fonction des convictions philosophiques ou religieuses des parents, ceux-ci résultent exclusivement de la libre initiative des collectivités concernées et non d'une obligation. Par suite, le refus d'une collectivité d'adapter un repas en fonction des convictions religieuses des familles (ne pas servir de viande, proposer un plat de volaille à la place d'un plat à base de porc...) ne saurait être assimilée à une pratique discriminatoire puisqu'aucun refus de principe concernant l'accès à la cantine n'est par ailleurs opposé aux parents." Les maires ne sont donc pas tenus de faire des menus en fonction des convictions religieuses. Ils sont en revanche "incités" à informer les parents lors de l'inscription à la cantine en début d'année et les menus affichés à l'entrée doivent pouvoir permettre aux parents d'anticiper les jours de présence de leurs enfants.

Impayés : tout faire pour éviter l'exclusion de l'enfant

Parmi les réclamations d'élus, ou de parents d'élèves, les problématiques liées à la tarification et au mode de facturation ont été relevées. Parce que le Conseil d'Etat a jugé qu'il y a un "intérêt général qui s'attache à ce que les restaurants scolaires puissent être utilisés par tous les parents qui désirent y placer leurs enfants sans distinction selon les possibilités financières dont dispose chaque foyer", le défenseur reconnaît la restauration scolaire comme un service public à vocation sociale.
Les réclamations retenues par l'enquête font état de différents problèmes : difficultés financières des familles, une facturation main à main avec l'enfant induisant une stigmatisation de ce dernier (voire des moqueries) lorsqu'il paie moins cher qu'un autre... Pour l'ensemble des difficultés, le défenseur recommande une médiation et une communication sans faille. 
Pour ce qui est des informations relatives à la situation des familles en cas d'impayés, le défenseur rappelle que celles-ci n'ont pas à être connues des directeurs ou des animateurs. Il est ainsi recommandé que la trésorerie d'une municipalité s'assure de l'encaissement régulier des paiements dans des délais raisonnables avant que la situation ne dégénère. En cas d'impayés, après une première lettre de relance envoyée à la famille, puis une seconde en cas de non-réponse, il demeure de l'obligation des élus municipaux de prendre contact avec la famille et de l'orienter vers le CCAS de la commune.  La confidentialité est alors respectée, et le CCAS peut mettre en oeuvre des étalements de dettes s'il y a lieu, sans porter préjudice à l'enfant. Si à l'issue de cette rencontre, aucune solution n'est trouvée avec la famille, la commune peut alors émettre un titre exécutoire afin de récupérer sa créance.
Ce n'est qu'à l'issue de ces différentes étapes et de l'échec de tout dialogue que la mairie pourra décider, le cas échéant, de ne plus admettre l'enfant à la cantine scolaire communale. Le défenseur des Droits recommande que toute autre procédure soit exclue en matière d'impayés puisqu'elle stigmatiserait l'enfant. Pour la confidentialité des paiements,  un envoi des factures de cantine par voie postale ou par remise en mains propres aux parents, ou un système de paiement des factures en ligne via internet, éviterait ainsi toute difficulté pour les enfants.

Exclusion pour mauvais comportement : obligation de sanctions préalables

Enfin, les témoignages reçus par le défenseur des Droits ont révélé plusieurs difficultés liées aux sanctions de comportements qui consistent à exclure un enfant de la cantine : certaines sont prononcées alors qu'aucun règlement intérieur ne les prévoit, d'autres ont pour effet d'exclure un enfant, sans dialogue préalable avec les parents, dans des conditions qui peuvent être traumatisantes pour l'enfant et ses camarades.
La loi annonce que "lorsqu'un règlement intérieur prévoit la possibilité de prononcer des sanctions, le juge administratif opère un contrôle restreint de proportionnalité des mesures prises à l'encontre des enfants au regard des comportements sanctionnés. Tout règlement de cantine doit prévoir diverses sanctions préalables avant d'envisager une exclusion temporaire puis définitive du service de la cantine".
La procédure d'exclusion doit faire l'objet d'un formalisme particulier. En effet, comme toute sanction administrative, elle doit être motivée, conformément à la loi du 11 juillet 1979 sur la motivation des actes administratifs. Elle doit donc comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement.  Ainsi, l'exclusion non précédée d'une possibilité pour les parents de présenter leurs observations, est illégale. Le défenseur recommande, afin de prévenir les atteintes au règlement intérieur, d'établir un travail de collaboration et d'information entre les acteurs (mairies, personnels de restauration, parents, directeurs d'école, équipes d'animations).

 Sandrine Toussaint

* Dans le cadre de cette enquête, plus de 1.200 réclamations ont été adressées à l'institution qui présente, dans ce rapport, ses observations et ses propositions.

Les missions du Défenseur des droits
Créé par la loi organique du 29 mars 2011, le défenseur des Droits est une autorité indépendante de rang constitutionnel, qui reprend les missions exercées précédemment par quatre autorités administratives indépendantes distinctes : le médiateur de la République, le défenseur des Enfants, la Commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS) et la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (Halde).
Le défenseur des Droits exerce une mission de protection des droits et libertés, dans le cadre du traitement des réclamations individuelles qui lui sont adressées ou des cas dont il se saisit d’office.