Rénovation énergétique : le texte ouvrant le tiers-financement à l’État et aux collectivités définitivement adopté
Par un ultime vote des députés, le Parlement à donné son feu vert à l’expérimentation du mécanisme du tiers-financement qu'une proposition de loi permet, à titre dérogatoire, d’ouvrir à l’État et aux collectivités pour massifier la rénovation énergétique des bâtiments publics. Un dispositif qui porte en germe l’aspiration à changer le regard porté sur l’endettement local et la valorisation de la "dette verte".
Confrontées à un mur d’investissement pour rénover leurs bâtiments, notamment scolaires, et à la flambée des factures énergétiques, les collectivités territoriales pourront bientôt se saisir d’un nouvel outil dans le cadre des marchés publics globaux de performance énergétique, à travers le mécanisme du tiers-financement. La proposition de loi rendant possible ce dispositif à titre expérimental, pour une durée de cinq ans, a été définitivement adoptée à l’Assemblée nationale, ce 22 mars, à l'unanimité (sans les voix de LFI qui s’est abstenue). Le Sénat s'était livré au même exercice la veille en adoptant les conclusions de la commission mixte paritaire (CMP) sur ce texte consensuel porté par la majorité présidentielle, et dont la promulgation ne semble désormais qu’une simple formalité.
Dominique Faure, la ministre déléguée aux collectivités territoriales et à la ruralité y voit "une avancée très concrète" pour accélérer ce chantier crucial où "les collectivités territoriales [avec 75% du parc des bâtiments publics] sont, à l’évidence, en première ligne". "La synthèse du sixième rapport du Giec nous rappelle à nouveau l’urgence de lutter contre le réchauffement climatique", a de son côté insisté le rapporteur Thomas Cazenave (Gironde-Renaissance), revenant sur notre objectif de réduire la consommation énergétique des bâtiments à usage tertiaire de 40% d’ici 2030 et de 60% d’ici 2050. La marche est haute : "40 milliards d’euros pour la rénovation énergétique des écoles, et près de 300 milliards d’euros pour l’ensemble des bâtiments publics". Le texte permet à l’État, aux établissements publics et aux collectivités "d'investir maintenant et de lisser dans le temps le coût de l’investissement", c'est-à-dire de "le rembourser à mesure que les économies d’énergie seront réalisées", résume-t-il. "L’objectif est de faire appel à des acteurs publics ou privés qui seront chargés de réaliser les travaux ainsi que de financer l’opération".
Assurer la sécurité juridique des futurs contrats
Techniquement, le texte fait sauter un verrou de la commande publique, interdisant entre autres le paiement différé, en créant un dispositif ad hoc, pour les contrats de performance énergétique (CPE) conclus par l’État, les collectivités territoriales, leurs établissements publics et leurs groupements, sous la forme d’un marché global de performance pour la rénovation d’un ou plusieurs de leurs bâtiments. Ce type d’opération n’était pas possible jusqu’à présent, sauf à recourir aux marchés de partenariat, modalité complexe et contraignante, et donc très peu utilisée à l’appui des CPE. Plusieurs députés de l'opposition se sont toutefois inquiétés des "surcoûts importants" que le dispositif induirait, en raison des intérêts à verser, et ont soulevé des craintes d'endettement des collectivités.
Au Sénat, la rapporteure Jacqueline Eustache-Brinio (Val-d'Oise-LR) a relevé que "le tiers financeur répercutera sur l'acheteur public le coût de son avance de trésorerie". La Chambre haute a donc en particulier souhaité une plus grande transparence et une meilleure anticipation des conséquences financières des contrats, et ajouté des dispositions en faveur des EPCI ainsi que des syndicats d’énergie.
La CMP a repris l’essentiel de la version du Sénat, notamment sur les modalités de suivi de l’expérimentation, en prévoyant un bilan à mi-parcours et en enrichissant l’objet de l'évaluation. Celle-ci prendra notamment en compte l’accès des PME à ces marchés ou l’utilisation du dispositif par les plus petites collectivités. S'agissant du bilan préalable à la passation des contrats, c'est en revanche la version votée par l'Assemblée, qui précise que le recours à un tel contrat doit être "plus favorable" que le recours à d’autres modes de réalisation du projet, notamment en termes de performance énergétique, qui a été retenue. Pour sécuriser davantage les contrats, une disposition a également été ajoutée précisant que la durée d’un marché global de performance passé dans le cadre de l’expérimentation "est déterminée en fonction de la durée d’amortissement des investissements ou des modalités de financement retenues". Il s’agit de s’assurer que "ces contrats pourront être établis sur des durées longues, nécessaires pour l’amortissement de travaux de rénovation les plus ambitieux", justifie Thomas Cazenave.
La dette verte fait son chemin
Hasard du calendrier, c’est sous sa casquette de président de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation que le député de Gironde a appuyé sur l’urgence à réhabiliter l’emprunt de long terme des collectivités territoriales, lors de sa présentation, ce 21 mars, d’un rapport sur les moyens d’accélérer l’investissement des territoires dans la transition écologique, rédigé à la suite du colloque organisé début février (lire notre article du 6 février 2023).
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Si le fonds vert de 2 milliards d’euros débloqué par l’Etat "constitue naturellement le premier outil de politique publique", le levier de l’endettement paraît "le plus pertinent à mobiliser au niveau local", a t-il martelé, compte tenu des montants d’investissement en jeu. Selon l’analyse d’I4CE, il manquerait plus de 6,5 milliards d’euros par an au niveau local pour espérer parvenir à "franchir le mur" de la transition écologique. Autrement dit, les collectivités devraient doubler leurs investissements portant sur la rénovation énergétique des bâtiments publics, les tripler dans le domaine des aménagements cyclables et accroître de 50% les dépenses relatives aux transports publics, ferroviaire compris. Or, à la frilosité des décideurs locaux, soucieux de ne pas rompre la dynamique de consolidation budgétaire initiée depuis une dizaine d’années, s’ajoute la réticence des banques à prêter des montants importants sur plus de 25 ans, souligne le rapport, qui préconise de changer "la doxa" qui encadre le regard sur l’endettement local. Une démarche qui doit s’ancrer sur la mise en place de budgets verts adaptés aux spécificités des collectivités ainsi qu’un outil d’identification de la dette contractée pour atteindre leurs objectifs climatiques. Cette dette verte "serait de nature à être envisagée sous un jour plus favorable par les prêteurs et, sur un plan plus politique, mieux acceptée par les électeurs de la collectivité concernée". Ces éléments pourraient même être pris en compte dans une programmation pluriannuelle du financement de la transition écologique, pour laquelle plaide également la délégation.