Rénovation énergétique : la proposition de loi ouvrant le tiers-financement à l’État et aux collectivités adoptée à l’Assemblée
Confrontées à un mur d’investissement pour rénover leurs bâtiments, notamment scolaires, et à la flambée des factures énergétiques, les collectivités territoriales pourront bientôt se saisir d’un nouvel outil dans le cadre des marchés publics globaux de performance énergétique, à travers le mécanisme du tiers-financement, qu'une proposition de loi, adoptée par les députés ce 19 janvier, rend possible à titre expérimental.
L'Assemblée nationale a approuvé, ce 19 janvier, en première lecture, et à l'unanimité, la proposition de loi consensuelle portée par le groupe Renaissance visant à ouvrir le recours au tiers-financement à l’État et aux collectivités territoriales pour massifier la rénovation énergétique des bâtiments publics. Pour ce faire, le texte fait sauter un verrou de la commande publique, interdisant entre autres le paiement différé, en créant, à titre expérimental, un dispositif ad hoc, pour les contrats de performance énergétique (CPE) conclus par l’État, les collectivités territoriales, leurs établissements publics et leurs groupements, sous la forme d’un marché global de performance pour la rénovation d’un ou plusieurs de leurs bâtiments. Ce type d’opération n’était pas possible jusqu’à présent, sauf à recourir aux marchés de partenariat, modalité complexe et contraignante, et donc très peu utilisée à l’appui des CPE. Concrètement, le texte permet à l’État, aux établissements publics et aux collectivités "d'investir maintenant et de lisser dans le temps le coût de l’investissement", dont le remboursement "sera partiellement financé par les économies d’énergie réalisées grâce aux travaux", résume le rapporteur du texte, Thomas Cazenave. Le dispositif a en outre l’avantage de lever un autre obstacle inhérent aux marchés de partenariat, puisqu’il leur permet d’en garder la maîtrise d’ouvrage.
Un chantier colossal
"La rénovation des bâtiments est le chantier du siècle !", a réagi, le ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, Christophe Béchu, saluant le vote "d’un texte crucial et nécessaire, qui constitue un axe majeur de la planification écologique". "En ouvrant cette possibilité de tiers-financement à l’État, à ses établissements publics et aux collectivités territoriales, nous leur offrons un outil clé pour gérer à la fois l’urgence climatique et leurs finances : les collectivités n’auront pas à décaisser des sommes indispensables à d’autres politiques publiques", s’est-il expliqué. Outre la dimension d’exemplarité, il s’agit d’un "chantier primordial" pour l'atteinte des cibles de réduction de consommation d’énergie du décret tertiaire aux échéances fixées, a appuyé Thomas Cazenave. Les bâtiments publics de l’État et des collectivités représentent à eux seuls près de 400 millions de m2 (280 m2 pour les collectivités), soit 37% du parc tertiaire national. Un chiffre illustre d'ailleurs bien l’enjeu : les bâtiments publics, en particulier scolaires, sont responsables de 76% de la consommation énergétique des communes.
Un outil encadré et sécurisé…
Pour conclure ces contrats, l’État et les collectivités devront démontrer la soutenabilité budgétaire de leur opération, mais surtout son efficacité énergétique par une étude préalable de l’intérêt du projet en particulier au regard du critère de la performance énergétique. La dette issue de ces contrats "ne sera pas cachée, mais sera clairement inscrite comme telle dans les comptes des collectivités", a par ailleurs souligné le rapporteur pour éteindre les craintes exprimées à ce sujet. Le député LFI Jean-François Coulomme a malgré tout relevé "un risque potentiel fort d’endettement des collectivités territoriales et des établissements publics", s’inquiétant d’un dispositif "de nature à favoriser des pratiques corruptives". Au nom du groupe MoDem, Mathilde Desjonquères a appelé de son côté à ne pas "baisser la garde", évoquant le souvenir "des terribles emprunts toxiques" après la crise financière de 2008.
Autre clarification apportée : la durée de cinq ans d’expérimentation correspond uniquement à la période pendant laquelle ces contrats pourront être conclus. Leur durée de mise en œuvre pourra quant à elle être supérieure à cinq ans et se prolonger au-delà de la période d’expérimentation.
… ouvert à toutes les collectivités, des régions jusqu’aux communes
"Je souhaite qu’ils [ces contrats] soient accessibles à toutes les collectivités territoriales, depuis les régions jusqu’aux communes – les plus petites d’entre elles mériteront une attention particulière", a insisté le rapporteur. Le texte a été retravaillé en ce sens en commission des lois, après le dialogue engagé avec les associations d’élus, en particulier avec l’Association des maires ruraux de France (AMRF). Le seuil de 2 millions d’euros initialement prévu pour recourir à ces opérations a donc été supprimé. Pour faciliter la mutualisation des rénovations, en particulier pour les petites communes, un travail a également été réalisé avec France urbaine et la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR) en vue de clarifier la proposition de loi quant à la possibilité, pour les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) et les syndicats d’énergie, de se saisir du dispositif. Un amendement adopté en séance sécurise ainsi l’intervention des structures de mutualisation publiques (typiquement EPCI et syndicats d’énergie) dans la réalisation des études et travaux de rénovation énergétiques des bâtiments publics de leurs membres, et leur permet d’en assurer le tiers-financement. La conclusion de la convention entre la collectivité concernée et un EPCI ou un syndicat d’énergie sera susceptible, selon son contenu, d’être qualifiée de marché global de performance, le cas échéant à paiement différé, ou de marché de partenariat. Dans tous les cas, la convention devra respecter le formalisme associé à ces contrats.
Dans la perspective d’une pérennisation du dispositif expérimental introduit par le texte, la remise d’un rapport est prévue dans les trois ans. Ce dernier devra notamment examiner le recours des communes de moins de 3.500 habitants à ces contrats, grâce à la mutualisation de plusieurs opérations entre différentes communes, l’accès des petites et moyennes entreprises ou le recours à ces contrats par catégories de collectivités territoriales.
Étapes 2 et 3
Christophe Béchu y voit une première étape. La deuxième étape consistera selon lui "à définir les modalités de mise en œuvre du dispositif et à réunir l’ingénierie nécessaire", aussi a-t-il demandé à la Banque des territoires "d’étudier en détail les outils permettant d’exploiter les possibilités qu’ouvrirait l’adoption de cette proposition de loi". Pour Thomas Cazenave, c’est une évidence : "L’État devra accompagner les collectivités dans l’ingénierie que nécessitent ces contrats." Et la Banque des Territoires, mais aussi l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) et le Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (Cerema), auront sans aucun doute un rôle à jouer pour relever ce défi.
Enfin, la troisième étape se jouera devant le Parlement s’agissant "de réfléchir à la possibilité d’isoler la dette verte contractée pour réaliser la transition écologique, non pour la faire disparaître, mais pour rendre visibles les investissements effectués aujourd’hui pour éviter demain l’explosion des factures", a mis en perspective le ministre.
Deux élus RN se sont abstenus lors du vote du texte, le reste du groupe votant pour, malgré des "imperfections". La proposition de loi sera examinée par le Sénat, dès le 16 février, selon la procédure accélérée.