Neutralité carbone : les collectivités territoriales ont besoin de clarté pour massifier leurs investissements climat, selon I4CE
Dans une étude, dévoilée le 25 novembre, l'Institut de l'économie pour le climat (I4CE) appelle l’État, dans un contexte de fortes incertitudes, à fournir aux collectivités territoriales un cadre clair susceptible de les accompagner et d’orienter dans la durée l’accélération des investissements indispensables pour l’atteinte de la neutralité carbone.
Le haut niveau d’incertitude qui caractérise aujourd’hui tous les leviers de financement de l’investissement public local, en particulier obéré par la crise énergétique, est susceptible de compromettre l’accélération des actions des collectivités territoriales en direction du climat, alerte l'Institut de l'économie pour le climat (I4CE) dans une nouvelle étude publiée ce 25 novembre. Or, elles doivent à brève échéance investir 12 milliards d'euros par an dans la mobilité, l’énergie, les bâtiments, deux fois plus qu’aujourd’hui, comme l'ont montré les récents travaux d'I4CE, soit environ 20% du total de leurs dépenses d’investissement actuelles. Un travail approfondi de scénarisation des modalités de financement de l’action publique locale est donc "absolument indispensable" pour atteindre les objectifs de neutralité carbone à l’horizon 2050. Un seul mot d’ordre : donner de la visibilité en co-construisant une stratégie de financement, à la hauteur des besoins identifiés, dans le cadre des chantiers de "France Nation verte" du processus de planification écologique et de " l’agenda territorial", recommande l’Institut, qui préconise également une loi de programmation dédiée aux sujets énergie‐climat. À défaut de cadre financier stable, les acteurs locaux pourraient bien céder "à des réflexes de prudence quant au volume de leurs investissements", avertit l’étude.
Un autofinancement pris dans le brouillard
L'autofinancement est le premier des leviers de financement de l’investissement des collectivités (entre la moitié et les deux tiers, 59% en 2021). Pourtant le risque est grand que les collectivités appuient sur la pédale de frein dans la programmation de leurs investissements, y compris pour ceux dédiés au climat, eu égard à "une croissance des dépenses de fonctionnement qui pourrait être plus rapide que celles de leurs recettes, sous l’effet notamment de la crise énergétique, de l’inflation, des pressions sur la masse salariale et de la remontée des taux d’intérêt", note I4CE. Dans le débat budgétaire en cours, le principe de la stabilité des dotations d’État en valeur a par ailleurs été posé (synonyme de baisse en euros constants) et la disparition de la contribution sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) n'est pas écartée. Y aura-t-il un déficit d’épargne ? Difficile à prévoir… Le risque majeur est donc "celui d’une anticipation par les collectivités d’une contraction de leur épargne", qui conduirait inévitablement, selon l'étude, à un repli en matière d’investissements dédiés au climat.
Des dotations fléchées pas à la hauteur
Les subventions et dotations de l’État et de ses opérateurs à l’investissement local dédiées au climat sont en hausse. D’un montant total de 2,7 milliards d’euros en autorisations d’engagement (AE) en 2023, elles ont plus que doublé ces dernières années sous l’effet, notamment, de la création du "fonds vert". Près de la moitié de ces financements sont portés par France Relance (34% des AE en 2021) et par le "fonds vert" (58 % des AE en 2023). Mais c’est un peu l’arbre qui cache la forêt. Bien qu’en hausse, les subventions et dotations de l’État fléchées vers les actions climat des collectivités "ne constituent qu’une faible part des sources de financement de leurs investissements", souligne l’étude. En outre, "la pérennité" de cette modalité de financement n’est pas garantie. "Que va‐t‐il se passer après le fonds vert mis en place en 2023 ?", s’interroge I4CE, qui estime qu’"il y aurait un intérêt majeur à sortir le plus vite possible de l’ambiguïté sur le caractère permanent de ces moyens, au moins à l’échelle du quinquennat, et sur les modalités concrètes de leur répartition".
Un emprunt contrarié
L’endettement du bloc local constitue un des autres leviers de financement pour rendre possible le doublement des investissements locaux" climat" passés en revue par I4CE. C’est d'ailleurs à ce jour le plus petit levier (4% des dépenses d’investissement en 2021, soit au total 3 milliards d’euros de flux net d’emprunt). Un sujet qui mérite néanmoins d’être ouvert, d’autant que les établissements bancaires développent des offres spécifiquement dédiées à la transition écologique, par exemple via des prêts bonifiés, c’est‐à‐dire dont les taux d’intérêt sont en partie subventionnés sur fonds propres, pour la rénovation des bâtiments publics. La trajectoire de désendettement des collectivités qui émerge du projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027 - toujours en cours de discussion - ne paraît toutefois laisser aucune marge de manœuvre, privant les collectivités d’un levier essentiel, regrette l’étude.
Des besoins en ingénierie
Parmi les éléments d’incertitude, I4CE questionne enfin la capacité des collectivités à porter la transition en matière de ressources humaines et d’ingénierie. Autrement dit, il y aurait une forme de schizophrénie pour les collectivités à accroître leurs investissements climat si elles manquent des ressources capables de les concevoir et de les faire fonctionner. La quasi‐totalité des aides de l’État spécifiquement dédiées au climat vers les collectivités concernent l’investissement (seulement 0,025 milliard d’euros sont consacrés à l’ingénierie climat, hors France Relance et fonds vert). Le besoin d’ingénierie pour mettre en œuvre ces actions est de son côté évalué par I4CE à 1,5 milliard d’euros annuel, soit 2% de la masse salariale totale des collectivités. Là encore les injonctions sont contradictoires. Les collectivités doivent pour conduire la transition "augmenter leur masse salariale et donc leurs dépenses de fonctionnement, elles‐mêmes plafonnées à hauteur de l’inflation ‐ 0,5% dans le projet de loi de finances", explique l’étude.