Adaptation au changement climatique : les politiques publiques doivent changer leur logiciel
L’adaptation au changement climatique est encore loin d’être un enjeu systématiquement pris en compte par l’État et les collectivités territoriales dans leurs politiques publiques et investissements. Normes, ingénierie, financements, contractualisation… : la table ronde organisée ce 30 janvier par France Stratégie et l'Institut de l'économie pour le climat (I4CE) a notamment passé en revue les outils indispensables pour accélérer la mise en oeuvre des politiques d’adaptation dans les territoires.
L’adaptation au changement climatique doit devenir "un véritable réflexe" pour l'État et les collectivités, tel est le mot d’ordre insufflé lors de la table ronde, organisée ce 30 janvier, par France Stratégie et l'Institut de l'économie pour le climat (I4CE), en présence du ministre de la Transition écologique, Christophe Béchu, et de décideurs locaux, pour faire le point sur la politique d’adaptation dans les territoires et sa nécessaire montée en puissance, quelques mois après un été ravageur, marqué notamment par la canicule, la sécheresse et les incendies. Le message adressé à tous les ministères, aux opérateurs publics, aux collectivités, aux maîtres d’ouvrages est clair : se poser la question de l’adaptation doit devenir systématique quand on conçoit une politique ou un projet d’investissement.
Les récents travaux d’I4CE l’ont montré : chaque année, au moins 50 milliards d'euros d’investissements publics sont encore réalisés sans que l’on sache exactement si les conséquences du changement climatique sont bien anticipées. Politiques d’atténuation et d’adaptation sont bel et bien complémentaires. "Il nous faudra éviter l'ingérable, par les politiques de décarbonation, tout en gérant l'inévitable, par l'adaptation aux changements climatiques", résume dans une formule forte Morgane Nicol, directrice de programme à I4CE. Contrairement à l’atténuation, synonyme de neutralité carbone à horizon 2050, pour laquelle la France ne détient pas à elle seule les clés, la réussite des politiques d’adaptation "ne dépend que de nous", relève Cédric Audenis commissaire général adjoint de France Stratégie, autrement dit "l’impréparation est désormais un choix", appuie Morgane Nicol.
Un objectif mieux compris et mieux partagé
Le coût de l’inaction face au changement climatique est aujourd’hui un élément des plans Climat Air Énergie territoriaux (PCAET). L’adaptation est donc "un objectif mieux compris et mieux partagé", constate Morgane Nicol, et elle devrait être au cœur de l’agenda politique de 2023, et en particulier de la prochaine loi de programmation énergie-climat. Il y a désormais "un consensus sur le fait qu’il faut avancer. La question aujourd'hui est : comment on accélère l’adaptation ?", souligne-t-elle.
"On est en train de sortir du tabou sur l’adaptation", se félicite également Ronan Dantec, sénateur de la Loire-Atlantique et président de la commission spéciale chargée de l'orientation de l'action de l'Observatoire national sur les effets du réchauffement climatique au sein du Conseil national de la transition écologique (CNTE). L'étape d’après étant, selon lui, "de tous avoir la même référence sur laquelle travailler et ne pas exclure l'hypothèse d’un scénario principal de + 4°C qui soit au-dessus des objectifs de l'Accord de Paris".
La future loi de programmation énergie-climat qui va définir la trajectoire sera donc un moment clé. "Sans capituler, on doit modéliser des trajectoires plus pessimistes", admet Christophe Béchu, qui envisage d'ailleurs "deux scénarios dans notre stratégie d’adaptation autour de 2 et 4 °C". Assumer une trajectoire, c’est à la fois éviter l’écueil de la "maladaptation" et "crédibiliser nos trajectoires sur le long terme". "Pour lever les blocages, il faut objectiver le coût de l’inaction. Le pire serait qu’on laisse faire des choses en ne prêtant pas attention à ce que les experts nous disent. On n’a pas le temps, et c’est un gaspillage de ressources que l’on ne peut se permettre", insiste le ministre s’appuyant sur l’exemple bouillant du zéro artificialisation nette (ZAN).
Des collectivités en mouvement mais des moyens humains et financiers à conforter
Il y a quand même des "bonnes nouvelles"… "Des solutions sont identifiées et on voit un peu partout des innovations prometteuses au sein des territoires", souligne Morgane Nicol, citant par exemple, le GIP littoral aquitain, la station Metabief dans le Jura ou la prospective transport de la région Sud. Une grande partie des mesures reposent en effet sur les collectivités, qui disposent d’importants leviers d’adaptation et doivent dès maintenant mettre en place de nombreuses actions sans regret. Elles ne pourront toutefois les mobiliser que si certaines conditions sont réunies au niveau national, et notamment pour des questions d’équité et de solidarités territoriales. Morgane Nicol en identifie quatre : des exigences, une gouvernance, qui permettent de se poser les bonnes questions au bon moment, des moyens humains et de l’ingénierie et enfin des financements. L’analyse est partagée par Ronan Dantec. À ses yeux "on n’est pas si loin d’y arriver". Toutefois, si les cadres de la relation entre l'État et les collectivités ont été "globalement écrits", " il manque le flux financier" et "un coup de pouce sur l’ingénierie pour les intercos" au risque de se trouver dans un goulet d’étranglement. Selon lui, il faut sortir d’une logique de financement par projets pour rentrer dans "une logique de dotations et de contractualisation sur les objectifs d’investissement".
Le fonds vert doté de 2 milliards d’euros est un dispositif inédit, rappelle Christophe Béchu, qui met également en perspective la discussion sur les nomenclatures de budgets verts pour les collectivités prévue en juin. Pourrait s’en suivre un débat sur la dette verte des collectivités. Le ministre a en outre évoqué la bonification des aqua-prêts dans le cadre du plan Eau. Il faut aussi réfléchir, selon lui, "en crédits en moins dans certains domaines", en arrêtant de financer des "dépenses brunes". L’urgence exige de "s’affranchir du cadre budgétaire", relève t-il, évoquant notamment la proposition de loi ouvrant aux collectivités le mécanisme du tiers financement en matière énergétique adoptée à l’unanimité par l’Assemblée nationale la semaine dernière. C’est donc "la totalité du chantier du financement" qui est à conduire en parallèle de celui des actions, notamment sur le ZAN. Le changement climatique met par ailleurs le secteur de l’assurance à rude épreuve. Cédric Audenis a fait écho de questionnements là encore essentiels : quelle responsabilisation des acteurs privés? quelle mutualisation des risques ? qu’est-ce que la solidarité nationale va prendre à sa charge ?
Prendre le temps de la pédagogie
"Nos chantiers en tant que collectivités locales sont simples : comment rendre à marche forcée nos territoires résilients, transformer notre utilisation des ressources et reconstruire la ville selon de nouveaux concepts de sobriété et de bien-être", schématise Sébastien Leroy, maire de Mandelieu-la-Napoule. Pour l’édile, cela suppose "plus de souplesse" et "non plus de normes", et donc de "révolutionner notre système réglementaire" pas adapté à une mise en oeuvre rapide sur le terrain.
Rendre l’adaptation opérationnelle, en travaillant avec la diversité des collectivités, en tenant compte de leur degré d’avancement sur la question, c’est une des préoccupations de l’Ademe. Son président, Boris Ravignon, sous sa casquette de maire de Charleville-Mézières, a également mis en relief l’importance des études pour concevoir des projets qui prennent bien en compte les évolutions du climat, au besoin en développant "une pédagogie du temps d’étude". La singularité du travail d'adaptation est que le défi est différent pour chaque territoire. L’Ademe est là pour "réconcilier les différents niveaux", c’est-à-dire faire le lien "entre la stratégie - le besoin d'une trajectoire de référence - et la réalité en proposant des méthodologies pratiques". La prise en compte de l’évolution du climat demande avant tout du temps de pédagogie, d’animation, de conduite de projets et de l’expertise.
La priorité est d’embarquer les parties prenantes
"La norme, c’est l’État. L’application de la norme, ce sont les collectivités", simplifie Ronan Dantec, qui invite à trouver "des formes de souplesse y compris parfois de dérogations, des lieux de consensus et de la mutualisation". Pour Marie-Guite Dufay, présidente de la région Bourgogne-Franche-Comté, "la priorité des priorités, c’est d’embarquer tout le monde" dans la trajectoire d’adaptation qui doit-être "l’épine dorsale dans tous les projets qui nous sont proposés". C’est une évidence sur le sujet de l’agriculture, sur lequel la région Bourgogne-Franche-Comté, touchée par la sécheresse, s’est notamment impliquée dans les audits d’exploitations agricoles. L’adaptation génère des conflits d’usage et des arbitrages politiquement difficiles. Aussi, associer l’ensemble des parties prenantes, c’est s’assurer d’avancer dans la durée, sur la gestion de l’eau en particulier.