Rénovation énergétique : le Sénat vote le texte ouvrant le tiers-financement à l’État et aux collectivités
Le Sénat a donné son feu vert à l’expérimentation du mécanisme du tiers-financement qu'une proposition de loi déjà adoptée par les députés permet, à titre dérogatoire, d’ouvrir à l’État et aux collectivités pour massifier la rénovation énergétique des bâtiments publics. Des améliorations ont été apportées en commission pour rendre le dispositif plus accessible et favoriser les synergies locales, en permettant notamment la prise en charge des travaux par les EPCI, ainsi que pour renforcer son suivi et son évaluation, afin que les collectivités en difficulté puissent être rapidement identifiées et accompagnées.
Le Sénat a adopté ce 16 février en première lecture la proposition de loi consensuelle portée par le groupe Renaissance visant à ouvrir le recours au tiers-financement à l’État et aux collectivités territoriales pour massifier la rénovation énergétique des bâtiments publics, après l’avoir remanié en commission des lois. L’ensemble du texte a été voté à main levée, sans les voix du groupe communiste qui s'est abstenu, quelque peu "dubitatif sur l’effet levier espéré" et craignant que "les TPE/PME soient sacrifiées au profit des grandes boîtes du BTP". La proposition de loi, qui prévoit une expérimentation de l'outil pendant cinq ans, a déjà été adoptée par l'Assemblée nationale le 19 janvier, et pourrait, suivant le souhait du gouvernement, être opérationnelle "à l’été". La commission mixte paritaire qui doit à présent se réunir devrait parvenir à un accord sans difficultés. Ce texte doit en effet avant tout être apprécié au regard du "mur d’investissement" auquel doivent faire face les collectivités pour rénover leurs bâtiments, notamment scolaires, et à la flambée des factures énergétiques. Les chiffres fournit par le ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, Christophe Béchu, sur ce "chantier colossal" sont éloquents : il faudrait entre 400 et 500 milliards d’euros pour procéder à la rénovation énergétique des 400 millions de m2 du parc public (300 millions de m2 pour les collectivités).
Un régime dérogatoire ad hoc
Concrètement, le texte permet à l’État, aux établissements publics et aux collectivités de faire reposer sur un tiers le financement initial des travaux, puis de ne s'acquitter de leur dette qu'une fois les travaux terminés, c’est-à-dire une fois que ceux-ci leur auront permis de réaliser des économies d’énergie. Pour ce faire, il fait sauter un verrou de la commande publique, en leur permettant de recourir à titre exceptionnel au paiement différé dans le cadre des contrats de performance énergétique (CPE), sous la forme d’un marché global de performance pour la rénovation d’un ou plusieurs de leurs bâtiments. Ce type d’opération n’était pas possible jusqu’à présent, sauf à recourir aux marchés de partenariat, modalité complexe et contraignante, et donc très peu utilisée à l’appui des CPE. Il ne s’agit donc pas d’en revenir aux partenariats public-privé (PPP). Premièrement, le dispositif vise à déléguer les travaux, et non pas la gestion du bâtiment. Or les PPP requièrent un transfert de maîtrise d’ouvrage. Deuxièmement, il est fléché vers le secteur public, avec la particularité de pouvoir s’appuyer "par exemple, sur son intercommunalité, sur la Banque des Territoires, une SEM [société d’économie mixte], une SPL [société publique locale] ou même un syndicat d’énergie en n'ayant pas la difficulté de se demander quel est le niveau de profit ou de rentabilité du dispositif", a souligné le ministre.
Un outil complémentaire mais pas l’alpha et l’oméga
À première vue, ce nouvel outil juridique "semble une bonne idée", a reconnu la rapporteur Jacqueline Eustache-Brinio (LR), tout en estimant que "les conditions de passation de ces contrats sont lourdes, ce qui risque de limiter fortement l'intérêt du dispositif pour les propriétaires publics". Elle considère donc cette expérimentation "davantage comme un outil complémentaire pour favoriser la transition énergétique qu'une solution miracle pour alléger le budget des collectivités territoriales peinant à respecter leurs engagements en matière de rénovation énergétique".
La commission des lois y a apporté des modifications, par l’adoption d’une dizaine d’amendements, de façon à simplifier le recours à ce dispositif et à renforcer son suivi et son évaluation, consciente de l'incitation à la dette qui peut résulter de l'ouverture du paiement différé et des "surcoûts" qu’entraîne le dispositif du tiers-financement. Tout en recentrant le bénéfice du dispositif sur la seule expérimentation de la proposition de loi, elle l’a ainsi étendu à la prise charge des travaux de performance énergétique par les EPCI et les syndicats d'énergie qu'autorise déjà le code général des collectivités territoriales (CGCT). Elle a également adopté l’amendement du gouvernement, qui en assouplit les conditions de mise en oeuvre lorsque les contrats portent sur plusieurs bâtiments. Afin de rendre plus opérationnel le dispositif, une précision a été apportée, prévoyant que le recours à ce type de contrat peut intervenir s'il apparaît "au moins aussi favorable" que les autres contrats publics. En parallèle, pour éviter toute situation de surendettement, elle a accru le degré de précision attendu de l'étude de soutenabilité budgétaire, celle-ci devant identifier clairement les incidences budgétaires pour chacune des parties prenantes, lorsque le marché est conclu pour le compte de plusieurs personnes morales.
Christophe Béchu voit dans le vote de cette proposition de loi une première étape. "Il faudra que les véhicules qui permettent de s’en saisir de manière simple existent : ingénierie, offres de prêts structurés, dispositifs permettant d’accompagner, y compris les régions ou les départements, qui décideraient de les accélérer sur leur territoires", a-t-il insisté, avant de mettre en perspective le chantier de la "dette verte". Le ministre a notamment souhaité que la Banque des Territoires élabore un outil permettant aux communes de bénéficier d'offres d'ingénierie et de s'assurer de la confiance du tiers-financeur pour porter ces investissements.