Réindustrialisation verte : deux missions en une pour mobiliser le foncier disponible
Concilier réindustrialisation et sobriété foncière : ce sera l'un des grands enjeux du projet de loi Industrie verte en cours de préparation. Sans attendre, le gouvernement souhaite un recensement de tout le foncier industriel existant. Une mission a été confiée au préfet Rollon Mouchel-Blaisot. Dans ce cadre, la Banque des Territoires travaille, avec le Cerema et les intercommunalités, à un outil cartographique sur le foncier d'activité.
Dans la bataille mondiale qui se joue sur la réindustrialisation verte, l’accès au foncier devient éminemment stratégique. Surtout dans un contexte de raréfaction en France, liée au zéro artificialisation nette (ZAN). Si la France est souvent pointée du doigt par les chefs d’entreprises pour ses lourdeurs administratives, des progrès ont été accomplis avec le programme de "sites clés en main" : une soixantaine de sites industriels "purgés" de toutes procédures (études quatre saisons, fouilles…). Mais la plupart d’entre eux sont aujourd’hui occupés ou en passe de l’être. L’accès au foncier industriel sera donc une des cinq grandes priorités du projet de loi Industrie verte en cours de préparation et attendu pour l’été. Dans le cadre de ce chantier, le ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, Christophe Béchu, et le ministre chargé de l’industrie, Roland Lescure, ont confié deux missions à l’actuel directeur du programme de revitalisation des villes moyennes Action cœur de ville (ACV), le préfet Rollon Mouchel-Blaisot, et au directeur général de la Banque des Territoires, Olivier Sichel.
Dans leur lettre de mission envoyée au premier, les deux ministres font état d’études témoignant d’une "pénurie croissante du foncier économique dans tous les territoires" et d’une "plus grande concurrence entre les différents usages dépendant de l’accès au foncier, tels que l’habitat, les activités économiques et les équipements publics". Dans le contexte du ZAN, la sobriété foncière devient "un enjeu écologique mais aussi économique majeur", soulignent-ils. Dans sa mission "flash", le préfet se voit ainsi chargé de "recenser l’offre disponible", de "qualifier la demande des entreprises" et de "faciliter l’accueil des projets industriels, développer les outils de portage de projets fonciers et favoriser les meilleures pratiques en matière d’aménagement et de gestion du foncier". Il lui est demandé de travailler "très étroitement" avec les régions, les intercommunalités et les associations d’élus. Il pourra s’appuyer sur les différentes administrations de l’État et les opérateurs tels que Business France (qui suit notamment tous les investissements étrangers en France), la Banque des Territoires et le Cerema. Le gouvernement souhaite des conclusions rapides, avec une première contribution au mois de mai dans le cadre du sommet Choose France et un "bilan" à l’été 2023.
"Nombre de ZAE ne correspondent plus aux besoins actuels"
Olivier Sichel est chargé dans ce cadre de mettre au point, avant la fin de l’année, un portail national répertoriant les disponibilités foncières et immobilières à vocation productive (industrie, logistique, artisanat, etc.). L'enjeu : faciliter le repérage rapide des fonciers disponibles à court terme (moins d'un an), assurer une visibilité de l'offre foncière des territoires selon son degré de disponibilité (court, moyen et long terme) et, permettre aux investisseurs de faire un choix éclairé. La Banque des Territoires s’appuiera sur l’expérience acquise avec le portail Dataviz Territoires d’industrie (un service de datavisualisation et de cartographie agrégeant des données publiques et privées sur l’industrie). Elle travaillera avec le Cerema et avec les intercommunalités qui, en vertu de la loi Climat et Résilience du 22 août 2021, doivent réduire de moitié leur consommation foncière d’ici à 2030. Les intercommunalités doivent aussi avoir mené un inventaire de leurs zones d’activités économiques (ZAE) au plus tard le 21 août 2024. On est encore loin du compte. Selon une étude d’Intercommunalités de France publiée en début d’année, seules 6% des "intercos" ont réalisé cet atlas, 40% ne l’ont pas fait et les autres ne savent pas si elles pourront tenir les délais. "Dans un premier temps, on se met au service des intercommunalités, on travaille aussi main dans la main avec les régions et les agences régionales de développement économique. (…) On fait se parler tout l’écosystème, la Banque des Territoires intervient comme un facilitateur, l’objectif est de devenir un tiers de confiance de tous les acteurs sur le foncier", souligne Thomas Raulet, chargé de piloter le projet au sein de la Banque des Territoires. Le portail agrégera ainsi toutes les données des collectivités et des opérateurs. Il devrait être livré cet automne.
Dans sa contribution au projet de loi Industrie verte, Intercommunalités de France estime qu’au-delà de la raréfaction du foncier se pose la question de sa qualité car "nombre de ZAE ne correspondent plus aux besoins actuels des industriels, ni aux impératifs écologiques (densité, mobilité décarbonée, mixité des activités)". S’ajoutent à cela "des délais d’implantations comparativement plus longs en France que dans un certain nombre d’autres pays européens, ce qui limite fortement l’attractivité industrielle de notre pays".
"Il faut travailler sur la cartographie des friches avant de se dire qu’il n’y a pas assez de zones"
L’inquiétude monte avec l’Inflation Reduction Act (IRA) de Joe Biden qui, selon La Tribune, a déjà engendré une "pluie d’investissements européens" sur le sol américain. Ces enjeux sont bien dans le viseur du coordonnateur de la préparation du projet de loi, le député Guillaume Kasbarian, président de la commission des affaires économiques, à l’origine des "sites clés en main". Les premières pistes des cinq groupes de travail (financement, commande publique, foncier, fiscalité, compétences), composés d’élus et de chefs d’entreprises, ont été présentés lors d’une réunion à Bercy, le 8 mars. "Les procédures d’implantation sont trop longues", a insisté à cette occasion Marie-Claude Jarrot, maire de Montceau-les-Mines et présidente du Cerema, animatrice du groupe "foncier" qui a mené 27 auditions auprès d’entreprises ou d’organismes publics. Selon elle "les sites clés en main sont peu nombreux", "les entreprises ont encore du mal à se mettre dans le principe de l’économie circulaire", et les acteurs ont "besoin d’une gouvernance en mode projet pour résorber les friches". "Il faut travailler sur la cartographie [des friches] avant de se dire qu’il n’y a pas assez de zones pour implanter une usine", a insisté l’élue, expliquant que ce travail relevait des Sraddet mais qu’il avait besoin d’être complété avec les élus.
"Il va falloir lever ces points de blocage", a abondé la députée Marie-Agnès Poussier-Winsback (Horizons, Seine-Maritime), qui coanime ce groupe. Il faut selon elle ramener les procédures de "neuf à six mois" en permettant aux différents organismes de travailler "en parallèle" et "s’attaquer au sujet des purges de contentieux qui sont un vrai problème". "On l’a vu avec les parcs éoliens en mer : comment faire pour sortir des projets dans des délais raisonnables ", a insisté la députée.
En conclusion de cette réunion, le ministre de l'Économie, Bruno Le Maire, a affirmé vouloir un projet de loi "court et puissant". Selon Guillaume Kasbarian, il devrait être resserré autour d'une dizaine d'articles. Fin mars, les propositions des groupes de travail seront "stabilisées" avant d'être testées sur le terrain en avril-mai. Certaines passeront par des mesures budgétaires et réglementaires. Le projet de loi serait présenté en conseil des ministres en juin pour une première lecture à l'Assemblée cet été.