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Apprentissage - Régions, CFA, grandes écoles... les déçus de la réforme de l'apprentissage

La réforme de l'apprentissage entérinée par la loi du 5 mars 2014 ne fait pas l'unanimité. Malgré la nouvelle fraction régionale, certaines régions estiment qu'elles ne gagneront pas de ressources supplémentaires. Les CFA regrettent de ne plus bénéficier de la part du hors-quota. Et les grandes écoles se plaignent du manque à gagner dû à la réduction de la part hors quota...

La réforme de l'apprentissage entérinée par la loi du 5 mars 2014 relative à la formation professionnelle, à l'emploi et à la démocratie sociale, ne fait pas que des heureux, notamment parmi les régions. "En ce qui concerne le nerf de la guerre, la capacité de financement du système, je reste sur ma faim", regrette Emmanuel Maurel, vice-président du conseil régional d'Ile-de-France, chargé de la formation professionnelle, de l'apprentissage et de l'alternance.
Une réaction d'autant plus étonnante que les régions devaient être les grandes bénéficiaires de la réforme. L'enjeu : la composition de la taxe d'apprentissage versée par les entreprises et sa répartition. L'objectif est d'en flécher une plus grande part vers l'apprentissage lui-même et moins au profit des grandes écoles. Deux modifications importantes sont intervenues. La nouvelle taxe d'apprentissage (NTA) a en fait été créée par la loi de finances rectificative pour 2013 : elle s'élève à 0,68% de la masse salariale des entreprises et est issue de la fusion de la taxe d'apprentissage (0,50%) et de la contribution au développement de l'apprentissage (0,18%).
Autre changement - et c'est une des mesures-clés de la loi du 5 mars : la répartition de la nouvelle taxe, avec la création d'une fraction régionale concernant le "quota", c'est-à-dire la part exclusivement réservée à l'apprentissage. Les régions devraient ainsi en percevoir plus de la moitié. Jusqu'à maintenant, le produit de la taxe d'apprentissage était réparti entre ce qu'on appelle le quota (57%) et le "hors-quota" (43%). Dans le détail, 22% du quota était versé au Fonds national de développement et de modernisation de l'apprentissage (FNDMA), qui revenait principalement aux régions, et 35% aux centres de formations des apprentis (CFA). Le hors-quota, également appelé "barème", correspondait aux sommes que les entreprises pouvaient librement affecter aux établissements de leur choix, dans une répartition fixée à 40% pour les établissements de niveaux IV et V (CAP-BEP à baccalauréat), 40% pour les établissements de niveaux II et III (Bac+2 à Bac+4) et 20% pour les établissements de niveau I (Bac+5).
Au 1er janvier 2015, cette répartition change. Le hors-quota passe à 23% au lieu de 43%. Il exclut dorénavant les versements réalisés au bénéfice des CFA, pour ne financer que les formations dispensées hors du cadre de l'apprentissage, à partir d'une liste d'établissements fixée par la loi. Concernant le quota, 21% sont affectés aux CFA, et une fraction régionale est créée, qui devrait correspondre au reste (56%).
Les régions accueillent avec enthousiasme la création de cette nouvelle fraction qui, selon le gouvernement, va renforcer leurs moyens. Le montant exact doit être arrêté par la prochaine loi de finances pour 2015, mais selon la loi de finances rectificative pour 2013, il sera au moins égal à 55% du produit de la taxe. "Réserver une fraction de la nouvelle taxe aux régions est une mesure qui va instiller plus de justice et d'équité dans le système de financement de l'apprentissage, se satisfait Emmanuel Maurel. De plus, c'est une garantie de l'impartialité dans la répartition des fonds libres aux CFA." Mais pour le vice-président, cette nouvelle répartition ne va pas modifier les recettes actuelles des régions en matière d'apprentissage… "Je persiste et signe : avec 55% de la nouvelle taxe d'apprentissage, les régions ne sont pas les gagnantes décrites par les médias et certains acteurs de l'apprentissage. Tout simplement parce que ces 55% correspondent peu ou prou au montant des recettes actuelles des régions", détaille ainsi Emmanuel Maurel. Et d'expliquer qu'avec le système antérieur, les régions touchaient 22% du quota, ainsi que 100% de la contribution au développement de l'apprentissage  via le FNDMA, des reliquats du FNDMA des années précédentes liés à une redistribution incomplète des enveloppes dédiées aux contrats d'objectifs et de moyen (COM) signés entre les régions et l'Etat, ainsi qu'une partie de la contribution supplémentaire à l'apprentissage (CSA)*.

300 millions d'euros nécessaires pour atteindre l'objectif de 500.000 apprentis

"Cumulées, ces recettes atteignent déjà les 55%. D'ailleurs, à la demande des régions, la loi de finances (rectificative pour 2013, ndlr) indique bien que les 55% de la NTA sont seulement un plancher." Pour le vice-président, il faudrait 300 millions d'euros de crédits supplémentaires pour atteindre l'objectif du gouvernement de 500.000 apprentis d'ici 2017. Or, la réforme conditionne l'apport de ressources supplémentaires pour l'apprentissage à l'augmentation de la masse salariale. "Si celle-ci est dynamique, alors les régions auront davantage de ressources. Sans cette dynamique, on reste à moyens constants, et si la masse salariale s'avérait en baisse, ce qui est déjà arrivé, en 2010 par exemple, alors les ressources des régions diminueraient", prévient Emmanuel Maurel.
Autre inquiétude : la répartition financière de la taxe entre les régions. "Je ne vous cache pas que la question des modalités de répartition du futur fonds national de péréquation entre les régions va être au centre de nos échanges avec les autres régions. C'est clairement un des enjeux de la période à venir", souligne le vice-président. D'après ses informations, le nouveau fonds devrait être doté de 1,6 milliard d'euros grâce à la mise en place de cette fameuse fraction régionale (55%) de la NTA. "Franchement, j'aurais souhaité une réforme plus ambitieuse, tranche Emmanuel Maurel. Le projet du gouvernement ne modifie pas sensiblement le volume de la taxe d'apprentissage dédié à l'apprentissage."
Mais les régions ne sont pas les seules à s'inquiéter des conséquences de la réforme. Du côté des directeurs de CFA, l'agitation bat son plein. "On nous annonce une grande loi sur l'apprentissage et on accouche de quelques mesures, plus contraignantes pour les CFA, fulmine Gilles Langlo, président de la Fédération nationale des associations régionales des directeurs de centres de formation des apprentis (Fnadir). Dans le même temps, on met en place 150.000 emplois d'avenir qui ne déboucheront pas sur de l'insertion. On est à côté de la plaque par rapport à la formation des jeunes."
Le responsable de la Fnadir regrette l'effet négatif des suppressions successives des aides accordées aux employeurs d'apprentis : le remplacement dans le budget 2014 de l'indemnité compensatrice forfaitaire (ICF) par une prime destinée uniquement aux petites entreprises de moins de dix salariés, et la suppression du crédit d'impôt apprentissage au-delà de la première année de formation du jeune et quand le jeune prépare un diplôme de niveau supérieur à Bac+2. Concernant les ressources financières disponibles pour l'apprentissage, la Fnadir rejoint la région Ile-de-France, insistant sur le fait que l'augmentation des ressources dépendra de la dynamique de la masse salariale…

Une "incidence financière évidente" sur les grandes écoles

Autre sujet de mécontentement : la suppression pour les CFA de la possibilité de bénéficier du hors-quota. "C'est un marché de dupes, s'insurge Gilles Langlo. Ce que change la loi, c'est la surface de responsabilité des CFA mais sans moyens supplémentaires… La coupe est pleine !" Dans le cadre de la loi, les missions des CFA sont en effet précisées et élargies. Les CFA doivent désormais assurer "la cohérence entre la formation dispensée en leur sein et celle dispensée au sein de l'entreprise", développer "l'aptitude des apprentis à poursuivre des études", ou encore aider les postulants à l'apprentissage à trouver un employeur. "Sur le fond, nous sommes d'accord, mais le fait d'inscrire ces missions dans la loi les rend opposables", déplore Gilles Langlo.
Les grandes écoles font elles aussi part de leurs craintes liées à la réduction de la part des fonds librement affectés par les entreprises. "Pour nous, il y a une incidence financière évidente. C'est le début d'une tendance qui pourrait amener à ce que les fonds libres soient réduits à néant", précise Philippe Jamet, président de la Conférence des grandes écoles (CGE). D'après lui, la baisse du hors-quota pourrait engendrer une perte de 150 millions d'euros pour les grandes écoles. Un impact qui n'est pas compensé par ailleurs, alors que cette somme leur permet de financer des investissements, des bourses ou des innovations pédagogiques. Philippe Jamet regrette aussi le choix du gouvernement de dédier une part de la taxe d'apprentissage aux régions. "Nous allons injecter des quantités colossales de la taxe dans les régions dont l'efficience est inégale", assure-t-il, regrettant également la disparition des COM apprentissage. "Le coup est parti, nous allons veiller à ce qu'il n'y ait pas un deuxième train de mesures, et à être présents en région pour que l'enseignement supérieur ne soit pas défavorisé", ajoute Philippe Jamet.
A l'inverse, les régions, à l'image de l'Ile-de-France, se réjouissent de la suppression de ces COM. "Cette mesure paraît logique avec la réaffirmation du fait que l'apprentissage est une compétence pleine et entière des régions", signale ainsi Emmanuel Maurel, précisant toutefois que les conseils régionaux vont continuer à signer des COM territoriaux, et des COM avec les chambres consulaires, les organisations représentatives d'employeurs et de salariés et l'Etat. Autres points positifs soulignés par le vice-président : la simplification induite par la loi, avec notamment la réduction du nombre d'organismes collecteurs de la taxe d'apprentissage (Octa), la possibilité de signer des contrats d'apprentissage en CDI, de renforcer le rôle des CFA et la réaffirmation du principe de gratuité de la formation…

Emilie Zapalski


*La CSA est une taxe additionnelle à la taxe d'apprentissage. Elle a été instituée par la loi du 24 novembre 2009 relative à l'orientation et à la formation professionnelle tout au long de la vie. Elle est versée par les entreprises de 250 salariés et plus dont le seuil de 4% de salariés en alternance n'est pas atteint.