Action sociale - Réforme des tutelles : un délai pour les départements
Le Conseil des ministres a examiné ce 28 novembre le projet de loi de réforme des tutelles. "Une réforme importante et très attendue", a souligné Jacques Chirac, estimant comme beaucoup d'autres que "face aux évolutions de la société, notre système de tutelles était devenu inadapté".
Les objectifs et les axes de la réforme sont connus de longue date : il en est question depuis plusieurs années... et un avant-projet de loi avait été présenté aux parlementaires dès mars dernier (voir ci-contre notre article "La réforme des tutelles en voie de finalisation"). La réforme était d'ailleurs à ce moment-là annoncée comme imminente...
Le projet de loi doit maintenant être examiné par l'Assemblée nationale le 16 janvier prochain, et par le Sénat en février. Sachant que la session parlementaire s'achèvera le 20 février, une adoption définitive suppose que l'urgence soit déclarée sur ce texte.
S'il est effectivement adopté dans les temps, comme s'y est engagé le Gouvernement, son entrée en vigueur devrait intervenir en plusieurs étapes. Certaines mesures, en effet, telles que le nouveau "mandat de protection future" (possibilité pour chacun de désigner à l'avance une personne physique ou morale chargée de gérer ses affaires dans l'hypothèse où l'on n'en aurait plus la capacité), devraient entrer en vigueur dès la promulgation de la loi.
Les travailleurs sociaux en première ligne
Tout le volet "social" de la loi, en revanche, ne devrait être mis en oeuvre qu'au 1er janvier 2009. Ce délai a été décidé, selon le ministre délégué Philippe Bas, qui a présenté le projet à la presse, pour permettre aux départements "de s'organiser et d'anticiper l'évolution de leurs missions". "Lors des discussions approfondies que nous avons eues avec l'Assemblée des départements de France, les élus des conseils généraux ont insisté sur le fait qu'il leur fallait du temps", a-t-il ajouté.
Cette réforme aura en effet un fort impact sur les départements, puisqu'elle prévoit de faire basculer dans le champ de l'action sociale les cas qui relèvent aujourd'hui abusivement d'une mesure judiciaire. Le ministre de la Justice, Pascal Clément, qui porte le projet avec Philippe Bas, estime qu'environ les deux tiers des personnes aujourd'hui concernées par une mesure de tutelle ou de curatelle sortiront du cadre de la protection juridique pour bénéficier d'un dispositif d'accompagnement social.
C'est désormais le conseil général, et non plus le juge des tutelles, qui prendra en charge tous les "blessés de la vie, isolés, parfois alcooliques, souvent malades ou dépressifs, sans logement, frappés par le chômage et la précarité" qui ne peuvent plus gérer leur vie, a détaillé Philippe Bas. Ces personnes passeront un "contrat" avec les travailleurs sociaux du département qui les accompagneront. En cas d'échec, on passera à une "mesure d'assistance judiciaire", où la personne sera aidée par un tiers qui gérera pour elle ses prestations sociales.
Réévaluation tous les cinq ans
Les mesures d'accompagnement social pourront être mises en oeuvre soit directement par le département, soit par une association qu'il conventionnera. "Ce réseau d'associations est le partenaire naturel des collectivités territoriales, il le restera", a noté Philippe Bas.
Seront laissées au juge les seules personnes "réellement atteintes d'une altération médicale de leurs facultés". Pour elles, la justice aura toujours le choix entre un régime de tutelle, les privant de la majeure partie de leurs droits, ou de curatelle, version plus légère prévoyant conseil et contrôle. Désormais, le juge ne pourra trancher qu'après avoir auditionné la personne, laquelle pourra être assistée d'un avocat et donner son avis. Au bout de cinq ans maximum, une nouvelle audience devra faire le point.
La future loi entend aussi assainir le secteur alors qu'en France, outre les associations ou les proches, 4.500 mandataires privés s'occupent chacun d'une dizaine de personnes. La création d'un certificat national de compétence unique quel que soit le statut du mandataire (privé, association, hôpital ou maison de retraite), la constitution d'une liste de mandataires tenue par le préfet et un renforcement des contrôles doivent permettre de prévenir les abus.
L'ADF préfère temporiser
Utiliser "l'accompagnement social plutôt que la tutelle" sera source d'économies, a assuré le ministre délégué. Selon lui, en 2013, le coût global du nouveau dispositif sera de 496 millions d'euros, au lieu de 640 millions si rien n'est fait.
Du point de vue des départements, les deux ministres ont rappelé que les conseils généraux finançaient aujourd'hui les mesures de tutelles aux prestations sociales pour les personnes qui perçoivent le RMI, l'APA ou la PCH. Après la réforme, ce financement relèvera de l'Etat. Il a aussi été assuré qu'en cas de charges nouvelles liées à l'accompagnement social personnalisé, celles-ci "seraient intégralement compensées par l'Etat".
Malgré ces garanties, l'ADF a réagi dès mardi, s'étonnant que ce projet de loi ait été présenté "alors même que l'examen de textes importants tels que celui sur la protection de l'enfance n'est pas achevé, ne le sera pas de manière certaine avant la fin de la législature et n'est pas financé". Tout en reconnaissant que la réforme est "nécessaire", Claudy Lebreton, le président de l'ADF, aurait préféré qu'elle "devienne, plus raisonnablement, l'une des priorités de la prochaine législature" afin d'être "débattue dans la sérénité et l'efficacité".
Claire Mallet