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Médicosocial - Réforme de la tarification des Ehpad : un consensus pour "neutraliser les effets", mais après ?

Au-delà de la mesure d'urgence retenue par la ministre des Solidarités pour "neutraliser" en 2018 et 2019 les impacts négatifs de la convergence tarifaire, le rapport du médiateur Pierre Ricordeau remis le 18 avril explore plusieurs pistes pour accélérer la "transformation" du modèle des Ehpad. Parmi les dispositions tarifaires : la possibilité pour les départements de mettre en place des "crédits complémentaires dépendance", une meilleure mobilisation des contrats pluriannuels d'objectifs et de moyens au service de la convergence ou encore la valorisation des activités de prévention dans la tarification. Au-delà, Pierre Ricordeau plaide pour la définition d'une "stratégie de groupe pour le secteur public" et invite à clarifier le positionnement des Ehpad et à faire évoluer la réglementation.  

Après avoir reçu officiellement, il y a quelques jours, le rapport de Pierre Ricordeau, inspecteur général des affaires sociales (Igas) et ancien secrétaire général des ministères sociaux, sobrement intitulé "Relevé des échanges et propositions de la mission de médiation sur la mise en place de la réforme de la tarification dans les Ehpad" (établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes), Agnès Buzyn avait annoncé qu'un "ajustement" de la réforme permettrait de faire en sorte qu'il n'y ait aucun perdant en 2018 et 2019 (voir notre article ci-dessous du 18 avril 2018).

Un modèle en transformation

Si l'ensemble des acteurs ont surtout retenu la préconisation de Pierre Ricordeau sur la mise en place d'"une mesure temporaire de neutralisation des impacts les plus négatifs de la convergence [des tarifs, ndlr] en 2018 et 2019", effectivement reprise par Agnès Buzyn, cette mesure est très loin d'épuiser le contenu du rapport mis en ligne sur le site de l'Igas. En effet, "la période de neutralisation permettra également d'intégrer les conséquences de la réflexion engagée par la ministre des Solidarités et de la Santé autour de sa feuille de route sur les enjeux du vieillissement".
Dès à présent, le rapport évoque le "modèle en transformation" des Ehpad. Sur ce point, Pierre Ricordeau - qui a rencontré une liste impressionnante d'interlocuteurs, dont des élus et dirigeants départementaux en Ile-de-France, Auvergne-Rhône-Alpes, Normandie, Occitanie, Hauts-de-France, Nouvelle-Aquitaine et Centre-Val de Loire - constate à la fois la grande diversité du secteur (taille et statut des établissements, profils des résidents et des salariés, spécialisation, environnement...), mais aussi sa capacité d'innovation, dont il donne cependant assez peu d'exemples.

La question de l'encadrement "ne peut résumer à elle seule le débat"

Face à l'évolution structurelle de la population résidente, le rapport juge légitime le débat sur le taux d'encadrement humain des établissements, mais il estime que cette question "ne peut résumer à elle seule le débat sur les Ehpad". Il faut en effet y intégrer d'autres questions, comme le positionnement des Ehpad : ont-ils, par exemple, vocation à être réservés "aux cas les plus lourds ou extrêmes, avec alors un rapprochement de plus en plus évident avec les actuelles structures de soins de longue durée (USLD) ?".
De même, que faire d'une réglementation, "qui n'a pas toujours évolué pour prendre en compte la transformation du modèle", particulièrement pour les questions d'organisation des soins au sein des Ehpad. Sans oublier, bien sûr, la question de la valorisation des métiers et des filières, qui se traduit aujourd'hui par un niveau élevé d'absentéisme et d'accidentologie au travail.
Enfin, Pierre Ricordeau juge également indispensable "un questionnement autour de l'évolution des attentes des résidents et des familles et de l'encadrement des normes de sécurité́". Un questionnement d'autant plus nécessaire que, si le modèle public reste encore dominant, une structuration accélérée est à l'œuvre avec l'émergence rapide de groupes privés de taille nationale et même internationale.

La neutralisation temporaire n'est pas la fin de la réforme tarifaire

Face à ces constats, le rapport avance un certain nombre de propositions. Tout d'abord, la neutralisation temporaire en 2018-2019 n'est pas la fin de la réforme tarifaire. Au contraire, il faut profiter de cette mesure "pour retrouver le temps de mesurer les impacts concrets de la réforme, les ajuster le cas échéant et les accompagner". Mieux : rien n'empêche de sortir de cette neutralisation "au bout de la première année si les points de sortie sont trouvés à temps".
Au-delà de la neutralisation temporaire, Pierre Ricordeau propose donc une quinzaine de mesures. Il préconise ainsi, entre autres, de "garantir la capacité des départements à mettre en place des crédits complémentaires dépendance sans impacter l'équation tarifaire et la convergence associée". Il s'agirait en l'occurrence "d'ouvrir aux départements des possibilités encadrées, pour leur permettre d'ajuster le dispositif de convergence en fonction de leur situation propre, mais toujours avec l'idée de dégager une marge budgétaire pour des crédits complémentaires, sur l'utilisation desquels les départements devraient bien sûr communiquer, comme cela est désormais fait sur les crédits complémentaires au titre du soin".

Les CPOM au secours de la convergence

La programmation des CPOM (contrats pluriannuels d'objectifs et de moyens) devrait également être adaptée pour "intégrer rapidement les établissements les plus touchés par la convergence dépendance à la baisse et faire du CPOM un outil de gestion de cette convergence". Dans le même esprit, il conviendrait d'ouvrir la possibilité d'une accélération de la convergence "soins" dans le cadre des CPOM, mais aussi d'alléger les procédures liées à l'état prévisionnel des recettes et des dépenses (EPRD, qui remplace le budget traditionnel), afin d'orienter les ressources vers la contractualisation.
Autre préconisation : une sécurisation et une augmentation du rythme des coupes GIR et Pathos - qui permettent notamment la convergence - en allégeant les charges de validation. Dans le même temps - et si on conserve la gouvernance actuelle -, le rapport plaide pour un approfondissement de la coopération et du partage entre les agences régionales de santé (ARS) et les conseils départementaux.

"Discuter de règles de bonne conduite" sur les tarifs d'hébergement

Pierre Ricordeau propose par ailleurs de compléter la réforme tarifaire sur de nouveaux champs, par exemple en valorisant les activités de prévention dans la tarification et en n'écartant pas la possibilité d'ajustement de la tarification des soins "pour accroître les marges de manœuvre des établissements".
Bien que la réforme de la tarification concerne principalement les tarifs "dépendance" et "soins", le rapport préconise de "discuter de règles de bonne conduite" dans la fixation des tarifs "hébergement" - relevant des départements - pour les établissements habilités à l'aide sociale et d'envisager un crédit complémentaire spécifique. Par la même occasion, il serait judicieux de "structurer" - à travers un groupe de travail ad hoc - le débat sur les enjeux juridiques et politiques des évolutions en cours sur les différentes formes d'habilitation à l'aide sociale.

Des chantiers à ouvrir sur des thèmes non tarifaires

Pierre Ricordeau recommande aussi de lancer des chantiers "sur des thématiques non strictement tarifaires mais permettant de faciliter l'exercice des missions dans les Ehpad". Cela inclut notamment l'attribution d'un rôle renforcé au médecin coordonnateur (avec pouvoir de prescription et renforcement de son rôle de coordination dans l'ensemble des établissements), une meilleure mobilisation de l'ensemble des appuis sanitaires et sociaux aux Ehpad (par exemple, par le biais d'une contractualisation) afin d'éviter au maximum les hospitalisations, l'accompagnement des établissements pour les aider à améliorer les organisations du travail et la qualité de vie au travail, ou encore la mise en place d'un "chantier de simplification des règles".

Pour une "stratégie de groupe" du secteur public... et un calendrier resserré

Enfin, face à l'émergence de grands groupes privés, le rapport préconise d'accompagner "la volonté de construction d'un équivalent de la stratégie de groupe pour le secteur public".
Les recommandations de la mission de Pierre Ricordeau sont donc tout, sauf un gel de la réforme. On peut y lire au contraire une volonté d'accélération - en mettant à profit la suspension temporaire pour mieux rebondir -, avec pour objectif de s'inscrire dans la réflexion plus large engagée sur le vieillissement et "l'immense chantier de la dépendance". Le tableau résumant les propositions est d'ailleurs parfaitement clair sur ce point, puisqu'elles sont toutes supposées être lancées en 2018 et 2019...

 

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