Médicosocial - Ehpad : Agnès Buzyn veut "neutraliser" les effets négatifs de la réforme de la tarification
A l'approche de la nouvelle journée de grève dans les Ehpad (établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes) prévue pour le 15 mars - après celle du 30 janvier -, la commission des affaires sociales du Sénat s'est réunie, le 7 mars, pour débattre de la question. A l'ordre du jour de cette séance : l'audition d'Agnès Buzyn, la ministre des Solidarités et de la Santé, et la présentation des résultats du cycle d'auditions sur la prise en charge en Ehpad, confié au rapporteur médicosocial de la commission, Bruno Bonne, sénateur (LR) de la Loire (voir notre article ci-dessous du 8 février 2018).
Tarification : le Sénat veut attendre les Cpom
Présentée le matin par Bruno Bonne, les conclusions du cycle d'auditions sont conformes à l'objectif initial. En effet, il s'agissait moins de revenir sur l'impact de la réforme de la tarification - déjà traité par la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale dans sa "mission flash" sur les Ehpad il y a quelques mois (voir notre article ci-dessous du 13 septembre 2017) -, que de se pencher sur "les causes plus immédiates" des mobilisations des personnels au sein des établissements, "plus spécifiquement liées aux limites du modèle de ressources humaines des Ehpad (recrutement, formation, rémunération)".
Les conclusions de Bruno Bonne - qui feront l'objet d'un rapport prochainement publié - tiennent en trois points principaux. Le premier consiste à "remettre en perspective le débat entourant la réforme tarifaire", lancée par le précédent gouvernement et reprise par celui d'Edouard Philippe. Contrairement à la "mission flash" de l'Assemblée, qui parlait d'une tarification "de type kafkaïen", le Sénat ne montre pas d'hostilité de principe à la réforme, qui "met fin à une logique de reconduction des positions acquises en tentant d'objectiver les besoins".
En revanche, il déplore le manque de coordination avec la mise en place des contrats pluriannuels d'objectifs et de moyens (Cpom, voir notre article ci-dessous du 13 mars 2017). Ceux-ci constituent en effet "l'autre grande réforme appliquée au secteur, qui vise à doter l'ensemble des Ehpad d'un nouvel outil contractuel, garant pour eux d'une plus grande liberté de gestion (fongibilité des sections tarifaires et possibilité de reprise des excédents d'exploitation) et qui leur aurait permis de mieux absorber les chocs de la réforme tarifaire". Une position qui conduit le rapporteur à proposer "d'interrompre" la mise en œuvre de la réforme tarifaire, avant de la reprendre une fois les 9.000 Ehpad couverts par un Cpom.
Un rôle renforcé pour le médecin coordinateur
Le second point évoqué par Bernard Bonne est nettement plus critique. Il s'agit en effet de "la crise profonde que traverse le modèle de ressources humaines en Ehpad". Tout en tenant compte d'un contexte budgétaire contraint, le rapporteur propose donc de donner davantage de souplesse aux établissements pour "remédier à l'épuisement des personnels". Il suggère aussi diverses pistes d'amélioration à périmètre financier constant, en commençant par un renforcement du rôle du médecin coordonnateur (en l'autorisant à prescrire "afin de garantir une meilleure allocation des dépenses de soin") et par l'ouverture à de nouveaux modes d'organisation du travail.
Enfin, le troisième point est davantage prospectif, puisqu'il s'agit d'une "réflexion plus stratégique sur l'Ehpad comme élément principal de la prise en charge de la dépendance". Il s'agirait en l'occurrence de contrebalancer la "médicalisation excessive" des Ehpad, en développant des structures intermédiaires, qui restent toutefois à préciser (le modèle des logements foyers ayant montré ses limites par le passé).
Le rapport propose également "quelques pistes pour une réforme d'envergure du financement de la dépendance", parmi lesquelles la possibilité de moduler les tarifs en fonction des ressources, la fin de la fixation conjointe (ARS et conseil départemental) des tarifs des Ehpad, "qui nuit à leur pilotage et à leur implantation", et la mobilisation accrue du patrimoine immobilier des résidents (en développant le viager et en améliorant le recours sur succession).
Pas d'interruption temporaire de la réforme de la tarification
Auditionnée l'après-midi par la commission des affaires sociales, Agnès Buzyn a surtout insisté sur la réforme de la tarification. Tout en rappelant que les conclusions de la médiation confiée à Pierre Ricordeau, ancien secrétaire général des ministères sociaux, sont attendues pour la fin du mois de mars, la ministre a fait plusieurs ouvertures.
Plutôt qu'une interruption temporaire de la réforme de la tarification, elle attend du médiateur "des pistes pour neutraliser les effets négatifs de la réforme", l'objectif étant "qu'il n'y ait pas de perdant". Agnès Buzyn a d'ailleurs rappelé qu'elle a demandé aux ARS de se rapprocher des Ehpad les plus en difficulté pour trouver des solutions, comme une mutualisation des fonctions des supports avec d'autres établissements. Au-delà, les Cpom devraient être "un moyen d'améliorer la situation dans les Ehpad".
Sur le médecin coordonnateur, la ministre confirme qu'"un Ehpad où quarante médecins généralistes différents se succèdent pour voir les résidents, c'est une perte d'efficience de notre système de santé". Parmi les pistes envisagées, la ministre a cité la possibilité pour certains établissements d'avoir des médecins salariés à mi-temps. Tous les Ehpad devraient également être équipés en télémédecine pour permettre aux infirmières d'accéder à un avis médical.
Pourquoi pas une seule autorité de tarification ?
Sur les prix différenciés, la ministre a rappelé que quelques établissements pratiquent déjà un "surloyer" pour certains résidents, mais cela pose un certain nombre de problèmes juridiques. Autre piste : la sécurisation des aides soignantes qui pratiquent déjà aujourd'hui des actes relevant des infirmières. Mais cela doit se faire dans le cadre d'une délégation de tâche officielle et formalisée, avec les formations ad hoc.
Sur la clarification des compétences tarifaires, Agnès Buzyn estime qu'un seul tarif ne serait pas raisonnable - l'impact sur l'Ondam médicosocial serait de l'ordre de 2,5 milliards d'euros -, mais "mettre l'ensemble des tarifs sous la responsabilité d'un seul opérateur est probablement une réflexion à engager, car on voit bien que les départements et l'Etat se renvoient la balle entre ce qui fait partie du tarif soins et ce qui fait partie du tarif hébergement".