Médicosocial - Avec une deuxième journée de grève, les Ehpad restent mobilisés et l'Assemblée propose de doubler les effectifs
Malgré les récentes annonces d'Agnès Buzyn devant le Sénat sur sa volonté de "neutraliser" les effets de la réforme de la tarification (voir notre article ci-dessous du 9 mars 2018), l'ensemble des organisations syndicales - CFDT, CFE-CGC, CFTC, CGT, FO, SUD, Ufas et Unsa - ont maintenu leur mot d'ordre d'une seconde journée de grève dans les Ehpad (établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes) le 15 mars, après celle du 30 janvier (voir notre article ci-dessous du même jour). Ils bénéficient toujours du soutien, plus ou moins appuyé, des fédérations d'établissements.
"Je ne suis pas sourde à ce que j'ai entendu"
Ce maintien de la mobilisation - même s'il faut attendre les chiffres définitifs pour connaître la participation (à comparer aux 32% du 30 janvier) - s'explique par le glissement progressif des revendications. Avec les annonces de la ministre des Solidarités et de la Santé, la question de la réforme de la tarification, lancée par le précédent gouvernement, passe un peu au second plan même si elle n'est pas abandonnée. Le point central concerne désormais les moyens humains des Ehpad et les conditions de travail de leurs salariés.
Agnès Buzyn a néanmoins profité des Assises nationales des Ehpad, manifestation professionnelle annuelle qui se tenait cette année les 12 et 13 mars, pour faire un geste. Elle a ainsi affirmé : "Je ne suis pas sourde à ce que j'ai entendu depuis ma prise de fonction ; il est beaucoup question de souffrance." Elle s'est également engagée à rencontrer l'intersyndicale. Mais les annonces sur "les grandes orientations d'une stratégie globale" restent promises pour la fin du mois de mars, après la remise des conclusions de la mission confiée à Pierre Ricordeau, l'ancien secrétaire général des ministères sociaux.
"Un premier premier pas"
En attendant, ces gestes de bonne volonté ont contribué à améliorer quelque peu l'atmosphère. Tout en les jugeant toujours insuffisantes, l'Unsa estime par exemple ces déclarations "intéressantes", dans la mesure où "elles marquent une progression et une ouverture". De même, l'AD-PA (Association des directeurs au service des personnes âgées) - qui soutient les organisations syndicales - y voit un "premier premier pas".
De son côté, la déléguée générale du Synerpa (Syndicat national des établissements et résidences privés), favorable à la réforme de la tarification des Ehpad depuis le début, a rappelé, dans un entretien sur RMC, que "les effectifs ont quasiment triplé en quinze ans", mais que "si les effectifs progressent en France, cela ne se fait pas assez vite". Elle a également souligné que "les crédits d'assurance maladie pour les Ehpad ont progressé également, passant de cinq milliards à dix milliards en moins de dix ans. On est sur un secteur de progression très dynamique mais cela n'est pas suffisant".
La commission des affaires sociales de l'Assemblée enfonce le clou
Après avoir contribué à lancer le débat avec sa "mission flash" sur la situation des Ehpad en septembre dernier (voir notre article ci-dessous du 13 septembre 2017), la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale ne pouvait pas laisser passer l'occasion. D'autant plus que son homologue du Sénat vient de présenter ses propres préconisations sur la question (voir notre article ci-dessous du 9 mars 2018).
Monique Iborra, députée (LREM) de Haute-Garonne et Caroline Fiat, députée (France insoumise) de Meurthe-et-Moselle, ont donc présenté le 14 mars, devant la commission des affaires sociales de l'Assemblée, les conclusions définitives de la mission d'information sur la situation des Ehpad. La présence de la députée de la France insoumise, qui ne participait pas à la "mission flash" menée par la seule Monique Iborra, semble avoir nettement infléchi les préconisations.
Porter le taux d'encadrement à 60 soignants pour 100 résidents
Là où la mission - aux conclusions, il est vrai, provisoires - penchait plutôt sur la mise en place d'un groupe de travail sur la question, le rapport définitif avance une proposition beaucoup plus tranchée et radicale : "doubler le taux d'encadrement" pour les personnels "au chevet" des résidents (infirmières et aides-soignants) dans un délai de "quatre ans maximum". Le taux d'encadrement serait ainsi porté à 60 équivalent temps plein (ETP) pour 100 résidents. En outre, il s'agirait là d'une "norme minimale" opposable, donc s'imposant aux établissements comme aux financeurs (en l'occurrence les départements et l'assurance maladie).
Selon la mission d'information, le ratio actuel serait de 30,5 ETP pour 100 résidents (24,5 aides-soignantes et 6 infirmières). Passer à 60 représenterait donc un effort budgétaire considérable pour l'assurance maladie et les départements, qui semble peu réaliste dans un délai aussi court.
"Ce ratio n'a aucun fondement théorique ou scientifique"
La déléguée générale du Synerpa évoque d'ailleurs plutôt, pour sa part, un alignement sur "le ratio habituel" en Europe, qui serait de l'ordre de 35 à 40 soignants pour 100 résidents.
De son côté, l'intersyndicale réclame un ratio d'un agent pour un résident, mais en intégrant l'ensemble des personnels (au-delà des seuls soignants). Agnès Buzyn a déjà opposé une fin de non-recevoir à cette demande, en faisant valoir que "ce ratio n'a aucun fondement théorique ou scientifique ; il ne peut pas être considéré comme une norme". En outre, la France "n'a pas les moyens budgétaires de garantir ce taux" et ne disposerait de toute façon pas des "ressources humaines" nécessaires pour y parvenir.