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Finances locales - Réforme de la péréquation : les élus urbains font cause commune

Clauses de revoyure obligent, la réforme de la péréquation financière est à l'ordre du jour de l'agenda parlementaire. Pour peser dans les discussions à venir, grandes villes, villes de banlieue et communautés urbaines se sont mises d'accord sur une plate-forme de propositions, à l'issue d'un débat où leurs responsables n'ont rien esquivé.

A l'automne 2008, la stratégie d'alliance entre les élus du monde urbain leur avait permis de faire reculer le gouvernement sur un projet de réforme de la dotation de solidarité urbaine (DSU), dotation qui profite à 715 villes. Aujourd'hui, ce front uni est relancé par les associations représentatives des élus des grandes villes, des villes de banlieue et des communautés urbaines (mais en l'absence des villes moyennes) pour réclamer vigoureusement une réforme profonde de la péréquation - une réforme réellement capable de corriger les inégalités de richesses entre les territoires. Malgré l'inscription en 2003 dans la Constitution du principe de péréquation, l'écart entre le potentiel financier par habitant de la commune la plus riche (Saint-Vulbas dans l'Ain, où est installée une centrale nucléaire) et celui de la plus pauvre demeure en effet de 110 !
Pour les élus des trois associations réunis le 1er avril à Paris à l'occasion des "Assises de la péréquation et de la solidarité territoriale", la suppression de la taxe professionnelle offre une "occasion historique" de remettre à plat toutes les règles : la péréquation doit être cet été au menu des parlementaires, mis dans l'obligation par la première "clause de revoyure" de revoir la copie qu'ils ont rendue en décembre dernier. L'exercice consistera essentiellement à mettre en place des mécanismes de péréquation pour et entre les communes, un sujet complètement ignoré par la loi de finances pour 2010. Celle-ci se réduit à reconduire, mais en 2010 seulement et à sommes constantes, les fonds départementaux de péréquation de la taxe professionnelle (FDPTP) et le fonds de solidarité des communes de la région Ile-de-France (FSRIF). L'enjeu porte respectivement sur 860 millions et 175 millions d'euros destinés aux communes les plus pauvres. Il faudra évidemment trouver des solutions de remplacement à ces dispositifs de péréquation horizontale dont le fonctionnement était étroitement corrélé à la taxe professionnelle.

 

Charges de centralité

Le gros morceau devrait quand même être la péréquation verticale, qui représente 6,3 milliards d'euros et concentre les critiques. Guy Gilbert, professeur à l'ENS Cachan, a pointé en particulier les contradictions de ce type de péréquation en majorité alimentée par des dotations venant compenser de la fiscalité locale supprimée il y a bien longtemps. D'où un réel hiatus : les sommes affectées à la péréquation ne croissent, en fin de compte, que si l'autonomie fiscale des collectivités se réduit. "La DGF [dotation globale de fonctionnement] doit redevenir la dotation de base qui n'a pas pour but de compenser quelque chose et à l'étage du dessus, on doit mettre en place des mécanismes de péréquation", en a déduit Philippe Dallier, sénateur de la Seine-Saint-Denis. De son côté, Philippe Maitreau, adjoint au maire de Mulhouse, a martelé qu'il faut une véritable prise en compte des charges de centralité dans l'attribution des dotations. A l'aune de ce critère, les villes défavorisées ne sont pas forcément les petites villes, insiste-t-il : "Les charges de fonctionnement des villes de plus de 200.000 habitants sont deux fois plus importantes que celles des petites communes, alors que leurs ressources sont supérieures à seulement 1,7."
Parmi les dotations, certaines ont clairement une vocation péréquatrice. Et affichent une dynamique favorable. Le montant de la DSU a par exemple doublé en cinq ans pour atteindre 1,2 milliard cette année. Celle-ci reste tout de même "insuffisante". Aussi les villes de banlieue réclament-elles "3 milliards supplémentaires" pour assumer leurs "charges nouvelles". Les élus sont lucides sur l'impossibilité pour un Etat miné par les déficits de mettre cette enveloppe sur la table. Il ne reste donc plus qu'à revoir la manière dont les collectivités se partagent chaque année les milliards que l'Etat leur verse. Mais cette option s'annonce terriblement difficile à faire accepter aux communes les plus riches. Gilles Carrez, président du Comité des finances locales (CFL), renonce d'emblée : "Si je dis ça au congrès des maires, je vais 'me faire tuer' !" François Pupponi, député-maire de Sarcelles, dénonce, lui, sans langue de bois, le "lobby" du CFL pour lequel "il est impensable qu'un riche soit un peu moins riche pour que le pauvre soit un peu moins pauvre".

 

Compensation contre péréquation

Selon de nombreux élus, la traduction dans les faits de cette résistance est la mise en œuvre, quasiment à chaque réforme fiscale, de garanties pour les communes perdantes. Comme ce fut le cas lors de la suppression en 1998 de la part salaires de la taxe professionnelle. Ou encore à l'occasion de la dernière réforme de la taxe professionnelle, qui a achevé de supprimer cet impôt. Un fonds national de garantie individuelle des ressources (FNGIR) a en effet été mis en place permettant à la réforme de ne faire, en 2011, "ni gagnant ni perdant", selon le gouvernement. Résultat : Sarcelles, ville du Val-d'Oise en grande difficulté, devra restituer chaque année "6 millions d'euros", alors que la commune voisine de Roissy "qui ne sait plus quoi faire de son argent" va voir ses ressources accrues de manière non négligeable grâce au fonds de garantie. Au total, 4 milliards d'euros seront ainsi transférés chaque année entre gagnants et perdants de la réforme. La décroissance de la garantie de 5% sur 20 ans, un temps évoquée par le gouvernement, n'aurait donc pas déplu aux maires de banlieue. En revanche, elle a soulevé un tollé à l'Association des maires de France.
"Sur le FNGIR, on pourrait gratter un petit quelque chose", concède Gilles Carrez. "Déshabiller sèchement Pierre pour habiller Paul, certes c'est difficile", déclare de son côté Claude Dilain, maire de Clichy-sous-Bois et président de Ville et Banlieue. "Mais entre se faire chahuter au congrès des maires et subir le feu des banlieues, je choisis tout de suite", poursuit-il en appelant au "courage politique".
Une véritable bataille est ainsi engagée. Et, surprise, les manœuvres pourraient durer plus longtemps que prévu. "Nous avons une fenêtre de tir de 18 mois", a indiqué Philippe Dallier qui parie sur le report d'un an de la réforme prévue au départ pour 2010. "Nous n'aurons pas les données de Bercy nous permettant d'identifier les bases de fiscalité", pronostique-t-il, rappelant que le gouvernement doit remettre au Parlement un rapport au plus tard le 1er juin prochain. Un projet de loi doit aussi en principe être déposé avant le 31 juillet 2010. A ce sujet, François Pupponi s'inquiète : "Ils vont imaginer de nouvelles dotations de péréquation, mais nous n'aurons pas un sou de plus qu'aujourd'hui !" Dans l'attente du projet de réforme, les élus des grandes villes, de banlieue et des communautés urbaines seront vigilants sur la préservation des dotations de péréquation actuelles. Ils demandent en particulier un moratoire pour que l'augmentation annuelle de la DSU (120 millions d'euros en intégrant la dotation de développement urbain) soit toujours ciblée sur les communes les plus en difficulté.

 

Thomas Beurey / Projets publics
 

Ce qu'en dit la commission des finances du Sénat

La commission des finances du Sénat s'intéresse actuellement elle aussi de près à la péréquation. Elle y a ainsi consacré deux ateliers de travail les 30 et 31 mars - l'un centré sur l'avenir des fonds départementaux de péréquation de la taxe professionnelle (FDPTP) et l'autre sur le FSRIF. Dans la mesure où la suppression de la TP va diminuer les ressources disponibles pour "la péréquation horizontale entre communes et intercommunalités", les sénateurs préconisent un "élargissement de l'assiette des prélèvements en faveur de la péréquation, en visant par exemple le potentiel financier global des collectivités". Ils suggèrent également que la péréquation horizontale s'établisse, non plus sur le cadre départemental des FDPTP mais sur un "périmètre régional".
S'agissant de l'Ile-de-France, la commission des finances estime que l'on pourrait, sur ce territoire, fusionner les FDPTP dans le FSRIF. Le "nouveau FSRIF" serait alors "alimenté par un prélèvement unifié portant à la fois sur les communes isolées et sur les intercommunalités" et pourrait "être fonction du potentiel financier et, éventuellement, intégrer un marqueur particulier pour prendre en compte les écarts de cotisation sur la valeur ajoutée". Le tout en prévoyant que toutes les collectivités soient "à la fois contributrices et bénéficiaires du fonds, la péréquation correspondant au solde entre contributions et reversements", afin d'éviter les effets de seuil. Ces reversement continueraient à intégrer "à la fois des critères de ressources et de charges".
Au Sénat aussi, on doute qu'un projet de loi dédié à la péréquation puisse être présenté avant le 31 juillet... et l'on rappelle que les parlementaires voudront de toute façon attendre de connaître les données liées à la contribution économique territoriale (et donc attendre 2011) pour examiner ce texte. Enfin et surtout, la commission des finances insiste sur le fait que "les FDPTP, comme le FSRIF, doivent impérativement être préservés et non disparaître en raison de la suppression de la taxe professionnelle, car ils sont parmi les outils les plus efficaces de la péréquation."
C.M.