Environnement - Rapport 2015 de la Cour des comptes : les agences de l'eau accusées de négliger le principe pollueur-payeur
Gouvernance "à améliorer", principe pollueur-payeur "à restaurer", "sélectivité des aides à retrouver", efficacité et évaluation "à développer" : le rapport 2015 de la Cour des comptes est particulièrement sévère à l'égard des six agences de l'eau, qui sont aujourd'hui "le principal financeur de la politique de l'eau en France", comme le rappellent les magistrats de la rue Cambon. Entre 2007 et 2012, elles ont ainsi accordé 14,9 milliards d'euros d'aides (12,9 milliards d'euros de subventions et 2 milliards d'euros d'avances) pour soutenir des projets destinés à protéger les ressources en eau. Pour financer ces aides, elles collectent des redevances auprès des usagers de l'eau (particuliers, entreprises, agriculteurs, pêcheurs, etc.).
Le Cour pointe d'abord un problème de gouvernance. "Alors que l'Etat assume la responsabilité de la politique de l'eau, les modalités d'attribution des aides versées par les agences ainsi que le taux de la plupart des redevances qu'elles perçoivent sont définis par des instances (comité de bassin, conseil d'administration) dans lesquelles l'État est minoritaire et dans lesquelles les usagers professionnels (agriculteurs et industriels) sont surreprésentés", souligne-t-elle. Un manque de représentativité qui conduit parfois "à faire prédominer les intérêts catégoriels dans les bassins, ajoute-elle. En effet, s'agissant des redevances, leurs taux, qui ne sont pas encadrés au niveau national par des taux planchers, sont fixés à un niveau anormalement bas dans certains bassins. S'agissant des aides, les décisions d'attribution sont peu transparentes et la prévention des conflits d'intérêts, qu'il s'agisse des membres des conseils d'administration ou des personnels des agences, est insuffisante".
Agriculteurs et industriels insuffisamment taxés
"Alors que la loi sur l'eau et les milieux aquatiques de 2006 rappelait l'application du principe selon lequel c'est le pollueur qui paie, en réalité la Cour constate que les redevances sont largement déconnectées du principe 'pollueur-payeur', a surtout souligné Didier Migaud, son premier président, ce 11 février. Elles sont essentiellement acquittées par les particuliers alors que les acteurs économiques – les agriculteurs et les industriels – ne sont pas taxés en proportion des dommages qu'ils causent à l'environnement. Par voie de conséquence, leur effet incitatif pour développer des techniques de production moins polluantes ne joue pas." "87% des redevances perçues par les agences sont supportées par les usagers domestiques et assimilés, 7% par l'industrie et 6% par les agriculteurs", est-il précisé dans le rapport.
Quant aux aides accordées par les agences, elles sont jugées "insuffisamment sélectives, l'abondance des ressources fiscales n'ayant pas incité les agences et le ministère de tutelle à accroître la sélectivité en les concentrant sur les projets prioritaires identifiés dans les plans d'action opérationnels territorialisés (PAOT)", note la Cour. Elle estime ainsi que "les agences accompagnent trop souvent des mises aux normes réglementaires sans prendre en compte les capacités financières des maîtres d'ouvrage et sans conditionner les aides à un calendrier de mise aux normes". De plus, elle juge les modalités d'attribution des aides "parfois contestables" du fait notamment d'une instruction des dossiers de demande d'aide "insuffisamment formalisée". Le contrôle a posteriori de l'utilisation des aides et l'évaluation de leurs effets sont également jugés "trop peu développés".
Parmi ses principales préconisations, la Cour recommande donc de "mettre en place un dispositif de prévention des conflits d'intérêt pour les membres des instances de gouvernance des agences et pour leur personnel', de "rendre publiques les décisions d'attribution des aides et la liste de leurs bénéficiaires", de "fixer des taux planchers pour les redevances" et de "renforcer la taxation des pollutions d'origine agricole" et d'"accroître la sélectivité des aides en les recentrant sur les PAOT".
Plus de place pour les associations dans les comités de bassin
Sollicitée par la presse avant la publication du rapport de la Cour des comptes, la ministre de l'Ecologie a réagi dès mardi 10 février au soir, en apportant des "précisions". Elle a annoncé avoir demandé que soit réalisé "un état des lieux par grands types d'acteurs (industriels, agriculteurs et particuliers) pour s'assurer du respect du principe pollueur-payeur", ainsi que "la publication sur Internet des aides attribuées dans le programme actuel des agences de l'eau (soit depuis le 1er janvier 2013) dans les meilleurs délais et en tout état de cause avant la fin du mois". S'agissant de la prévention des conflits d'intérêts et du renforcement du contrôle de l'État demandé par la Cour, Ségolène Royal a dit avoir "déjà décidé, lors du renouvellement des membres des comités de bassin, instances de gouvernance locale de la politique de l'eau, d'allouer plus de sièges aux représentants des associations, notamment celles qui représentent les consommateurs et la protection de la nature, en diminuant le nombre des représentants des industriels". Elle a assuré avoir également "amélioré la représentation de l'agriculture biologique". "La prévention des conflits d'intérêts sera par ailleurs renforcée par de nouvelles règles qui seront édictées avant l'été par décret", a encore affirmé la ministre.
Les régies à la loupe
Toujours dans le domaine de l'eau, la Cour des comptes s'est aussi intéressée dans son rapport 2015 à la gestion directe des services d'eau et d'assainissement, "mode de gestion le plus répandu, notamment parmi les villes petites et moyennes", souligne-t-elle. Au vu des 70 contrôles menés par les chambres régionales des comptes sur des services variés situés sur l'ensemble du territoire métropolitain et concernant plus de 10 millions d'habitants, elle juge que "si d'incontestables progrès ont été constatés, des améliorations importantes restent encore à apporter, notamment en matière de connaissance patrimoniale, d'approche du coût réel du service et d'ajustement des tarifs aux besoins de financement présents et à venir". Ainsi, au plan patrimonial, "une majorité des services en régie n'est pas en mesure, faute d'une connaissance approfondie de l'état du réseau, de réduire les pertes dont le taux proche de 20% représente au plan national environ un milliard de m³ d'eau", souligne le rapport. La Cour estime aussi que l'"émiettement" des services d'eau potable et d'assainissement – près de 60% d'entre eux exercent leurs compétences sur des territoires de moins de 1.000 habitants – ne permet pas d'"optimiser la gestion du service et de garantir une capacité financière et une compétence technique suffisantes pour maintenir en parfait état des installations existantes et réaliser de nouveaux équipements s'avérant indispensables". En outre, juge-t-elle, le prix moyen affiché par les services en régie (3,52 euros/m³), qui est inférieur à la moyenne nationale, ne prend toutefois pas en compte, dans certains cas, la totalité des charges, estime la Cour qui pointe aussi une "insuffisante prise en compte des besoins d'investissement". Parmi ses recommandations, elle recommande donc d'"introduire dans les schémas départementaux de coopération intercommunale un volet prescriptif de regroupement des services d'eau et d'assainissement", d'"élaborer par toute autorité organisatrice un document stratégique déterminant notamment le programme pluriannuel d'investissement, les besoins de financement et l'évolution du prix d'équilibre de l'eau" et de "rendre obligatoire la transmission des données au système d'information sur les services publics d'eau et d'assainissement (Sispea) pour les services les plus significatifs" et de "compléter cette base par des référentiels de performance financière".