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Eau - Gestion de l'eau : le retour en régie fait tache d'huile

Quels avantages trouvent les collectivités à reprendre la gestion de l'eau en régie ? Regroupées depuis l'an dernier au sein d'un réseau, baptisé France Eau Publique, celles qui ont fait ce choix organisaient le 22 mars à Paris un colloque pour promouvoir ce modèle et faire entendre leur voix.

Elles sont une trentaine de collectivités à faire partie du réseau France Eau Publique. La moitié d'entre elles est constituée de membres fondateurs, parmi lesquels on compte des régies au profil varié, et l'autre de membres ayant fraîchement adhéré à ce réseau, qui travaille par ailleurs en lien avec des associations promouvant le même modèle au niveau européen, dont Aqua Publica Europea. "Historiquement, la gestion en régie s'est d'abord imposée en zone rurale, car la distribution de l'eau n'y intéressait pas le secteur privé. De grands syndicats en régie se sont créés, aussitôt ralliés par des communes et de petits syndicats. Des villes de toute taille ont aussi ouvert la voie et la reprise en régie du service de l'eau à Paris a agi comme un électrochoc auprès des élus, en prouvant que cela était possible dans les plus grandes", rappelle Paul Raoult, ancien sénateur du Nord et actuel président de France Eau Publique, qui organisait le 22 mars à l'hôtel de ville de Paris un colloque sur la gestion publique de l'eau. Branche de la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR), ce réseau part du principe que l'eau n'étant pas un bien comme les autres, elle ne peut être soumise à des intérêts privés. "Par rapport à un secteur comme les déchets, dont la gestion est aussi souvent déléguée, l'eau est un bien vital, précieux, à haute portée symbolique. Reprendre en main sa gestion permet de rétablir un juste prix de l'eau et une réelle transparence financière", explique Anne Le Strat, adjointe au maire de Paris en charge de l'eau. Mais là n'est pas le seul leitmotiv : "Il s'agit aussi de faire de la proximité et de la solidarité des valeurs cardinales d'un tel service."

Lame de fond

La présidente d'Eau de Paris, la régie qui a repris il y a trois ans la gestion de l'eau de la capitale à Veolia et Suez, estime qu'"un mouvement de fond est en marche". Et que l'occasion se présente, avec l'arrivée à échéance d'ici à 2015 de nombreux contrats de délégation, de gonfler les rangs des gestionnaires publics de l'eau. Lors du colloque, elle a évoqué en guise de clin d'oeil le rôle joué, du côté privé, par la Fédération professionnelle des entreprises de l'eau (FP2E), un réseau dont France Eau Publique s'est inspiré pour devenir en quelque sorte son équivalent du côté public. Structuré autour de cinq groupes de travail, France Eau Publique propose d'aider les collectivités dans la voie de la remunicipalisation. "Celles qui ont franchi le pas ne le regrettent pas !", vante Christophe Lime, adjoint au maire de Besançon, une ville où la gestion de l'eau est toujours demeurée publique mais qui délivre volontiers ses conseils à celles qui cherchent à virer de bord.

Des services modernes

Une fois détachée des échéances de fin de contrat, la collectivité peut à nouveau voir à long ou très long terme. Dès lors, bien connaître son patrimoine, ses réseaux et ses ouvrages s'impose comme une nécessité. C'est d'ailleurs ce à quoi s'attache l'un des groupes de travail, qui fournit des outils d'aide à la décision pour les élus et prépare un guide sur cette question patrimoniale. Un autre groupe de travail, qui échange sur le volet des achats, étudie la possibilité pour les gestionnaires publics de services d'eau de réaliser - à l'instar de ce qui a pu se faire dans les transports (achat groupé de matériel roulant) - certaines commandes groupées. "Par exemple pour des commandes de canalisations", illustre Paul Raoult. Un autre groupe travaille sur le statut des agents de régie et la reprise des personnels des délégataires. "Contrairement à ce que l'on croit, il n'y a pas perte de compétence en passant en régie. Loin de n'employer que des fonctionnaires, ce type de structure autorise le recours à des contrats de droit privé", indique Anne Le Strat. Mieux : ces structures se veulent attractives et débauchent volontiers des cadres issus du privé, attirés par la sécurité de l'emploi mais aussi le défi que représente la gestion publique d'un tel service industriel. "La gestion en régie n'est pas ringarde mais moderne et efficace", martèle ainsi Eric Grasset, président de la Régie des eaux de Grenoble et vice-président de Grenoble Alpes Métropole. En termes de gouvernance, cette communauté d'agglomération innove en plaçant les usagers au côté des élus. "Les comités d'usagers jouent un rôle important et contribuent à un fonctionnement économiquement sain", complète l'élu. Même son de cloche au syndicat des eaux et de l'assainissement du Bas-Rhin, dont le périmètre intègre 450 communes : "En régie, la recherche de performance dans la gouvernance repose sur la subsidiarité, ce qui n'empêche pas de mutualiser dès que la situation l'exige", confirme son président, Jean-Daniel Zetter. Surtout, là où les délégataires ont généralement tendance à cloisonner leur savoir, les collectivités qui se le réapproprient préfèrent le partager et travailler avec un maximum d'autres acteurs du territoire, au premier rang desquels figurent les agriculteurs, les services de l'Etat voire des opérateurs tels que la SNCF.

Morgan Boëdec / Victoires éditions

Le modèle français remis en cause

A l'opposé d'autres pays européens (Belgique, Allemagne, Pays-Bas, Norvège, Suisse, Italie...) qui ont conservé dans le giron public la quasi-totalité de la gestion du service d'eau,  la gestion déléguée par voie de concession ou d'affermage est majoritaire en France. Elle couvre ainsi 38 millions d'habitants (66% de la population) et représente pour les délégataires un chiffre d'affaires annuel d'environ 3,5 milliards d'euros. Mais le retour en gestion publique de l'eau a concerné plus de 2,8 millions d'habitants supplémentaires entre 2009 et 2012 et selon l'Observatoire des services publics d'eau et d'assainissement, la population desservie en gestion publique pour l'eau potable serait passée de 28% à 34% entre 2004 et 2012.  Avec le retour annoncé en gestion publique de collectivités comme Aubagne, Valence, Rennes, Nice ou Bordeaux, ce sont 2 millions d'habitants supplémentaires qui devraient bénéficier d'une gestion publique de l'eau dans les prochaines années. Le mouvement pourrait aussi être amené à s'accélérer. Sur près de 10.000 contrats de délégation de service public dans le domaine de l'eau et de l'assainissement, 800 arrivent à échéance chaque année en moyenne mais d'ici à 2015, ce chiffre devrait augmenter de plusieurs centaines grâce à l'"arrêt Olivet" qui va conduire à écourter la fin de certains contrats très longs au 3 février 2015.  A.L.