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Innovation - Quels pôles de compétitivité à l'heure des grandes régions ?

Les pôles de compétitivité fêtent leurs dix ans en toute discrétion : Bercy préparerait une rénovation de cette politique née en 2005 pour tenir compte de la nouvelle donne de la carte des treize grandes régions et du projet de loi Notr. Pour l'heure, les régions se plaignent de n'être pas associées à la réflexion. Elles seraient prêtes à prendre les rênes, à condition d'avoir les crédits qui vont avec !

Les pôles de compétitivité fêtent leur dix ans, sans tambour ni trompette… C'est qu'entre la nouvelle carte des treize régions et les nouvelles compétences qui leur sont données dans le cadre du projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République (Notr), leur avenir laisse place à de nombreuses incertitudes. L'Association des régions de France espère qu'une concertation aura lieu sur ces différents sujets avant que Bercy ne fasse des annonces officielles sur leur sort. Mais pour le moment, aucun rendez-vous n'est fixé. "Nous allons demander à ce que la direction générale des entreprises de Bercy organise un comité de pilotage avant toute annonce", explique-t-on à l'ARF.
Lancée en 2005, la politique des pôles de compétitivité présente pourtant un bilan satisfaisant. "En dix ans, nous avons créé un formidable outil qui a résisté à l'alternance politique car il s'agit d'une vraie bonne réponse", assure à Localtis Jean-Luc Beylat, président de l'Association française des pôles de compétitivité (AFPC). Quelque 1.526 projets labellisés ont été financés depuis 2005 représentant 6,5 milliards d'euros de dépenses de recherche et développement, dont 2,5 milliards d'euros de dépenses publiques et 4 milliards de financements privés en provenance des entreprises.
En 2014, la moitié des 1.000 projets arrivés à terme ont donné lieu à la commercialisation d'un nouveau produit ou service. Néanmoins, d'après une étude de l'Insee, les PME et ETI participant aux pôles n'ont augmenté leurs dépenses de R&D sur fonds propres que de 19.000 euros sur la période 2006-2009 et aucun effet n'est enregistré sur les dépôts de brevets. Pour Jean-Luc Beylat, "les brevets ne sont pas suffisants pour mesurer l'innovation et l'activité des pôles ; la vraie valeur étant l'évolution de la croissance des entreprises membres".
Les régions estiment quant à elles, tout comme l'Etat, que les pôles devraient davantage cibler le "business" et l'emploi. "On a fait beaucoup plus d'innovations que de business, insiste-t-on ainsi à l'ARF, il est temps de corriger le tir !" C'est l'une des raisons qui ont poussé le gouvernement à concentrer l'action des pôles vers la mise sur le marché de leurs produits et services dans la troisième phase (2013-2018), lancée en janvier 2013. Objectif : les amener à accroître leur impact économique pour davantage de croissance et d'emplois. Entre 2006 et 2009, 980 emplois ont été créés dans les PME et ETI membres des pôles.

98% de PME et ETI

Autre constat : la place des PME dans les 70 pôles a largement évolué au fil des ans, dans le bon sens. Parmi les 9.700 entreprises membres, 80% sont aujourd'hui des PME innovantes en croissance. Les autres sont des entreprises de taille intermédiaire (18%) et des grandes entreprises (2%). En moyenne, sur dix ans, les PME ont bénéficié de plus de 50% des aides accordées par le fonds unique interministériel (FUI). Et entre 2011 et 2012, la progression du nombre d'entreprises membres des pôles est entièrement due à l'entrée de PME. En revanche, sur le plan du développement des formations, en lien avec les activités des pôles, l'ARF est relativement déçue. "Nous avions plus d'attentes, explique-t-on, cela reste perfectible."
Des résultats perfectibles donc, mais deux événement vont changer la donne. Tout d'abord, la nouvelle carte des régions, dans le cadre de la loi du 16 janvier 2015. Elle pourrait ainsi amener à de nouveaux regroupements. "La fusion des régions va entraîner un mouvement de regroupement des pôles, estime-t-on à l'ARF. Cela constitue une opportunité pour certains d'atteindre une masse critique." Du côté de l'AFPC, on s'attend également à voir des pôles qui se rassemblent, mais "il ne faut pas que ce soit à marche forcée", insiste Jean-Luc Beylat, il y a déjà beaucoup d'activités inter-pôle." Une fusion a déjà eu lieu entre les pôles Alsace Energivie (Alsace) et Fibres (Lorraine) en janvier 2015. Ce devrait aussi être le cas en Paca des pôles Pégase et Risques, dont la fusion est prévue pour le 1er janvier 2016.

Des regroupements suite à la nouvelle carte des régions

Le projet de loi Notr, en cours de discussion, aura lui aussi des conséquences. Le texte renforce les compétences économiques des régions. Va alors se poser naturellement la question du financement. Aujourd'hui, les pôles bénéficient d'1,5 milliard d'euros sur trois ans, répartis en deux volets : le financement de la recherche, qui se fait à travers des appels à projets, et le financement de l'animation et de la gouvernance. Le premier, qui correspond à 85% du budget, est issu de l'Etat, via le FUI. Il est capté à plus de 60% par les grands pôles. Les crédits d'animation sont quant à eux cofinancés par l'Etat et les régions. L'Etat a déjà commencé à réduire ses crédits d'animation en 2014. Compte-t-il aller plus loin vers une régionalisation ? "A l'heure actuelle, le travail se fait en chambre à Bercy, sans nous, déplore l'ARF. L'Etat ne joue pas carte sur table."
Plusieurs scénarios seraient envisagés par Bercy. Tout d'abord retenter une catégorisation : les pôles stratégiques à vocation mondiale pour l'Etat, les autres pour les régions. D'emblée, l'ARF est hostile à cette idée. "Séparer les pôles en deux catégories n'est pas facile et il y a le risque que la décentralisation soit vécue comme une punition ; la solution a finalement plus d'inconvénients que d'avantages", assure-t-on à l'association. L'AFPC est sur la même ligne, estimant que certains pôles, même de petite taille, peuvent être stratégiques et avoir une vision nationale.
Autre scénario : le transfert de tous les pôles aux régions. L'ARF serait partante mais à la condition de récupérer les crédits qui vont avec ! En revanche, l'AFPC, elle, est plus sceptique sur cette solution : compte tenu de la situation financière, les régions n'auraient pas les reins assez solides pour prendre la relève. En outre, pour Jean-Luc Beylat, "les politiques d'innovation ne sont pas limitées à une région, donc il faut avoir ce travail en dynamique avec les régions et l'Etat, avec un Etat qui peut aussi peut-être peser sur l'Europe pour obtenir des financements".
Les deux associations sont au moins d'accord sur un point : le besoin de plus de dialogue. L'ARF prône ainsi une discussion stratégique avec l'Etat, pour aboutir à une politique partagée Etat/région, comme cela a été le cas par le passé. Pour l'AFPC, "il faut débattre, poser en toute rigueur une stratégie et définir les financements en fonction". Bercy devrait dévoiler ses orientations dans le courant de l'été. Une nouvelle évaluation des pôles est prévue dans la foulée, fin 2015, début 2016.