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Haut débit - Quelles conditions pour le développement numérique des territoires ?

Le Conseil économique, social et environnemental a adopté, ce 11 février, un avis sur le déploiement de la fibre optique. Son rapport appelle au renforcement du rôle des collectivités.

"Je me sens un peu comme le Sisyphe du haut débit !", a plaisanté André Marcon, rapporteur au nom de la section des économies régionales et de l'aménagement du territoire du Conseil économique, social et environnemental (CESE), lors de la présentation d'un avis sur le développement numérique, le 10 février dernier à Paris (avis adopté le 11 février). Après un premier rapport en 2001 sur le haut débit puis un deuxième en 2002 à propos des TIC, le maire du village de Saint Bonnet le Froid (240 habitants en Haute-Loire) a répondu, pour le CESE, à la saisine de juin dernier du Premier ministre. En tant qu'élu rural et consulaire, entrepreneur local dans l'hôtellerie, ses propositions ne manquent pas d'insister à nouveau sur une fracture numérique qui ne se réduit pas.

 

Faire de la fibre optique une priorité nationale

Menés en parallèle des Assises du numérique, les travaux du CESE se sont focalisés sur les problèmes d'infrastructures (les "tuyaux"). Comment équiper le pays pour que toute la population ait accès aux contenus et usages qui se développent ?  Si aujourd'hui, 98% de la population a théoriquement  accès à l'ADSL, "des pans entiers de territoire restent mal desservis", pointe le rapport. Quant au très haut débit, il ne concerne que quelques milliers de foyers dans les zones denses. Selon l'étude de l'Association des régions de France (ARF) et de l'Avicca, si rien n'est fait, seuls 40% des habitants y auront accès en 2020. "Avec un marketing très astucieux, France Télécom présente l'ADSL comme le haut débit. Dans la plupart des cas, cette technologie de connexion permanente ne permet pas l'accès à des offres triple play (Internet, VOIP et TV). C'est donc une escroquerie !", s'est enflammé André Marcon, rappelant, par ailleurs, que l'opérateur historique avait contribué à l'aménagement numérique du territoire. La première étape du rapport a donc consisté à se mettre d'accord sur ce qu'est le très haut débit. "C'est une évidence, dans moins de dix ans, l'offre de fibre optique à domicile sera le standard. Comme la connexion permanente l'était en 2001 et le triple play l'est aujourd'hui", a expliqué l'élu. "Mais le marché qui guide actuellement les déploiements de fibre n'est pas prêt à aller dans mon village, on va donc accroître la fracture numérique", a-t-il poursuivi. Il ne s'agit cependant pas de fibrer les maisons à 5 km du bourg (des solutions hertziennes sont plus réalistes). Le rapport préconise "d'amener la fibre au plus près des abonnées dans un délai inférieur à 10 ans".

 

Créer des syndicats mixtes

Depuis la loi de 2004 sur la confiance dans l'économie numérique (article L.1425-1), les collectivités peuvent devenir opérateurs de réseaux. Celles qui sont intervenues ont favorisé une pluralité d'offres haut débit, facilité la desserte des zones d'activités, fait baisser les tarifs par le moyen de réseaux de collecte et de desserte mutualisés. C'est le cas, par exemple, de l'expérience "extrêmement intelligente et astucieuse" du département de la Manche qui a abouti à ce que France Télécom investissent deux fois plus sur son territoire. "Mais nous ne pouvons pas faire des expériences partout. Nous avons pourtant l'impression que les collectivités font une sorte de course à l'échalote pour départager celle qui en aura fait le plus", a noté le rapporteur. Pour coordonner les interventions, les préconisations ne sont pas nouvelles : systématiser les actions de sensibilisation, informer sur les structures d'appui technique comme le CETE de l'Ouest (centre d'études techniques de l'équipement, voire interrégionale", préférer la création de réseaux d'initiative publique (RIP) aux marchés de services, s'informer sur tous les réseaux présents sur son territoire... En outre, le rapport conseille, d'une manière plus originale, la création de syndicats mixtes, à la manière de ce qui existe déjà dans le domaine de l'électrification. Ces syndicats regrouperaient les échelons territoriaux (communes, départements, région). Ils seraient chargés d'élaborer les schémas de déploiement, d'assurer la maîtrise d'ouvrage et de négocier avec les opérateurs. Un tel outil de gouvernance des projets a d'ailleurs déjà démontré son efficience justement avec Manche Numérique.

 

Prélever 50 centimes sur tous les abonnements numériques

"Si l'Etat ne donne pas le top départ, les différents acteurs vont continuer à se regarder le nombril !", a reconnu André Marcon. C'est pourquoi le rapport préconise une plus grande implication, notamment par la voie réglementaire. Il propose, outre le renforcement du rôle des collectivités ("les deux derniers décrets de la loi de modernisation de l'économie sont attendus !"), d'étendre les prérogatives de l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (Arcep) "en ce qui concerne l'aménagement du territoire". Enfin, il propose des pistes pour financer les 40 milliards nécessaires au fibrage de la France dont 10 venant du public pour un effet levier : fonds pour les initiatives locales alimenté par un pourcentage sur les recettes du dividende numérique ; fonds national créé par un prélèvement de 50 centimes sur tous les abonnements numériques (téléphone fixe, mobile et internet) et fonds régional par les contributions des syndicats mixtes à hauteur de 10 euros/an et /habitant. "Dans la période actuelle, nous ne pouvons plus nous permettre de gaspiller de l'argent !", a conclu André Marcon. La fibre optique, investissement structurant, devrait donc faire partie du deuxième plan de relance.

 

Luc Derriano / EVS conseil