Congrès des maires - Quelle communication publique auprès des citoyens en situation de précarité ?
"Merci, Monsieur le maire, d'être là". Cette phrase, nombre de maires venus au-devant de leurs concitoyens sinistrés par les graves inondations de cette semaine l'ont entendue. "Cette phrase-là, rien de pourra la remplacer", a gravement déclaré Yves Goasdoué, lors de l'atelier du 99e Congrès des maires organisé le 2 juin sur le thème "Communication publique locale : le défi de la proximité". Et le député-maire de Flers (61) n'était pas hors sujet, car selon lui cette présence, "c'est sans doute la meilleure communication publique".
Dans un contexte plus ordinaire, Agnès Lebrun, maire de Morlaix et grand témoin de l'atelier, n'hésite pas, comme beaucoup de ses collègues, à "aller se présenter, faire des tours de quartiers... en dehors de tout contexte électoral". Cela participe sans doute au fait que "près de trois Français sur quatre (73%) se disent fortement attachés à la commune", selon le sondage Ipsos-Cevipof-AMF publié à la veille de l'ouverture du congrès (voir notre article ci-contre du 31 mai 2016). "Dans un monde en totale dispersion, la proximité a d'autant plus de sens qu'elle s'emplit d'affect", revendique la maire de Morlaix.
La précarité éloigne de la politique...
Ce principe, elle l'applique avec les citoyens les plus précaires, un des thèmes émergeants dans la communication publique. "Cette population précaire, nous la connaissons, nous maires et élus aux affaires sociales : nous l'écoutons, nous essayons de l'aider", assure-t-elle. En retour, les plus précaires des administrés apparaissent, selon le baromètre Epiceum et Harris interactive de la communication locale (voir nos articles ci-contre), comme les moins sensibles aux informations des magazines municipaux et à la communication publique en général. "Cette fracture va au-delà de la communication publique", rectifie Agnès Lebrun. C'est pour elle "un mélange de repli sur soi, de crainte, de peur, d'affaiblissement général qui conduit à la fermeture d'esprit", comprend-elle après avoir entendu des mères de famille se demander combien de repas elles pourraient donner à leurs enfants dans la journée ou si elles verront leur CDD se prolonger...
"La précarité éloigne de la politique", confirme la sociologue Céline Braconnier, professeure des universités, directrice de Sciences Po Saint-Germain-en-Laye et auteur de l'ouvrage "Les inaudibles, sociologie politique des précaires". "Pour s'intéresser à la politique, il faut avoir l'esprit libre et ne pas être dans la survie au quotidien", ajoute-t-elle.
... mais cet éloignement ne constitue pas une rupture
Pour autant, les études que la sociologue a menées sur le terrain ont montré que "cet éloignement de la politique n'est pas une rupture". Il y a le cas de personnes qui ont été politisées et qui restent connectées à la vie politique et institutionnelle (Céline Braconnier cite un ancien ingénieur égyptien aujourd'hui ouvrier précaire en France qui consulte les journaux tous les jours en médiathèque, ou encore une femme très âgée qui prend son quotidien gratuit tous les matins).
Mais il y a aussi "un espoir placé dans la politique", ainsi qu'elle l'a observé avec ses équipes d'étudiants lors des élections présidentielles de 2012. Et puis, il y a une partie des personnes en situation de précarité, surtout des femmes ("elles ont à se battre pour autrui, en l'occurrence leurs enfants"), qui sont en contact quasi quotidien avec les guichets institutionnel qui distribuent des aides.
Porte-à-porte
Et ces gens-là, l'équipe de sociologues de Céline Braconnier en a fait l'expérience : "Si vous allez à leur domicile avec le dossier d'inscription aux listes électorales, dans 53% des cas ils s'inscrivent en direct. En revanche, si vous allez uniquement avec une plaquette d'information, ils ne seront que 23% à faire la démarche. Et 86% d'entre eux font ensuite le déplacement au bureau de vote."
A noter que cela ne marche pas très bien lorsque le porte-à-porte est opéré par des militants politiques, cela marche mieux avec des étudiants Sciences Po spécialement formés, des facteurs ou encore des retraités de la MGEN...
Le secret de ces campagnes de terrain reposerait sur le fait qu'"elles manifestent du respect". "On ne vend rien, on s'adresse aux gens en tant que citoyen et non plus en tant qu'objet d'aide sociale. Or on les interpelle rarement pour ce qu'elles ont de commun avec les autres", explique Céline Braconnier.
Complémentarité des services sociaux et des associations
Objet d'aide social, objet d'assistanat : les discours stigmatisant sont légions, regrette Olivier Berthe, président des Restos du cœur. "La fraude est inacceptable, qu'elle soit fiscale ou qu'elle soit sociale", reconnaît-il, mais attention à ces discours qui poussent des personnes à renoncer à des aides auxquelles elles auraient vraiment besoin. Ces discours sont "amplificateurs d'exclusion", alerte-t-il.
De son expérience aux Restos du cœur, il tire aussi le constat qu'il faut parfois trois à quatre tentatives auprès d'une personne précaire pour lui remettre un pied vers l'inclusion. Cette constance, les services sociaux n'en n'ont ni les moyens ni le temps. D'où l'importance du travail "complémentaire" mené par les bénévoles des structures associatives. D'où l'importance des subventions municipales, dans la durée, à ces associations…
Communication-vérité à Grande-Synthe
Ces échanges ont permis de prendre de la distance dans un débat entre communicants souvent centré sur la question de savoir s'il faut conserver son magazine papier ou passer au tout web, s'il faut se mettre sur les réseaux sociaux "oui mais alors lesquels et pour dire quoi"…
On retiendra le témoignage de Valérie Levin, directrice de la communication de la ville de Grande-Synthe, cette commune populaire de 22.000 habitants du Nord de la France dont le maire, Damien Carême (par ailleurs président de Ville & Banlieue), a décidé d'accueillir dignement, avec Médecins sans frontières, jusqu'à 2.500 migrants dans un camp dont l'Etat ne voulait pas mais que la population locale a accepté. Sur un sujet aussi sensible que la crise migratoire, "nous avons assuré une communication-vérité", dit très simplement Valérie Levin. Et dans ce cadre, "la relation humaine ne sera jamais remplacée", estime-t-elle, d'autant que "ce n'est pas ce qui coûte le plus cher !" : "Il faut de la créativité, de la réflexion, une bonne formation des communicants" et ne pas dédaigner "la bonne vieille lettre du maire à la population, sincère et sans fioriture".
Valérie Liquet
A lire sur Mairie-conseils
Sens expérimente avec SOS Médecins le suivi médical des personnes âgées (89)
Episol, l'épicerie solidaire de Thionville, évolue (57)
A Grande-Synthe, le revenu minimum étudiant est confirmé et recentré (59)
Aide alimentaire en territoire landais : partenaires bien coordonnés et contrat avec les familles (40)
Des réfugiés hébergés en habitat diffus dans une commune du Puy-de-Dôme (63)
Une commune corrézienne s'engage dans l'accueil de demandeurs d'asile (19)