Politique de la ville - Quarante ans et un "sentiment très contrasté" dans les quartiers
Le ministère de la Cohésion des territoires a lancé, le 6 octobre, les festivités liées aux "Quarante ans de la politique de la ville". Répondant aux élus qui ont exprimé leurs inquiétudes, le ministre Jacques Mézard a mis en avant la volonté du gouvernement de stabiliser le budget et de s'appuyer sur le terrain pour déployer "ce qui marche", notamment dans la lutte contre la radicalisation. Le maintien des emplois aidés dans les quartiers prioritaires devrait en outre constituer une "priorité". Le 16 octobre prochain, deux associations d'élus, Ville et Banlieue et Villes de France, organisent avec le mouvement Bleu Blanc Zèbre des Etats généraux de la politique de la ville.
"La politique de la ville, c'est un édifice extrêmement fragile." Emploi, transports, sécurité, amélioration du logement, soutien aux associations... "Dès que l'on touche à l'un des curseurs, on met en danger cet édifice." Maire de Clichy et co-président du Conseil national des villes, Olivier Klein a exprimé ses inquiétudes le 6 octobre 2017, à l'occasion du lancement des "40 ans de la politique de la ville" par le ministère de la Cohésion des territoires.
Auparavant, lors de cette matinée placée sous le sceau de l'optimisme, des acteurs culturels, économiques et sociaux des quartiers prioritaires - associations, médiateurs, artistes, chefs d'entreprises, conseillers citoyens… - avaient été mis à l'honneur. Derrière ces témoignages, une volonté : celle de rendre hommage au dynamisme de ces quartiers, mais aussi à la politique de la ville sans laquelle les choses auraient été différentes.
D'où le "sentiment très contrasté" d'un élu tel que Marc Vuillemot, maire de La Seyne-sur-Mer, président de Ville et Banlieue, qui a reconnu la "richesse incroyable" des quarante dernières années d'"expérimentation" et d'"engagement" tout en caractérisant la situation actuelle d'"extrêmement préoccupante".
Inquiétudes sur la péréquation et sur la contribution des bailleurs à la rénovation urbaine
Un sentiment partagé par François Pupponi, député-maire (PS) de Sarcelles. "La politique de la ville, ça marche", mais pour continuer à la mener "c'est aussi une bataille quotidienne", a pointé l'ancien président de l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru). L'"apartheid" est "encore ancré dans le raisonnement de certains", a-t-il ajouté, dénonçant "l'égoïsme territorial" qui, chaque année au moment du débat budgétaire à l'Assemblée nationale, menacerait la péréquation, les "seules recettes dynamiques" des communes de banlieues. Autre risque souligné : celui de voir les bailleurs mis en difficulté refuser de cofinancer la rénovation urbaine. Car pour l'heure, les deux milliards proposés par l'Union sociale pour l'habitat (USH) permettant de tenir la promesse du candidat Macron de doubler l'enveloppe Anru, est en suspens suite au "coup de massue porté au logement social" dans le projet de loi de finances pour 2018 (voir par exemple notre article L'USH accuse le chef de l'Etat de rompre le pacte républicain du 27 septembre 2017 ou celui du 21 septembre 2017 APL HLM - La fédération des OPH simule les conséquences de la baisse des loyers et ça fait très mal).
"On ne demande pas d'en faire plus, mais d'en faire autant", a appuyé Patrick Braouezec, président de la communauté d’agglomération Plaine Commune, se référant aux politiques de droit commun.
"Si nous [les services publics, ndlr] nous reculons, nous serons remplacés par ces associations que l'on peut qualifier de salafistes", dont le nombre ne cesserait d'augmenter et qui, elles, n'auraient "pas de problème de financement", a enfin alerté François Pupponi.
Un budget stable sur le quinquennat pour "donner de la visibilité"
"Tout n'a pas été réalisé, des difficultés existent encore et certaines se sont accentuées", a reconnu Jacques Mézard, ministre de la Cohésion des territoires, après avoir assisté à l'ensemble des échanges. "La réduction des fractures est un enjeu prioritaire", a assuré celui qui, en tant qu'élu du Cantal, aurait bien connu aussi "l'égoïsme des territoires les plus riches".
"Je ne souhaite pas rouvrir le chantier institutionnel et le débat du zonage, ni vous annoncer une nouvelle loi." Entendant répondre à une requête des acteurs de la politique de la ville, le ministre a mis l'accent sur la stabilité et la prévisibilité de la politique qu'il entendait mener.
Déjà annoncée, la sanctuarisation du budget 2017 de la politique de la ville pour 2018 serait ainsi valable pour "l'ensemble du quinquennat" afin de "donner de la visibilité aux acteurs". Les crédits du programme 147 s'élèveraient ainsi à 430,4 millions d'euros dans le projet de loi de finances (PLF) pour 2018 - soit effectivement le montant des crédits de paiement voté en loi de finances initiale pour 2017, avec 514 millions en autorisations d'engagement.
Annulation de crédits 2017, contrats aidés : Jacques Mézard tente de limiter les dégâts
En ce qui concerne 2017, le ministre de la Cohésion des territoires s'est dit conscient des "difficultés" qu'ont pu entraîner les deux décisions estivales particulièrement sensibles pour les quartiers prioritaires. Concernant le décret d'annulation de crédits du 20 juillet 2017, "nous avons tenté de limiter les effets sur les crédits déconcentrés avec au final un impact de 22 millions d'euros sur les 46 millions d'euros", a-t-il mis en avant. Sur l'attribution de contrats aidés, Jacques Mézard s'apprêterait à écrire, avec la ministre du Travail, aux préfets pour leur donner la consigne de favoriser les quartiers de la politique de la ville définis comme prioritaires.
Dans un communiqué du 6 octobre, l'association Ville et Banlieue s'est dit satisfaite de cette annonce tout en exprimant sa vigilance sur le fait que cette priorité "concerne bien tous les emplois aidés, qu’ils appuient les associations, ou les services publics communaux, territoriaux ou de l’Etat, dès lors que leurs missions concernent les territoires prioritaires".
Un comité interministériel des villes en décembre
Le ministre de la Cohésion des territoires a ensuite rappelé la vocation interministérielle de la politique de la ville, annonçant la tenue d'un comité interministériel des villes en décembre. L'occasion d'énumérer les efforts déployés par l'Etat dans les différents domaines : un milliard d'euro sur la rénovation urbaine, le dédoublement des classes de CP en REP+, la création d’une police de sécurité du quotidien…
En matière d'emploi,
l'objectif affiché est de "réduire de moitié l’écart de taux de chômage entre les habitants de quartiers et ceux qui n’y vivent pas" – l'écart serait aujourd'hui de 2,5. Pour cela, le ministre entend s'appuyer sur de nouveaux "emplois francs" – dont la mise en place pourrait passer par une phase d'expérimentation – ou encore sur la démultiplication des parrainages entre jeunes et entreprises.
Radicalisation : "transposer à dix à quinze territoires ce qui a été fait à Grigny"
Annoncé par Jacques Mézard - comme, un peu plus tôt, par Julien Denormandie, le secrétaire d'Etat auprès du ministre de la Cohésion des territoires qui ouvrait la matinée - un "changement de méthode" conduirait le gouvernement à s'appuyer davantage sur le travail des acteurs de terrain. Afin de "mettre en avant ce qui marche", des "ateliers territoriaux co-pilotés par l’Etat et les collectivités" seront menés dans dix territoires
"sur la citoyenneté, l’accès à la culture ou encore l’emploi".
Sur la prévention de la radicalisation chez les jeunes, "nous réfléchissons ainsi à transposer à dix à quinze territoires ce qui a été fait à Grigny avec réalisation d’un diagnostic partagé et suivi d’un plan d’action au niveau interministériel avec la mobilisation du gouvernement".
Via le Commissariat général à l'égalité des territoires (CGET), le ministère de la Cohésion des territoires entend enfin prolonger la dynamique du quarantième anniversaire jusqu'au printemps 2018. Quatre manifestations nationales seront organisées sur l'habitat et le cadre de vie, l'innovation dans les quartiers, la "professionnalité" des acteurs de la politique de la ville et la culture. Des projets locaux portés par tout type d'acteurs – collectivités, associations, conseils citoyens, bailleurs, écoles… - pourront en outre être labellisés - et éventuellement légèrement soutenus financièrement -, en particulier s'ils sont destinés à valoriser l'impact des politiques menées dans les quartiers.
Elus et associations des banlieues préparent un anniversaire "un peu plus punk" à Grigny le 16 octobre
Le 16 octobre prochain à Grigny (Essonne), le mouvement Bleu Blanc Zèbre organise avec les associations Ville et Banlieue et Villes de France des Etats généraux de la politique de la ville. Les associations invitent tous les acteurs de la politique de la ville à venir "partager l'état d'urgence dans lequel se trouvent les quartiers", "mettre en avant des solutions concrètes qui font leurs preuves localement" et "mobiliser toutes les parties prenantes pour donner un souffle nouveau à la politique de la ville". Un anniversaire "un peu plus punk", a résumé Edouard Zambeaux, journaliste, qui animait la matinée institutionnelle du 6 octobre.
C.M.