Quand les citoyens prennent les mesures écologiques qui les concernent
L'acceptabilité de la transition écologique par les habitants n'est pas chose aisée. Le colloque du CNFPT consacré à ce thème l'a confirmé. Mais à travers deux exemples de mise en place de zones à faibles émissions (ZFE), il apparaît que la décision venue des citoyens peut y contribuer, sans désarçonner les élus.
Et si la prise en compte de la parole des citoyens permettait de rendre acceptables les mesures, parfois contraignantes, en matière de transition écologique ? C'est cette hypothèse qui a nourri les débats de la table ronde intitulée "Transition écologique et dimension sociale : comment intégrer la question des inégalités ?" organisée à Bordeaux, mercredi 15 mars, à l'occasion de la seconde journée du colloque du CNFPT (Centre national de la fonction publique territoriale) consacré à la transition écologique.
Des inégalités, il a été fort peu question en vérité. Les réflexions ont plutôt tourné autour de l'égalité. En l'occurrence, l'égalité entre, d'un côté, la parole des élus et des experts, et de l'autre, celle des citoyens. Mais ce fil rouge a mis du temps à émerger. Il a fallu deux retours d'expérience sur la question des ZFE (zones à faibles émission de CO2) pour voir mise en avant la parole citoyenne. Avant cela, les échanges sur l'acceptabilité sociale avaient surtout porté sur l'accompagnement.
Accompagner les plus modestes
Olivier Martin, directeur général adjoint à la communauté urbaine du Grand Reims, a témoigné du choix "volontariste" de sa collectivité de mettre en place une ZFE en cœur de ville avant d'insister sur la dimension d'accompagnement : "On sait que les déplacements professionnels sont une préoccupation majeure et il faut pouvoir répondre aux gens qui nous disent qu'ils ne pourront plus rentrer en ville. Aujourd'hui, on arrive dans le dur avec l'interdiction des Crit-Air 3, soit 20% du parc automobile. Nous rappelons donc que l'enjeu n'est pas uniquement de changer ce parc mais de faire évoluer les modes de déplacements. Des salariés à revenus modestes habitent relativement loin de leur lieu de travail, situé en cœur de ville. Ce sont eux qu'il faut rassurer et accompagner dans la transition, à la fois en améliorant les dessertes de transports en commun, le schéma cyclable et l'information sur la mobilité, mais aussi à travers l'aide à la conversion."
À Est ensemble – EPCI englobé dans la ZFE de la région parisienne et qui regroupe neuf communes de Seine-Saint-Denis –, l'interdiction du Crit'Air 3 va toucher 41% de la population alors que celle du Crit'Air 4 en touchait déjà 20%. Pour cette population, aux "marqueurs sociaux un peu compliqués", selon Véronique Ragusa Bartolone, directrice de l’environnement et de l’écologie d'Est ensemble, "la question se pose de continuer à avoir accès au travail, à la santé, à l'éducation quand on habite une zone mal desservie par les transports en commun". Ici encore, il y a un accompagnement à réaliser, mais pas seulement pour changer de mode de déplacement ou de véhicule. "Il faut réorganiser la ville dans son ensemble pour permettre aux gens de ne plus faire 25 ou 30 kilomètres pour aller au travail, à l'hôpital ou à l'université, a estimé Véronique Ragusa Bartolone. La volonté des élus a toujours été d'avoir une attention particulière envers les plus fragiles dans les questions de transition écologique. On a des dispositifs pour aller vers les familles en grande précarité énergétique, ou vers les publics plus jeunes dans les centres de loisirs, ou à travers des ambassadeurs pour le climat."
Tirage au sort et expertise inversée
Mais, on l'a bien compris, si nécessaire soit-il, cet accompagnement social des plus précaires ne suffit pas à l'heure de faire accepter les changements parfois radicaux qu'impose la transition écologique. À Reims, toutes les étapes désormais classiques d'un projet aussi important que celui de l'installation d'une ZFE ont été mises en œuvre, y compris une concertation. "On conçoit bien qu'il est indispensable d'avoir le plus d'échanges possible sur les mesures qu'on souhaite prendre, a reconnu Olivier Martin. Pour autant, on constate deux phénomènes, inquiétants et un peu problématiques. D'une part, les participations sont souvent relativement faibles et surreprésentent les personnes les plus favorables comme les plus hostiles au projet, ce qui rend la décision beaucoup plus difficile et le résultat de la concertation relativement complexe." Les échanges de Bordeaux ont d'ailleurs souvent mis en avant les limites de la participation citoyenne, laquelle a même suscité une profonde circonspection chez plusieurs intervenants…
Pour rappeler l'importance, si ce n'est l'indispensable centralité des citoyens dans une démocratie, l'expérience d'Est ensemble était la bienvenue. "Dans ce territoire où les trois quarts des habitants ont un niveau de formation inférieur ou égal au bac, on a la volonté d'associer au maximum la population à la prise de décision alors qu'elle n'est pas la plus encline à participer aux dispositifs de concertation habituels", a expliqué Véronique Ragusa Bartolone. Une convention locale de citoyens pour le climat et la biodiversité a donc été organisée. Cent habitants ont été tirés au sort de façon à respecter la sociologie du territoire en se fondant sur les données de l'Insee. Leur mandat : proposer des mesures concrètes pour lutter contre le changement climatique sur le territoire qui tiennent compte de la biodiversité et de la justice sociale. "Un champ volontairement vaste pour donner toute son extension à l'expression des citoyens", a souligné Véronique Ragusa Bartolone. Côté méthodologie, on a pratiqué "l'expertise inversée" en partant de ce que les citoyens savaient et non de ce que les experts savaient. Ce sont donc les citoyens eux-mêmes qui ont dressé un portrait du territoire et défini les enjeux environnementaux à partir de ce qu'ils en connaissaient. L'intervention d'experts n'est arrivée que par la suite. Dernière règle : la neutralité totale des débats, garantie par des "protecteurs", tandis que les élus ne se sont pas exprimés.
Respecter la parole citoyenne
Résultat : tout s'est bien passé, merci. La convention citoyenne locale d'Est ensemble a formulé 229 propositions dont 218 ont été adoptées en conseil de territoire et intégrées au plan climat avec des engagements précis quant à leur mise en œuvre. "On a toujours l'impression que l'environnement n'est pas au cœur des préoccupations des populations les plus fragiles, a commenté Véronique Ragusa Bartolone, mais dès la deuxième session, il y a eu un véritable engagement. Les décisions prises ont été très courageuses, notamment en faveur de la ZFE, alors qu'elle va pénaliser socialement une grande partie de notre population."
Depuis la salle, une question a alors surgi, mêlant à la fois l'intérêt que l'expérience d'Est ensemble venait de provoquer et la méfiance envers un objet politique mal identifié et surtout peu employé : "Les élus ont-ils intérêt à consulter les citoyens si cela remet en cause leur projet politique ?" La réponse de Véronique Ragusa Bartolone a été limpide : "Notre convention a totalement légitimé l'action et la parole publiques. Pour les élus, c'est plutôt assez confortable. Ils peuvent s'appuyer sur les mesures adoptées pour tracer les politiques publiques du territoire." La directrice de l’environnement et de l’écologie d'Est ensemble venait de donner la clé : donner la parole aux citoyens et, surtout, la respecter.