Social / Citoyens - Projet de loi Asile et Immigration : l'Assemblée adopte un texte légèrement assoupli
Au terme d'un véritable marathon - les débats se sont achevés dans la nuit du dimanche 22 avril avec 48 heures de retard - et dans une ambiance tendue (voir notre article ci-dessous du 18 avril), l'Assemblée nationale a adopté, en première lecture, le projet de loi "pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie", présenté au conseil des ministres du 21 février (voir notre article du 26 février sur le contenu détaillé du projet de loi). Au final, le texte a été adopté par 228 voix pour, 139 contre et 24 abstentions. Si 14 députés LREM se sont abstenus, un seul - Jean-Michel Clément, élu de la Vienne - a voté contre le texte, annonçant dans la foulée son départ du groupe. Les autres abstentions viennent essentiellement du groupe du Mouvement démocrate et apparentés, qui appartient à la majorité parlementaire.
Pas de remise en cause des mesures clés du projet de loi
Sur le fond, seule une cinquantaine d'amendements - dont une quinzaine déposés par le gouvernement - ont été adoptés, sur un total de 1.109 amendements. Ils vont globalement dans le sens de concessions du gouvernement, sans toutefois remettre en cause les lignes directrices et les mesures clés du texte. En particulier l'allongement de la durée maximale de rétention administrative de 45 à 90 jours et la réduction de 30 à 15 jours du délai de recours devant la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) n'ont pas été remis en cause (malgré quelques aménagements pour ce second délai).
En revanche, plusieurs amendements introduisent des préconisations tirées du récent rapport d'Aurélien Taché - député (LREM) du Val d'Oise - "Pour une politique ambitieuse d'intégration des étrangers arrivant en France" (voir notre article du 20 février 2018). Enfin, si la possibilité de placer des familles avec des mineurs en centre de rétention n'a finalement pas été remise en cause, Gérard Collomb a confirmé son accord pour qu'un groupe de travail soit mandaté pour rechercher une solution à cette présence de mineurs dans les centres de rétention.
Le délai de recours devant la CNDA ramené à 15 jours, mais...
Parmi les amendements significatifs adoptées par l'Assemblée, on retiendra notamment la faculté donnée à l'Ofpra (Office français de protection des réfugiés et des apatrides) de refuser ou de mettre fin au statut de réfugié en cas de condamnations pour des faits graves prononcées par un Etat non membre de l'Union européenne, mais dont la France reconnaît les législations et juridictions pénales au regard de l'application du droit dans le cadre d'un régime démocratique et des circonstances politiques générales (amendement n°25, sur l'article 4). Cette possibilité existait déjà dans le cas des Etats de l'UE.
Un amendement (n°479, art.6) de la rapporteure Elise Fajgeles (LREM) atténue les effets de la réduction de 30 à 15 jours du délai de recours devant la CNDA en officialisant ce qui est d'ores et déjà une pratique de la Cour. Celle-ci pourra ainsi accepter une saisine sommaire, avec la possibilité de compléter le recours avant son examen par la formation de jugement.
Toujours sur la CNDA, un autre amendement (n°375, art. additionnel après l'art.6) élargit les critères de recrutement des présidents de formation de la Cour, afin de permettre la nomination d'anciens magistrats administratifs ou judiciaires autres qu'honoraires, dès lors qu'ils disposent d'une réelle expertise en matière d'asile. L'objectif est de sortir des difficultés actuelles, avec des présidents vacataires qui refusent de siéger en juge unique (ce qui est le cas dans environ le tiers des audiences) et, selon l'exposé des motifs, n'ont souvent "qu'une compétence limitée en matière de droit d'asile et, dans une certaine mesure, méconnaissent la réalité géopolitique des pays d'origine des requérants".
Dans le même esprit que celui évoqué ci-dessus, la rapporteure a également fait adopter un amendement (n°480, art.9) ajoutant aux missions des plateformes d'accueil des demandeurs d'asile (Pada) la mise en œuvre d'une assistance juridique aux demandeurs. Cette mesure reprend une suggestion du Conseil d'Etat dans son avis sur le projet de loi et est en lien direct avec la réduction du délai de recours devant la CNDA.
Des précisions sur le schéma régional d'accueil des demandeurs d'asile
De son côté, un amendement du gouvernement (n°1147, art.9) précise le contenu des schémas régionaux d'accueil des demandeurs d'asile et d'intégration des réfugiés. Ceux-ci devront aborder tous les volets de la politique de l'asile : enregistrement des demandes d'asile, modalités de suivi, d'accompagnement et d'hébergement des demandeurs, actions mises en œuvre pour l'éloignement des déboutés et transferts sous procédure Dublin, actions d'intégration des réfugiés... Pour sa part, le schéma national "fixe la part des demandeurs d'asile accueillis dans chaque région ainsi que la répartition des lieux d'hébergement qui leur sont destinés".
Un autre amendement du gouvernement (n°1162, article additionnel après l'art.9) reprend un amendement du groupe LREM irrecevable au titre de l'article 40 de la Constitution. Celui-ci reprend lui-même une proposition du rapport Taché, en permettant aux bénéficiaires de la protection internationale d'obtenir le bénéfice de leurs droits sociaux sur la base de la composition familiale prise en compte dans le cadre de la procédure d'asile, sans attendre la fixation définitive de leur état-civil par l'Ofpra.
Une possibilité de refus d'accès au territoire jusqu'à 10 km après la frontière
Pour sa part, Joël Giraud, député (LREM) des Hautes-Alpes - département très concerné par l'arrivée de réfugiés - a fait adopter un amendement (n°631, art.10 b) précisant le périmètre géographique dans lequel il est possible de refuser l'accès au territoire aux personnes contrôlées à proximité d'une frontière intérieure terrestre qu'elles ont franchie sans y être autorisées. Alors que le projet de loi initial prévoyait de renvoyer cette définition à un décret, l'amendement adopté précise qu'il s'agit d'une zone comprise entre la frontière "et une ligne tracée à dix kilomètres en deçà".
Un amendement du gouvernement (n°1144, art.12) entend prévenir un "risque d'enchevêtrement des procédures contentieuses", en évitant la concomitance des audiences des juges des libertés et de la détention et du juge administratif dans l'hypothèse où l'étranger, ayant contesté l'obligation de quitter le territoire dont il fait l'objet, est placé en rétention en cours d'instance. Le délai de jugement du tribunal administratif est ainsi porté à 144 heures (six jours), ce qui correspond au délai de 96 heures suivant l'expiration du délai de recours de 48 heures, prévu lorsque le placement en rétention est notifié en même temps que l'obligation de quitter le territoire français (OQTF).
Aménagements pour le "refus d'embarquement"...
Plusieurs amendements (n°159, 1011 et 1031, art.16) précisent que la décision de placement éventuel en rétention administrative doit tenir compte de la vulnérabilité de la personne, et notamment d'un éventuel handicap.
Un long amendement du gouvernement (n°1169, art. additionnel après l'art.19) facilite l'application de la loi pénale lorsque l'étranger faisant l'objet d'une mesure d'éloignement fait obstacle à la mise à exécution effective de cette mesure en opposant un "refus d'embarquement". Cet amendement doit lever les contradictions entre la "directive retour" de l'UE, la jurisprudence de la Cour de justice de l'UE et celle de la Cour de cassation. En pratique, l'amendement supprime la peine d'emprisonnement tant que la rétention permet l'exécution de la mesure d'éloignement, et la remplace par une amende "qui n'entrave pas la procédure administrative et peut comporter un effet dissuasif".
... et forte atténuation du "délit de solidarité"
Les députés LREM ont également fait adopter deux amendements (n°1173 et 1174, art. additionnel après l'art.19 bis) qui atténuent, sans le supprimer totalement, le "délit de solidarité". Ainsi, "l'aide à la circulation" n'est plus susceptible de constituer un délit. L'exposé des motifs explique qu'il s'agit là d'un amendement équilibré "en ce qu'il permet de mieux protéger les actes de solidarité nécessaires au bon fonctionnement de notre société, et qu'il préserve l'efficience de nos dispositifs de démantèlement des filières en maintenant dans sa rédaction actuelle le délit d'aide à l'entrée et au séjour irréguliers".
Le parcours d'intégration renforcé et un accès plus rapide au marché du travail
S'inspirant du rapport Taché, un amendement du gouvernement (n°1148, art. additionnel après l'art.26) renforce le parcours d'intégration républicaine instauré par la loi du 7 mars 2016. Il lui adjoint en particulier un dispositif d'accompagnement vers l'emploi, en instituant un conseil en orientation professionnelle et un accompagnement pour tous les étrangers signataires du contrat d'intégration républicaine se déclarant en recherche d'emploi. L'amendement inscrit également la formation linguistique dans la loi et précise que l'ensemble des formations et actions proposées aux étrangers dans le cadre de leur parcours d'intégration républicaine sont prises en charge par l'Etat.
Dans le même esprit, deux amendements (n°884 et 1053, art.26 bis) font passer de neuf à six mois le délai au terme duquel un demandeur d'asile qui n'a pas encore obtenu de réponse de l'Ofpra peut accéder au marché du travail (sous réserve des règles de droit commun applicables aux travailleurs étrangers pour la délivrance d'une autorisation de travail).
Les préfectures devront respecter l'avis médical de l'Ofii
Un autre amendement émanant du groupe LREM (n°1024, art.31) contraint l'autorité administrative à mentionner une motivation spécifique (en l'occurrence un motif d'ordre public) lorsqu'elle entend passer outre à un avis du service médical de l'Ofii (Office français de l'immigration et de l'intégration). En pratique, il s'agit de mettre un terme aux cas "constatés dans certaines préfectures, où des expulsions après avis contraire de l'Ofii ont été documentées par plusieurs associations".
Les Compagnons d'Emmaüs ont mené une action efficace autour du projet de loi, puisque pas moins de quatre amendements (n°59, 70, 79 et 356, art. additionnel après l'art. 33 bis) instaurent un titre de séjour temporaire pour motif exceptionnel après trois années de présence active dans une communauté.
Autre assouplissement, issu à nouveau du rapport Taché (n°1159, article additionnel après l'art.34) : le bénéfice de l'extension de validité de trois mois prévue pour le renouvellement des cartes de résidents est étendu aux étrangers titulaires d'une carte de séjour pluriannuelle d'une durée maximum de quatre ans, dès lors que l'intéressé a déposé une demande de renouvellement avant l'expiration de sa carte de séjour.
Après son adoption par l'Assemblée, le projet de loi devrait être examiné en juin par le Sénat, qui devrait largement réécrire le texte dans un sens plus restrictif.
Références : projet de loi pour une immigration maîtrisée et un droit d'asile effectif (adopté en première lecture par l'Assemblée nationale le 22 avril 2018).