Social / Citoyens - La commission des lois amende à la marge le projet de loi Asile... mais revoit la loi sur l'application du régime européen
L'Assemblé nationale a entamé l'examen, en première lecture, du projet de loi "pour une immigration maîtrisée et un droit d'asile effectif", présenté au conseil des ministres du 21 février (voir notre article ci-dessous du même jour). La commission des lois, mais aussi celles des affaires sociales et des affaires étrangères ont ainsi adopté 137 amendements, sur les 981 déposés par les rapporteurs et les députés. Ces amendements, qui ne modifient pas l'économie générale du texte (voir notre article ci-dessous du 26 février 2018 sur le contenu détaillé du projet de loi) vont quasiment tous dans le sens d'un assouplissement de ses dispositions.
Pas de remise en cause du doublement de la durée de la rétention
En revanche, la commission des lois a écarté, à la demande pressante de Gérard Collomb, tous les amendements qui visaient à remettre en cause l'augmentation de la durée maximale de la rétention administrative, que le projet de loi prévoit de porter de 45 à 90 jours, ou encore la présence de mineurs (avec leur famille) dans les centres de rétention.
De même, ont été écartés plusieurs amendements - dont quelques uns portés par des députés de la majorité dans le prolongement du rapport d'Aurélien Taché "Pour une politique ambitieuse d'intégration des étrangers arrivant en France" (voir notre article ci-dessous du 20 février 2018) - visant à faciliter l'intégration des demandeurs d'asile en réduisant de neuf à six mois le délai d'entrée sur le marché du travail.
Certains amendements sur l'intégration devraient toutefois être retravaillés et revenir en séance publique, le ministre de l'Intérieur s'étant déclaré "favorable à ce que l'on puisse, après six mois, accéder au travail, à cette réserve près qu'il ne faut pas que le demandeur d'asile puisse bénéficier d'une procédure plus facile que les personnes qui viennent légalement en France pour travailler".
Une mission d'hébergement préalable à l'enregistrement de la demande d'asile
Si on laisse de côté les habituels amendements rédactionnels et de coordination, déposés par la rapporteure de la commission des lois Elise Fajgeles, députée (LREM) de Paris, plusieurs amendements apportent des aménagements significatifs au texte initial. Ainsi, le demandeur d'asile handicapé pourra se faire assister par le professionnel de santé qui le suit ou le représentant d'une association de personnes handicapées (amendement CL920 sur l'article 5).
Un autre amendement (CL911, art.9) inscrit dans la loi une mission d'hébergement préalable à l'enregistrement de la demande d'asile, "qui constitue une modalité qu'il convient de développer afin de prévenir la constitution de campements et de répondre aux besoins des personnes qui manifestent le souhait de déposer une demande d'asile". De même, des amendements (CL912 et CL827, art 9) aménagent la possibilité d'orientation d'office d'un demandeur d'asile vers une région d'accueil pour l'hébergement, notamment en prévoyant que "l'orientation directive" ne peut être mise en œuvre qu'en cas d'afflux de demandeurs d'asile dans une région.
Dans le même esprit, un amendement (CL915, art.9) prévoit un décret en Conseil d'Etat pour fixer des normes minimales en matière d'accompagnement social et administratif dans les lieux d'hébergement.
Un amendement "séquence" la rétention administrative
Pour sa part, l'amendement CL900 (avant l'art.10) supprime le délai d'un jour franc avant rapatriement, qui a perdu son sens depuis le rétablissement des contrôles aux frontières en novembre 2015, tandis que deux autres (CL756 et CL824, avant l'art.10) - à la portée plutôt déclarative - prévoient que les agents chargés du contrôle de la frontière accordent "une attention particulière [...] aux personnes vulnérables notamment aux mineurs, que ces derniers soient ou non accompagnés d'un adulte".
Les députés de la commission des lois ont également adopté une disposition (CL109, art.16) rendant obligatoire la prise en compte de "l'état de vulnérabilité" du demandeur avant tout placement en rétention administrative (cette prise en compte était jusqu'alors réservée aux cas de réadmission).
Si la commission des lois n'est pas revenue sur le passage de la durée maximale de la rétention administrative de 45 à 90 jours, elle a en revanche adopté (CL821, art.16) un "séquençage" de cette dernière avec deux premières phases de 2 et 28 jours (inchangées par rapport à la situation actuelle), une troisième phase de 30 jours (au lieu de 15) et un "rebond" de deux fois 15 jours, "afin de prévenir les éventuelles manœuvres dilatoires décrites dans le projet de loi initial et d'attendre, le cas échéant, que parviennent les documents consulaires lorsqu'il est établi que ceux-ci seront délivrés dans un très bref délai".
Interdiction du territoire français pour certaines infractions
Un autre amendement (CL899, après l'art.19) modifie le Code pénal pour permettre aux juridictions répressives de prononcer, à titre principal ou complémentaire, la peine d'interdiction du territoire français (ITF) en répression de certaines infractions délictuelles graves pour lesquelles elle était jusqu'à présent exclue. Les infractions visées sont notamment les violences volontaires aggravées, le mariage forcé, les agressions sexuelles, les enlèvements, la réduction d'être humains en esclavage, les vols aggravés (avec violences ou visant un objet classé), mais aussi la "destruction, dégradation ou détérioration du bien d'autrui par l'effet d'une substance explosive ou incendiaire mettant en danger les personnes".
Plusieurs amendements (dont CL215, art.20) élargissent le périmètre de délivrance de la carte de séjour pluriannuelle portant la mention "passeport talent". Visant à l'origine les entreprises et la recherche, cette possibilité de délivrance sera étendue aux activités de développement social (RSE) et international de l'entreprise, ainsi qu'à l'économie sociale et solidaire. Les cartes de séjour pour motifs artistiques sont également étendues au cas de l'artisanat (CL217, art.20)
La commission des affaires sociales revoit le parcours des MNA
Pour sa part, un amendement de la commission des affaires sociales (AS67, avant l'art.23) modifie le code de l'action sociale et des familles, afin de l'adapter à la réalité des parcours des mineurs non accompagnés (MNA). Les modifications portent notamment sur les conditions de l'entretien avec le mineur approchant de la majorité (qui pourrait être avancé à 16 ans) et sur une meilleure anticipation de ce passage à la majorité en permettant d'examiner la situation administrative du mineur au regard du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (Ceseda).
Des amendements (CL42, 368 et 886, après l'art.26) concilient le dépôt d'une demande d'asile et la poursuite d'un contrat d'apprentissage pour les mineurs étrangers pris en charge par l'ASE (alors que l'accès au marché du travail n'est normalement pas autorisé avant neuf mois).
Un autre amendement - à nouveau de la commission des affaires sociales (AS55, après l'art.26) - crée une brèche supplémentaire dans la barrière des neuf mois, en autorisant le demandeur d'asile à accéder au marché du travail lorsque l'Ofpra "pour des raisons qui ne sont pas imputables au demandeur d'asile, n'a pas statué sur la demande d'asile dans un délai de six mois à compter de l'introduction de la demande".
Droit d'asile effectif, immigration maîtrisée... et intégration réussie
Pour sa part, l'amendement CL465 (après l'art.33) contraint le gouvernement à remettre son rapport annuel sur la politique d'immigration et d'intégration dans les cinq mois suivant la fin de l'exercice considéré, au lieu d'un délai actuel de quinze à seize mois (le rapport sur l'année 2016 a, par exemple, été déposé en mars 2018). Cet amendement est complété par un autre (CL464, après l'art.33), qui introduit dans ce rapport un compte-rendu sur la politique de l'asile et sur la mise en œuvre du schéma national d'accueil des demandeurs d'asile.
Enfin, signe de l'impatience de certains députés de la majorité sur le renforcement du volet relatif à l'intégration, un amendement (CL444, sur le titre), complète l'intitulé du projet de loi, qui deviendrait "pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie".
Loi du 20 mars 2018 : un retour complet sur l'accord avec le Sénat
En définitive, les principales modifications apportées par la commission des lois portent paradoxalement sur un autre texte, pourtant voté très récemment. Il s'agit en l'occurrence de la loi du 20 mars 2018 permettant une bonne application du régime d'asile européen, issue d'une proposition de loi déposée le 24 octobre dernier par Jean-Luc Warsmann, député des Ardennes, et plusieurs de ses collègues du groupe UDI, Agir et Indépendants (voir notre article ci-dessous du 22 mars 2018).
En pratique, ces amendements reviennent sur la plupart des modifications apportées par le Sénat à la proposition de loi. L'argument invoqué dans les exposés des motifs pour justifier ce revirement - alors que les députés avaient accepté les amendements du Sénat - est que "l'Assemblée nationale avait été contrainte d'accepter [ces dispositions, ndlr] dans sa négociation avec le Sénat pour permettre une adoption conforme, plus rapide, du contenu initial du texte" et que le gouvernement avait acté le principe d'un retour sur ces dispositions.
Plus de placement en rétention pour refus de prise des empreintes digitales
Ainsi des amendements (CL826, CL922, après l'art.7) ramènent de sept à quinze jours le délai de contestation devant le juge administratif d'une décision de transfert, vers un autre Etat membre de l'Union européenne, d'un étranger faisant l'objet d'une procédure "Dublin".
De même, les amendements CL517, 836 et 907 (art.16) suppriment la possibilité de placement en rétention pour le seul motif de refus d'accepter la prise d'empreintes digitales ou pour avoir dissimulé des éléments de son parcours migratoire, de sa situation familiale et de ses demandes antérieures d'asile. L'argument avancé est que la loi donne déjà la possibilité de prendre en compte ces situations.
D'autres amendements (CL825 et 906, après l'art.17) ramènent de six à quatre jours la durée de validité de l'ordonnance du juge des libertés et de la détention permettant aux forces de l'ordre d'effectuer des visites domiciliaires dans le cadre des assignations à résidence.
La discussion du projet de loi en séance publique - sur le texte ainsi modifié par les commissions - débutera le 16 avril et se poursuivra sans discontinuer jusqu'au 19 avril inclus. Pas moins de neuf séances sont ainsi prévues pour examiner le texte.
Références : projet de loi pour une immigration maîtrisée et un droit d'asile effectif (examen prévu en première lecture à l'Assemblée nationale du 16 au 19 avril 2018).