PLF 2019 - Prime d'activité : une budgétisation "plus cohérente", mais des effets très différents selon les profils
Dans le cadre de l'examen du projet de loi de finances pour 2019, Philippe Mouiller, sénateur (LR) des Deux-Sèvres, a remis son rapport pour avis, fait au nom de la commission des affaires sociales, sur les crédits de la mission "Solidarité, insertion et égalité des chances". Comme celui de la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale (voir notre article du 9 novembre 2018), le rapport du Sénat revient sur "les mesures de retouche de la prime d'activité" et estime que "les mesures d'augmentation des montants individuels sont en partie compensées par des mesures de restriction du public éligible" (allusion à la suppression annoncée de la prise en compte des rentes accidents du travail-maladies professionnelles et des pensions d'invalidité comme revenus professionnels dans le calcul du droit à la prestation).
11% de bénéficiaires supplémentaires prévus en 2019
Le rapport de la commission des affaires sociales du Sénat reconnaît toutefois une "budgétisation plus cohérente" pour 2019. Celle-ci prend notamment en compte une augmentation notable du nombre de bénéficiaires – avec 2,95 millions de foyers en 2019, contre 2,66 millions en juin 2018 (+11%) -, ainsi que les effets de la majoration forfaitaire de la bonification individuelle de 20 euros, prévue par l'article 82 du PLF. Ceci explique une budgétisation de la prime d'activité à hauteur de six milliards d'euros, soit +16,7% par rapport à la loi de finances initiale pour 2018 et +11,1% par rapport à la loi de finances rectificative pour 2018.
Le rapporteur relève donc "avec satisfaction que, pour la première fois, les crédits ouverts dans le projet de loi finances au titre de la prime d'activité ne sont pas identiques (voire inférieurs) aux crédits demandés pour l'exercice en cours en projet de loi de finances rectificative, alors que la dynamique de la dépense reste forte".
L'impact très fort de la composition familiale
Le plus intéressant du rapport réside toutefois dans une analyse fouillée de l'impact de la prime d'activité en fonction de la composition familiale. La prime d'activité présente en effet la particularité de répondre à la fois à une logique individuelle et à une logique familiale. Le rapport se penche ainsi sur quatre cas distincts, qui, selon une récente étude de la Cnaf, sont représentatifs de l'ensemble des publics concernés par la prime d'activité : les bénéficiaires célibataires (52%), les familles monoparentales (22%), les couples biactifs avec enfants (19%) et les couples biactifs sans enfant (7%).
Dans le cas des bénéficiaires célibataires, la prime d'activité correspond à un soutien au pouvoir d'achat des petits salaires, permettant ainsi "une augmentation significative de leur niveau de vie". L'effet incitatif de la prime d'activité prolonge celui du RSA socle, qui cesse de produire ses effets à partir de 0,8 Smic. Le supplément apporté par la prime d'activité permet en effet de poursuivre l'incitation au retour à l'emploi au-delà de ce seuil, jusqu'à 1,2 Smic. Cependant, la prime d'activité "présente [...] ses niveaux les plus élevés dans la zone comprise entre 0,3 et 0,7 Smic, où elle vient en renfort d'un RSA dont le niveau différentiel tend à substantiellement décroître, mais qui continue tout de même d'être versé".
Pour les familles monoparentales avec un enfant, la prime d'activité se révèle "très incitative au retour à l'emploi". Ce caractère incitatif atteint son niveau maximal entre 0,7 et 0,9 Smic, soit nettement au-dessus du cas de l'allocataire célibataire. De même - et contrairement au cas précédent -, la prime d'activité d'une famille monoparentale connaît une décélération par rapport aux revenus d'activité beaucoup plus tardive.
Une "trappe à inactivité" pour les couples sans enfant
En revanche, pour les couples biactifs sans enfant, la simulation révèle une "trappe à inactivité" à partir de 0,8 Smic, lorsque l'augmentation du revenu d'activité se traduit par une diminution nette des revenus de remplacement. Pour le rapporteur, "cette désincitation s'explique en grande partie par les effets contradictoires de la formule de calcul de la prime d'activité, dont l'augmentation de la composante individualisée ne compense plus la diminution de la composante familialisée". Avant 0,8 Smic, les effets de la prime d'activité sont par contre très proches de ceux observés pour un célibataire.
Enfin, dans le cas des couples biactifs avec deux enfants, on observe de fortes différences avec le cas précédent. La première consiste en un décalage important des niveaux maximaux de la prime vers des niveaux plus importants de rémunération, "permettant ainsi d'inciter le couple à chercher des emplois rémunérateurs sans risquer la désincitation du conjoint". La seconde différence réside dans un écart important entre la courbe de revenu avec et sans prime d'activité, alors qu'elles se rapprochent fortement dès 1,1 Smic dans le cas des couples sans enfant. Pour le rapporteur, "on constate ainsi sans difficulté l'effet pleinement opérant du caractère incitatif de la prime".
Ce double effet s'explique principalement "par l'application du quotient familial aux revenus fiscaux d'un couple biactif avec enfants. Ce dernier empêche l'entrée dans la première tranche de l'imposition sur les revenus de neutraliser les gains liés à la prime".
Cette analyse des quatre cas de figure amène le rapporteur à constater une prise en compte insuffisante de la "concurrence" de la prime d'activité avec les dispositifs de la politique familiale (majoration de la base de ressources, majoration du montant forfaitaire des revenus de remplacement et quotient familial). Ceci conduit à distinguer deux grandes catégories d'effets de la prime d'activité sur les foyers bénéficiaires : "De façon générale, la prime d'activité remplit davantage sa mission de soutien au pouvoir d'achat dans les cas où le foyer n'a pas d'enfant à charge, au détriment de l'incitation financière de retour à l'emploi. Inversement, les foyers qui bénéficient déjà d'allègements fiscaux et de majorations liés aux enfants dont ils ont la charge se trouvent davantage incités à la recherche d'un emploi plus rémunérateur par la prime d'activité".
Références : Sénat, projet de loi de finances pour 2019, rapport pour avis de la commission des affaires sociales sur les crédits de la mission Solidarité, insertion et égalité des chances. |