Prévention et gestion des déchets : la loi Agec doit transformer l’essai
"Les transformations actuelles, encore balbutiantes, devront s’accélérer pour permettre un véritable changement de modèle économique vers l’économie circulaire." Tel est en substance le message du rapport d’information de l’Assemblée nationale présenté ce 29 mai par la mission d’évaluation chargée de dresser un bilan de la loi Agec. La prévention de la production de déchets, l’écoconception, le réemploi ou la réutilisation en restent encore les parents pauvres.
Quatre ans après l’adoption de la loi anti-gaspillage pour une économie circulaire (Agec), la mission d’évaluation chargée d’en dresser le bilan a remis ses travaux, ce 29 mai, en dévoilant devant la commission du développement durable et de l'aménagement du territoire de l’Assemblée nationale, la centaine de propositions formulées pour en accroître l’effectivité dans un rapport fleuve de plus de 200 pages. Considérée comme "ambitieuse" et "structurante" dans la transformation vers un modèle d’économie circulaire, la loi Agec se heurte toutefois dans sa mise en oeuvre "à divers blocages, que ce soit à l’échelle locale, nationale ou européenne", relèvent d’emblée les corapporteurs Véronique Riotton (RE-Haute-Savoie) et Stéphane Delautrette (Soc-Haute-vienne). "Force est de constater que plusieurs dispositions de la loi sont peu appliquées, voire pas du tout appliquées, ne font pas l’objet de mesures de suivi ou de contrôle", note le rapport, qui déplore notamment "des difficultés d’accès aux données", voire "l’absence d’indicateurs de suivi".
Un refrain entonné en février dernier par les associations Zero Waste France, France Nature Environnement, No Plastic In My Sea, Les Amis de la Terre France et Surfrider Foundation Europe, qui alertaient dans un rapport "sur les maigres résultats de la loi Agec et l’augmentation des déchets ménagers" (lire notre article du 7 février 2024). Ces dernières ont donc immédiatement réagi à la publication de ce rapport d'évaluation qui va dans leur sens, en appelant dans un communiqué à une mise en oeuvre rapide des recommandations des parlementaires "pour les rendre opérationnelles au plus vite". Une grande partie des propositions fait d’ailleurs écho aux solutions dégagées par Amorce, qui lors d’un colloque sur les déchets résiduels organisé ce 23 mai à Paris, a plaidé une énième fois pour remettre le système à plat dans une "loi Agec 2" (lire notre article du 28 mai 2024).
Mieux consommer
C’est un premier axe de propositions visant entre autres à "mieux informer le consommateur" pour l’inciter à privilégier des achats durables. Après l'expérimentation "encourageante" de l’affichage environnemental dans les secteurs alimentaires et textile, il convient, selon le rapport, d’en "accélérer le déploiement" dans l’ameublement et les cosmétiques, et de "privilégier une méthodologie de calcul reposant sur l’analyse du cycle de vie". L’indice de durabilité (mis en place depuis janvier 2024 pour succéder à l’indice de réparabilité) constitue "une avancée supplémentaire" en faveur de davantage de transparence et de discrimination entre les produits, insiste le rapport, s’inquiétant au passage d’une réglementation européenne "moins-disante" sur un certain nombre d'enjeux, à l’exemple de l'indice de réparabilité des smartphones.
Après un démarrage "poussif", le "bonus réparation" a également fait l’objet d’ajustements (un décret a été publié le 20 février 2024). Le rapport propose toutefois "d’aller plus loin" en renforçant la communication autour du dispositif, en augmentant les montants du bonus pour que le coût de réparation d’un produit pour le consommateur "ne dépasse pas le tiers du prix du même produit vendu neuf", et en simplifiant le processus de labellisation des professionnels. Le renforcement du maillage territorial se heurte encore à la pénurie de réparateurs. Le rapport préconise plus globalement d’aborder la question de la formation pour aboutir, à partir d’une "cartographie des besoins par filière", à une "feuille de route des métiers de l’économie circulaire".
Réduire les plastiques à usage unique
Le rapport pointe par ailleurs les "débuts timides" de la transition du "tout jetable" vers le réemploi et la réutilisation. Le bilan d’étape montre que les tonnages d’emballages en plastique à usage unique mis sur le marché (ménagers et professionnels) augmentent de 3,3% entre 2018 et 2021, malgré la trajectoire de réduction de 20% fixée pour 2025, et à rebours de l’objectif de sortie prévu en 2040 par la loi Agec. La principale réponse consiste pour les co-rapporteurs à muscler les contrôles - et prioritairement pour l’obligation de vaisselle réemployable dans la restauration et la mise en place de fontaines à eau dans les établissements recevant du public. Parmi les autres préconisations, le rapport suggère d’examiner la pertinence des exemptions à l’interdiction de la vente de fruits et légumes sous emballage plastique pour réduire la liste des dérogations ou d’imposer aux industriels la réalisation de plans de réduction de la production de bouteilles en plastique à usage unique. Leur nombre continue de croître (+3,9% en 2022), malgré l’objectif affiché de réduire leur production de moitié entre 2018 et 2030.
Faire du réemploi une priorité
Même constat d’échec : le taux de réemploi est estimé à 0,3% dans la filière des emballages ménagers, bien loin de l’objectif de 5% prévu pour 2023. "Si la loi Agec a incontestablement permis d’enclencher des investissements, elle est restée au milieu du gué en termes de transition vers des infrastructures et des systèmes à même de généraliser ces modes de production à grande échelle", observe le rapport. Et les initiatives liées au réemploi "restent bien souvent locales ou menées à titre expérimental". D’autant que la priorité a clairement été accordée au recyclage au détriment du réemploi. Le mot d’ordre est donc de "massifier le réemploi dans les territoires et à grande échelle", martèle Stéphane Delautrette.
Cela suppose d’agir sur différents leviers (le rapport déroule onze mesures sur ce pan). Il s’agit notamment de poursuivre la réflexion sur les standards d’emballages réemployables, d’adapter les lignes de production au conditionnement et au reconditionnement, de mettre en place des lieux de collecte, des centres de tri, de lavage et de stockage des emballages, etc.
Les corapporteurs sont en outre favorables à la mise en œuvre de la consigne pour réemploi des emballages en verre avec obligation de reprise des grandes surfaces. Ils suggèrent d’organiser des "Assises du réemploi" réunissant l’ensemble des acteurs concernés, dont les collectivités territoriales, avec la perspective d'élaborer une véritable "Stratégie nationale du réemploi" (distincte de la SN3R -Stratégie nationale pour la réduction, le réemploi et le recyclage des emballages en plastique à usage unique), à décliner dans chaque région. Le prochain décret "3R", qui couvrira la période 2025-2030, pourrait être, selon eux, l’occasion de renforcer les objectifs de réemploi des emballages via une trajectoire jusqu’en 2040.
Renforcer la prévention des déchets
Le maitre mot, c’est également "de donner une impulsion plus forte sur la dimension de l’amont", souligne de son côté Véronique Riotton, c’est-à-dire de limiter au maximum la production de déchets, et de favoriser l’écoconception. Malgré la mise en place d’objectifs en ce sens dans la loi Agec, la production de déchets continue d’augmenter, comme le souligne Amorce. Pour inverser la tendance, le rapport table sur l’intégration dans les cahiers des charges des filières à Responsabilité élargie du producteur (REP) des objectifs de réduction à court, moyen et long termes et des pénalités liées aux quantités mises sur le marché.
Plusieurs recommandations portent en outre sur la gouvernance des filières REP. La Commission inter-filières REP (Cifrep) y tiendrait "un rôle de planification" pour élaborer les stratégies de filière, prolongé de manière décentralisée, au sein de chaque filière, par un "conseil de la stratégie industrielle" se substituant au comité des parties prenantes. Une mission inter-inspections est en cours et devrait proposer des pistes d’actions pour améliorer le fonctionnement des filières REP, par l’introduction de mécanismes plus incitatifs ou la lutte contre "les passagers clandestins" notamment. Y sera également étudiée la possibilité de mise en place d’une "instance indépendante de régulation et de contrôle" des filières Rep, à laquelle les corapporteurs se disent favorables.
La systématisation des sanctions dès qu’un manquement au cahier des charges est constaté fait partie des propositions du rapport, qui prône un renforcement des montants de sanctions "pour inciter davantage les éco-organismes à atteindre les performances environnementales attendues". On notera également des préconisations visant à accélérer le déploiement du tri hors foyer, à renforcer les financements de l’État pour accompagner davantage les collectivités dans la mise en place du tri des biodéchets ou rendre applicable la résorption des dépôts sauvages (via l’abaissement de cent tonnes à vingt tonnes du seuil déclenchant leur prise en charge par les filières REP).
La consigne pour recyclage : un sujet clivant
Ce sujet divise y compris les rapporteurs. Si les objectifs inscrits dans le règlement européen (d’un taux de collecte de 90% des bouteilles plastiques d’ici 2029) ne sont pas atteints, un dispositif de consigne pour recyclage "devra être prêt à être mis en place" d'ici deux ans, estime Véronique Riotton. Selon la députée, "il faut donc s’y préparer dès maintenant", et réfléchir à un nouveau modèle économique pour les collectivités. Elle pose plusieurs conditions : prévoir un montant de la consigne suffisamment incitatif (au moins 20 cents pour les bouteilles en plastique et au moins 15 cents pour les cannettes), des points de reprise suffisamment denses et répartis partout sur le territoire et un système de marquage lisible sur les emballages.
Pour Stéphane Delautrette, il y a en revanche pléthore de leviers à activer (les douze actions détaillées par l’Ademe dans son scénario sans consigne en juin 2023), à commencer par la tarification incitative.
Pas de "loi Agec 2"…
Les corapporteurs souhaitent cependant donner un "nouvel élan à la feuille de route de l’économie circulaire" pour remettre les acteurs autour de la table. Pour chacune des cent propositions du rapport, le véhicule de "retranscription" est précisé. Une partie est législative (et aura vocation à être discutée dans le cadre du prochain projet de loi de finances), une autre est d’ordre réglementaire. Enfin, certaines préconisations relèvent des cahiers des charges des filières REP, de concertations, de circulaires...