Filières REP : Amorce dénonce la responsabilité étriquée des producteurs
L’association Amorce dresse un bilan peu amène de la responsabilité élargie des producteurs (REP) en matière de prévention et de gestion des déchets. Elle déplore les promesses non tenues de la loi Agec – notamment un déploiement retardé et/ou insatisfaisant des nouvelles filières et un régime de sanctions inexploité – et un bilan environnemental insatisfaisant des filières historiques. L’association plaide une nouvelle fois pour une réforme du dispositif… comme de la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP).
Tirant profit de ses 17e rencontres "éco-organismes" qui se sont tenues ce 25 janvier, l’association Amorce appelle une nouvelle fois à une profonde réforme de la "responsabilité élargie des producteurs", dispositif à l’en croire mal nommé.
Un déploiement tardif et insuffisant des nouvelles REP
• Amorce dénonce dans un premier temps les "promesses non tenues" de la loi Agec (voir notre article du 11 février 2020), et notamment le déploiement tardif des nouvelles filières, dont certaines se font d’ailleurs toujours attendre.
En tête, la filière Produits et matériaux de construction du secteur du bâtiment (PCMB), qui continue d'irriter les collectivités (voir notre article du 31 janvier 2023). L’association relève, entre autres, que l’objectif des 2.419 points de collecte à conventionner (voir notre article du 3 mars 2023) n’est pas atteint (voir le réseau des points de collecte sur le site de OCA Bâtiment, qui ne permet pas d’en connaître le nombre total). Mais c’est loin d’être la seule filière dans le viseur. Amorce relève ainsi qu’alors que l’entrée en vigueur de la filière Emballages de la restauration a déjà été reportée du 1er janvier 2023 au 1er janvier dernier (voir notre article du 5 septembre 2023), l’arrêté d’agrément de l’éco-organisme n’est toujours pas publié. Il en va encore de même pour la REP textiles sanitaires – "aucune nouvelle de l’arrêté portant cahier des charges et de la consultation publique" – et pour la REP chewing-gum, qui toutes deux devaient être mises en place le 1er janvier dernier et qui restent dans les limbes (l’étude de préfiguration a été lancée fin 2023 pour cette dernière).
• Amorce déplore en outre des résultats insatisfaisants pour les nouvelles filières qui ont fini par voir le jour. Elle constate des performances de collecte très faibles pour la filière ASL (articles de sports et de loisirs), et plus globalement l’absence de suivi pour cette dernière ainsi que pour les filières ABL (articles de bricolage et de jardinage) et jouets. Elle relève par ailleurs que les fonds qui devaient être mis en place pour ces dernières font toujours défaut. L’association déplore par ailleurs le taux de couverture des coûts insuffisants pour les nouvelles filières. "Le mécanisme de définition des soutiens prévu par la directive cadre déchets de 2018 n’est pas appliqué. Il manque également un référentiel des coûts des collectes précis et partagés entre tous les acteurs", dénonce-t-elle. Particulièrement visée, la REP PMCB, l’association estimant que les taux de couverture atteignent seulement 50 à 80% des coûts suivant les postes de dépenses, ce "qui n’est donc pas conforme ni à la directive, ni à la loi".
• Autre rendez-vous manqué de la loi Agec, le nouveau système de sanctions, "qui devrait produire ses effets mais qui n’est pas appliqué", exception faite de la récente sanction d’Alcome (voir notre article du 20 novembre 2023).
Un bilan environnemental des anciennes REP insuffisant
Plus encore, Amorce met en exergue le bilan environnemental décevant des anciennes REP, qui n’atteignent pas les objectifs fixés. Elle observe par exemple que la baisse de 15% des déchets ménagers et assimilés produits par habitant fixée pour 2030 (par rapport à 2010) paraît d’autant plus improbable que les déchets des filières historiques étaient en 2022 tous à la hausse par rapport à 2010 : +4% pour les emballages ménagers ; + 9% pour les textiles ; + 20% pour les déchets d’équipements électriques et électroniques (DEEE) et +24% pour les déchets d’éléments d’ameublement (DEA). L’association relève également que les mises sur le marché de bouteilles de boissons en plastique à usage unique continuent de croître (+1% par rapport à 2018) et que celles d’emballages plastiques à usage unique, après avoir baissé ces dernières années, repartent à la hausse (-10% tout de même par rapport à 2018).
Côté collectes, les résultats sont également loin d’être au rendez-vous. Amorce note que le taux de collecte séparée des DEEE était en 2022 de 44% (contre 65% dans le cahier des charges), celui des textiles de 31% (contre 50% dans le cahier des charges), la situation des DEA étant un peu moins mauvaise (42% pour un objectif de 38%). Et il en va de même sur le recyclage.
Réformer les REP...
Amorce propose donc une nouvelle fois (voir par exemple notre article du 2 juin 2021) de réformer le dispositif, et notamment de :
- créer un "observatoire indépendant de la performance des REP", englobant la prévention, la collecte sélective, le recyclage, la valorisation et l’enfouissement. Une pierre dans le jardin de l’Ademe, qui compte en son sein une "direction de la supervision des filières REP" – introduite par la loi Agec (sur amendement parlementaire adopté contre l’avis du gouvernement) conformément aux dispositions de l’article 8 bis de la directive du 19 novembre 2008 relative aux déchets, et dont les missions ont été précisées par décret du 27 novembre 2020 – mais qui n’avait d’emblée guère convaincu (voir notre article du 15 juillet 2020) ;
- aller vers l’interdiction de la mise sur le marché de toute matière qui n’aurait pas de solution de recyclage viable ;
- respecter les textes en assurant une prise en charge à 100% des coûts de gestion de la totalité du gisement de déchets générés par une filière ;
- instaurer un régime de sanction des éco-organismes "réellement dissuasif" en cas de non-respect du cahier des charges. Outre l’automaticité de sa mise en œuvre (en garantissant que le paiement ne puisse être refacturé aux collectivités), Amorce recommande un montant de la sanction basé sur les tonnages manquants pour atteindre l’objectif et sur un coût de référence de la gestion du déchet pour la collectivité (ou un montant moyen d’au moins 1.000 euros/tonne). Les sommes ainsi collectées seraient en outre impérativement fléchées vers des actions participant à l’atteinte des objectifs ;
- permettre aux éco-organismes de mettre en place un dispositif contraignant pour les metteurs sur le marché afin d’entraîner la réduction du gisement de déchets ;
- prévoir divers bonus pour les collectivités : pour transmission à l’État de l’identité des établissements ne respectant par le tri 7 flux (les papiers, cartons, plastiques, métaux, verres, déchets alimentaires et autres déchets résiduels) et la collecte sélective ; à la mise en place d’appels à projets locaux de mobilisation des acteurs et de gratifications dans l’habitat vertical ; aux collectivités assurant la mise en place de la collecte sélective hors foyer à la place de la collectivité compétente pour la propreté (si prise en charge minimale de 80% des coûts réels) ou encore aux ambassadeurs du tri en cas d’introduction de l’obligation de collecte sélective dans le règlement de collecte ;
- l’introduction d’une véritable concurrence entre éco-organismes, offrant une réelle possibilité de choix aux collectivités, et partant la possibilité pour ces derniers de différencier leurs offres techniques et/ou financières, à partir d’un socle commun. Comme le relevait France Stratégie dans un récent rapport (voir notre article du 22 janvier), cette concurrence reste en effet pour l’heure "théorique" (et encore).
Notons qu’Amorce n’est pas la seule à vouloir revoir le dispositif. Une mission d’inspection interministérielle sur la gouvernance des filières REP, lancée par Élisabeth Borne juste avant sa démission, serait actuellement en cours et devrait remettre ses conclusions à la fin du 1er trimestre.
… et la TGAP
Amorce plaide en outre inlassablement pour une réforme complète de la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP), avec des ingrédients connus : dégrèvement pour la part des déchets résiduels inévitables que les collectivités doivent gérer (voté, en vain, par le Sénat lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2024 – voir notre article du 14 décembre 2023) ; taxation des metteurs sur le marché de produits non recyclables ou non couverts par une filière REP ("TGAP amont" promue de longue date par Amorce – voir notre article du 25 janvier 2018 –, proposition reprise à l’époque par le rapport Vernier – voir notre article du 15 mars 2018 – et déjà discutée, sans succès, lors de l’examen du PLF 2019 – voir notre article du 19 octobre 2018) ; taxation des éco-organismes en fonction de la part non atteinte des objectifs de recyclage ou encore intégration de la potentielle taxation carbone des unités de valorisation énergétique pour éviter une double-imposition. Le tout en affectant l’intégralité des recettes de la TGAP à la politique relative à l’économie circulaire.