Rénovation urbaine - Pour Philippe Dallier, la politique de la ville manque... de politique
Il faudra trouver entre 4 et 5 milliards d'euros en crédits de paiement sur la période 2011-2015 pour boucler le financement du programme national de rénovation urbaine, a indiqué Philippe Dallier à ses confrères de la commission des finances du Sénat le 1er juin dernier. Maire UMP de Pavillon-sous-Bois et conseiller général de Seine-Saint Denis, rapporteur depuis 2004 du budget "ville et logement", ce parlementaire présentait les résultats de sa mission d'information portant sur "l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru) et la politique de la ville". Dans ce rapport qui vient d'être rendu public, il constate une amélioration générale du fonctionnement des agences - Anru, Agence nationale pour la cohésion sociale et l'égalité des chances (Acsé), établissement public national d’aménagement et de restructuration des espaces commerciaux et artisanaux (Epareca) - ces dernières années mais déplore une coordination gouvernementale insuffisante de leur travail. Il critique également le report à 2012 de la réforme de la politique de la ville annoncé par François Fillon lors de l'installation, fin mai 2010, du Conseil national des villes (voir notre article ci-contre du 26 mai 2010) : "Si la politique de la ville semble aujourd'hui marquer le pas, c'est sans doute faute d'une impulsion politique qui permettrait de trancher des questions devenues incontournables mais qui exigent des choix courageux en vue de concentrer l'action de l'Etat et les financements disponibles au bénéfice des quartiers et des communes dont les besoins sont les plus criants." (Rapport, p.5.)
Progrès côté agences, peut mieux faire côté gouvernement
Dans le cadre de la révision générale des politiques publiques et suite au discours du président de la République du 8 février 2008, diverses réorganisations ont été menées au niveau ministériel ces deux dernières années : ainsi la délégation interministérielle à la ville (DIV) a été recentrée sur des missions d'animation et de coordination des politiques. Cette administration n'a plus de budget d'intervention, toutes les subventions de l'Etat étant désormais distribuées par l'Acsé. Le rapport souligne que le rôle des 70 agents du secrétariat général du comité interministériel des villes - qui a remplacé la DIV - est "difficile" : ils doivent "jouer un rôle d'incitation auprès de puissantes administrations centrales et de coordination de l'action d'opérateurs [Anru, Acsé, ndlr] très soucieux de leur indépendance". Le secrétariat général a par exemple indiqué au sénateur qu'il n'entretenait "aucune relation suivie avec la direction générale de l'Enseignement scolaire", direction qui, au sein de l'Education nationale, pilote notamment les moyens en personnel pour les écoles, collèges et lycées (rapport, p.13).
Au niveau des agences, Philippe Dallier estime qu'il y a du mieux : l'Epareca, "qui était quasiment à l'arrêt en 2004 et 2005" en n'intervenant que sur un seul centre commercial, engage aujourd'hui environ une dizaine de programmes par an (rapport, p.14). Pour sa part, l'Acsé a réussi une "amélioration spectaculaire" de ses délais de paiement aux associations. Cependant, en dépit de ces bons résultats, les trois établissements (Anru, Acsé, Epareca) "ont des difficultés à travailler harmonieusement ensemble, ce qui peut être mis sur le compte d'une certaine rivalité alimentée par des rumeurs de restructuration ou de projets de fusions".
Philippe Dallier juge insuffisante la coordination gouvernementale de l'action de ces agences, et plus largement l'exercice même de la tutelle, dans la mesure où, par exemple, l'Anru et l'Acsé n'ont pas à ce jour de contrat d'objectif et de performance. "Faute d'orientations précises sur des sujets aussi importants que la sortie des projets Anru ou la géographie prioritaire, l'Anru et l'Acsé prennent des initiatives en défendant leurs propres priorités, parfois en contradiction l'une avec l'autre." (Rapport, p.48.)
Cependant, le sénateur ne préconise pas de bouleversement de structure et notamment pas de fusion entre agences : l'organigramme actuel est "satisfaisant". Seul l'Epareca présente un bilan "plus mitigé" : "Son intervention dans les zones Anru est à repenser compte tenu d'un modèle économique inadapté, fondé sur un débouclage des projets dans un délai maximum de quatre années." Le sénateur présente comme exemple d'une mauvaise coordination entre les différents intervenants publics le projet de réhabilitation du centre commercial du Chêne-pointu, à Clichy-sous-Bois.
Retard des opérations Anru : des causes multiples
Afin d'avoir une vue globale sur les retards rencontrés dans les opérations de rénovation urbaine, le sénateur a également mené une enquête via un questionnaire adressé aux 350 porteurs de projets du territoire. Sur les 155 maires qui ont répondu, 20% estiment que leur projet a pris un retard inférieur à un an, 46% l'estiment entre un et deux ans, 34% à plus de deux ans. La première raison avancée par les maires pour expliquer ces retards est la difficulté du relogement. Ne viennent qu'ensuite les causes propres à l'Anru, et principalement l'instabilité et la complexité de ses procédures. Non sans lucidité, quelques élus ont également indiqué que des "contraintes politiques", par exemple des élections municipales, pouvaient aussi retarder les projets. Sur les règles de l'Anru, plusieurs observations portent sur les avenants ou l'évolution des conventions : durée trop longue entre la signature de la convention et la réalisation des travaux, insuffisante information sur les "marges de manoeuvre" locales pour réutiliser les crédits (suite notamment aux moins-values sur les opérations de démolition), etc. D'autres ont mis en avant la complexité des outils informatiques (en particulier le célèbre Agora) ou le manque de contact direct avec les agents de l'Anru.
Plusieurs mesures ont été prises ces derniers mois par l'Anru pour répondre à ces critiques : la délégation élargie des préfets, les nouvelles règles sur les avenants, la mise en place des demandes d'autorisation de subvention (DAS) uniques, le déploiement du logiciel Agora chez les maîtres d'ouvrage, etc. (sur ces évolutions, voir nos articles ci-contre des 19 avril et 30 juillet). Selon Philippe Dallier, ces décisions devraient prochainement porter leurs fruits.
Enfin et surtout, le sénateur déplore les annonces de François Fillon du 25 mai dernier, lors de l'installation du Conseil national des villes. A cette occasion, le Premier ministre a en effet annoncé le report de la réforme de la géographie prioritaire, de la dotation de solidarité urbaine et des décisions concernant l'avenir des zones franches urbaines. Pour le parlementaire, le report des choix politiques à 2012 témoigne de l'abandon des ambitions de début de quinquennat visant à "réinventer" la politique de la ville (rapport, p.19-24). Lors de la discussion qui a suivi la remise de ce rapport, le sénateur a également indiqué que l'enveloppe pour mener à bien les opérations Anru s'élevait à "1,2 milliard d'euros de crédits de paiement à compter de 2011 et ce pendant quatre à cinq ans". Une précision importante, alors que la "débudgétisation de la rénovation urbaine et le transfert de son financement - dans des conditions assez aléatoires - à la charge d'Action logement et des bailleurs sociaux" (rapport, p.10) constituent clairement un élément-clé des débats actuels sur ce sujet.
Hélène Lemesle
Référence : Sénat, rapport d'information n°514 fait au nom de la commission des finances sur l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru) et la politique de la ville, Philippe Dallier, 1er juin 2010.