Finances locales - Pour maîtriser les dépenses locales, la Cour des comptes appelle à des réformes structurelles
Les collectivités territoriales ne vont-elles pas compenser la baisse de 11 milliards d'euros en trois ans des dotations que leur accorde l'Etat par une hausse de la fiscalité, un recours plus important au crédit bancaire… ou encore par une réduction de leurs investissements ? Cela constituerait en quelque sorte une "fuite en avant" qui leur éviterait de se remettre en cause. La Cour des comptes n'écarte pas ce scénario, qui serait pour elle celui du pire. Car la hausse de l'endettement et du besoin de financement des collectivités territoriales compromettrait les chances de la France de revenir dans les limites définies par les traités européens.
C'est en analysant le bilan de l'année 2013 que ce risque est apparu aux yeux des magistrats. L'année dernière, le besoin de financement des collectivités locales "s'est aggravé, passant de 3,7 à 9,2 milliards d'euros, soit 10% de l'ensemble des déficits publics", s'alarme la Cour. "Plus inquiétant", a expliqué ce 14 octobre devant la presse son premier président, Didier Migaud, en présentant son rapport sur les finances locales - le deuxième du genre -, "la tendance suivie par les finances locales s'écarte négativement de la trajectoire prévue". Ceci dans la mesure où le déficit des administrations publiques locales (collectivités, plus organismes rattachés) est deux fois plus important qu'attendu (0,4% de la richesse nationale au lieu de 0,2%). Cela expliquerait pour un tiers le retard dans la résorption des déficits publics du pays, qui auront atteint 4,3% du PIB au lieu des 3,7% espérés.
A l'origine de ce dérapage : les dépenses de fonctionnement des collectivités territoriales, en progression de 2,9%, alors que les recettes ne progressaient que de 1,6%.
Muscler les intercommunalités
Principal outil du gouvernement pour inciter les collectivités à réduire leurs dépenses, la baisse des dotations n'est pas suffisante, en concluent les magistrats de la rue Cambon. Il conviendrait selon eux de la compléter par un "dispositif de gouvernance des finances locales". Lequel prendrait la forme d'une loi de financement des collectivités territoriales, votée chaque année par le Parlement. Cette loi, que la Cour avait déjà proposée dans son rapport sur les finances publiques paru en juin dernier, "pourrait contenir des objectifs d’évolution des recettes, des dépenses, du solde et de la dette des collectivités et de leurs groupements."
Au-delà de cette mesure dont la création relève du législateur, les acteurs locaux disposent de marges de manœuvre pour obtenir des économies dans la mise en œuvre des politiques publiques locales, estiment les magistrats financiers. Malgré la réforme territoriale, la carte intercommunale "demeure largement perfectible". Beaucoup de communautés ont encore une taille trop réduite. En outre, les communautés exercent parfois encore peu de compétences. Ces compétences sont de surcroît souvent "parcellaires" : les communautés n'en ont qu'une portion, les communes détenant le reste. Pour la Cour, les communautés devraient plutôt disposer de compétences entières. Ce qui signifie pour elle qu'il faudrait supprimer la notion d'intérêt communautaire. Une proposition qui ne plaira pas du tout à l'Association des maires de France (AMF) qui, pas plus tard que le 2 octobre dernier, rappelait son attachement à ce principe. Autre critique formulée par la Cour, les intercommunalités n'ont pas suffisamment repris les compétences des syndicats de communes intervenant sur leur périmètre, si bien qu'il existe encore de nombreux et coûteux "enchevêtrements de structures".
Accélérer la mutualisation
Les efforts déjà entamés de mutualisation des services entre les communes et leurs intercommunalités sont à "poursuivre" et "intensifier", estime aussi la Cour. Pour qui il faudrait généraliser la mutualisation des "fonctions supports" (finances, ressources humaines, commande publique…). L'institution suggère également de privilégier la mutualisation "descendante" (c'est-à-dire la mise à disposition de personnels communautaires en faveur des communes). Là encore, l'Association des maires de France ne devrait pas apprécier, elle qui appelle à des modalités de mutualisation "libres" et "souples" (rendant possible la mutualisation ascendante, c'est-à-dire la mise à disposition de personnels des communes au bénéfice de l'intercommunalité).
Pour la Cour, les intercommunalités qui n'en sont pas encore dotées auraient intérêt à préparer un pacte financier et fiscal permettant une plus grande coordination des politiques fiscales sur leur territoire. Au passage, la Cour appelle le législateur à assouplir les règles de révision de ces pactes pour favoriser leur développement.
"Recentrage" des régions
Mais la mise en œuvre de toutes ces préconisations ne permettra pas aux communes et intercommunalités d'obtenir immédiatement des économies. C'est la raison pour laquelle elles devront à court terme s'appliquer à limiter la progression de leurs dépenses de personnels. En 2013, ces dépenses ont progressé de 3,1% dans les collectivités dans leur ensemble. Leur stabilisation permettrait une économie de 1,5 milliard d'euros. Pour en prendre le chemin, la Cour propose un cocktail de solutions à présent bien connu : "réductions d’effectifs", "pause des mesures de revalorisation indemnitaire", "meilleure maîtrise des déroulements de carrière" et application de la "durée légale du travail" (quand celle-ci n'est pas respectée).
Les régions, à qui la Cour consacre un chapitre spécifique, disposeraient elles aussi de marges de manœuvre pour faire face à la baisse des dotations. Elles sont invitées en premier lieu à recentrer leurs actions sur leur "cœur de métier". Ce qui reviendrait à abandonner les compétences non exclusives, pour lesquelles elles ont dépensé un peu plus de 6 milliards d'euros en 2012. De plus, la Cour s'accorde sur le fait que les fusions de régions, qui entreront en vigueur le 1er janvier 2016, généreront des économies. Mais à condition que "de véritables efforts de gestion et de mutualisation" soient effectués.
Tout en relevant certaines "maladresses d'analyse", l'Association des régions de France s'est félicitée dès mardi de trois éléments présents selon elles dans le rapport : le fait que les régions seraient "plus vertueuses" que les autres niveaux de collectivités, la nécessité de limiter le poids de la baisse des dotations (pour les régions...) et l'indispensable "refiscalisation du panier des ressources régionales".
Allouer la DGF des communes… aux intercommunalités
Au passage, la Cour propose que les transferts de compétences des départements vers les régions prévus dans le cadre du projet de loi Notr (routes, collèges, transports – notamment transports scolaires –, ports et aéroports) soient compensés par l'attribution aux régions d'une partie de la fiscalité directe des départements (taxe foncière ou cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises). Après le Premier ministre – qui s'est montré favorable au renforcement de la part de la fiscalité dans les ressources régionales – les régions trouvent donc avec la Cour des comptes un nouvel allié sur ce sujet majeur.
Pour accompagner les conséquences de la baisse des dotations, la Cour recommande une refonte de la dotation globale de fonctionnement (DGF), la principale des dotations de l'Etat aux collectivités. Sa composante "péréquation" devrait être "plus efficace" et éventuellement plus importante. En outre, son architecture devrait être plus simple. Enfin, la Cour propose d'étudier la mise en place d'une "DGF unique" allouée uniquement aux intercommunalités. Redistribuée par celles-ci aux communes membres, cette DGF "permettrait d’homogénéiser les montants de DGF par habitant sur l’ensemble du territoire intercommunal". "Cette préconisation dissimule mal la volonté récurrente de supprimer les communes", s'alarmait dès le 25 septembre l'Association des maires ruraux dans un communiqué. Considérée comme indispensable au moment où les dotations baissent, la solidarité entre les collectivités doit encore progresser, dit la Cour. Mais elle devra s'appuyer sur des dispositifs moins nombreux – ils sont aujourd'hui 14 – et plus simples.