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Finances publiques - Cour des comptes : mieux cibler pour moins dépenser

Dans son rapport annuel 2014, la Cour des comptes salue l'effort budgétaire du gouvernement, tout en le jugeant insuffisant et mal partagé... notamment avec les collectivités. Car selon la Cour, la baisse des dotations serait neutralisée par les nouvelles ressources accordées aux départements. Au niveau national comme local, Didier Migaud le redit : il faut avant tout mieux cibler les politiques et les dispositifs. Le domaine social en apporte plusieurs illustrations.

Le gouvernement fait un effort "considérable" de discipline budgétaire - un effort d'une "ampleur inédite dans notre histoire budgétaire récente", même - mais pêcherait encore par excès d'optimisme, a résumé ce 11 février Didier Migaud, lors de la présentation du rapport annuel de son institution. Il existerait ainsi "un risque significatif" que le déficit public 2013 de la France excède l'objectif gouvernemental de 4,1% du produit intérieur brut. Et pour 2014, "l'atteinte de l'objectif de déficit public" du gouvernement, soit 3,6% du PIB, "n'est pas assurée à ce stade", a prédit Didier Migaud. Conclusion : l'effort de réduction de la dépense publique doit être "poursuivi et amplifié sur les trois prochaines années".
Autre constat jugé fondamental par la Cour, qui n'est certes pas une surprise : tandis qu'en 2013, l'effort a été "concentré essentiellement sur des recettes nouvelles", la nouvelle année "marque un changement", avec un effort qui "repose désormais principalement sur la dépense". Et pour ce qui est des années à venir, Didier Migaud préconise un "changement de méthode pour obtenir les économies programmées" : "Plutôt que de ponctionner tous les services, il apparaît nécessaire d’engager les réformes de fond, permettant la modernisation des administrations publiques". Soit.
Autre grande préconisation : que "l’effort soit mieux partagé entre l’ensemble des acteurs publics, particulièrement ceux qui ont le moins contribué jusqu’ici". C'est là que les collectivités territoriales entrent en scène (en sachant qu'il y a quatre mois, un rapport de la Cour avait pour la première fois été spécialement consacré aux finances publiques locales - voir ci-contre notre article d'octobre 2013). Et que l'analyse de la Cour diverge de celle du gouvernement.

La baisse des dotations neutralisée par les ressources nouvelles ?

Pour la Cour des comptes, la baisse prévue des dotations de l'Etat, qui correspond à une économie théorique de 2 milliards d'euros, ne permettra en réalité pas de ralentir les dépenses des collectivités, dans la mesure où l'Etat "leur apporte de nouvelles ressources pour un montant voisin". Elle songe là aux ressources que la loi de finances initiale pour 2014 met en place pour les départements (possibilité de relever le taux des droits de mutation, pour un gain potentiel pouvant atteindre 1,2 milliard en année pleine, réduction de frais de gestion pour 0,8 milliard). Ainsi que, dans une moindre mesure, des ressources nouvelles également consenties aux régions (réduction de frais de gestion là encore, transfert d'une fraction du produit de la taxe intérieure sur la consommation de produits énergétiques).
En fait, note la Cour, si l'on devait constater cette année un ralentissement des dépenses des collectivités – ce que "rien ne permet d'anticiper" -, ce serait plus probablement lié aux municipales qu'à la baisse des dotations… Sans compter que "certaines mesures nouvelles contribueront à augmenter les dépenses en 2014, notamment la réforme des rythmes scolaires et la hausse des rémunérations des agents de catégorie C". Or, insiste Didier Migaud comme à l'accoutumée, freinage sensible des dépenses locales est pourtant nécessaire, reconnaissant toutefois que le bloc local va de facto être mis à contribution davantage que les autres niveaux.
Le gouvernement considère pour sa part que le verdict de la Cour repose sur "un diagnostic incomplet des mesures proposées" : la diminution des dotations, réparties "au prorata des recettes totales" des collectivités, dans la mesure où elle impacte la section de fonctionnement, constituerait bien "une incitation à rationaliser les dépenses". Les dispositions financières en faveur des départements seraient d'une autre nature, puisque," justifiées par la rigidité des dépenses sociales assumées par la strate départementale", doivent simplement leur permettre de "financer leurs dépenses contraintes".

La priorité, "un meilleur ciblage de l'action publique"

Au-delà du champ des finances locales, la Cour des comptes suggère des pistes d'économies déjà connues, comme la poursuite du gel du point d'indice des fonctionnaires ou un ralentissement de la croissance des dépenses d'assurance-maladie (Ondam). Et son rapport livre une série disparate d'exemples de de politiques publiques "à refondre", que celles-ci "soient nationales ou locales".
Didier Migaud a souligné que parmi les "graves dysfonctionnements" faisant l'objet de chapitres spécifiques du rapport, cohabitent "deux cas de figure" : "Le premier correspond à des gaspillages, le second à des structures devenues inutiles qu’il faut avoir le courage de supprimer". Mais finalement, cela ne concernerait qu'une minorité de services publics, reconnaît-il. Car en fait, bien plus souvent, il s'agit simplement de "politiques qui, sans être inefficaces, doivent être simplifiées et mieux ciblées sur leurs objectifs essentiels" et sur "le public qui en a réellement besoin".
L'une des principales conclusions de Didier Migaud est donc celle-ci : "Un meilleur ciblage de l’action publique constitue de loin la principale source d’économies dans les administrations publiques. Ce constat a quelque chose de rassurant : pour réaliser des économies massives, particulièrement dans les domaines de la formation professionnelle ou du logement, il n’est pas nécessaire de priver d’aide ceux qui en ont besoin, il suffit de veiller à ce que le bénéficiaire soit réellement celui qu’on vise. Ces réformes de ciblage et de simplification permettront, en contrepartie, de renforcer la prise en charge de ceux qui sont au coeur de la cible, en leur assurant un meilleur accès aux droits".

Quelques focus du rapport 2014

Une petite dizaine des sujets spécifiques traités dans cette édition du rapport annuel de la Cour des comptes intéresseront les collectivités. Parmi eux, les amendes, des subventions accordées par deux collectivités du Sud de la France, les foyers pour travailleurs migrants, le handicap, l'adoption, l'enfance en danger (voir ci-dessous), les déchets, les Safer, le service civique, les internats d'excellence (voir ci-contre nos articles spécifiques).

Fiscalité et handicap : confusion à tous les étages
"Un empilement de mesures sans cohérence" : ainsi la Cour des comptes qualifie-t-elle la fiscalité liée au handicap. Et, au vu du chapitre, c'est peu dire qu'il s'agit d'un euphémisme. Il ne faut en effet pas moins de trente pages à la Cour pour tenter de démêler l'écheveau de mesures contradictoires qui se superposent depuis des décennies, sans aucun souci de synergie. Les incohérences se situent à tous les niveaux du dispositif : difficulté à connaître le coût de ces aides fiscales - "dont l’ordre de grandeur peut se situer entre 3,5 et 4 milliards d'euros" -, définitions différentes du handicap selon les mesures, doublons, dispersion des dépenses entre plusieurs programmes budgétaires, manque total de lisibilité, absence de visibilité sur l'impact réel des mesures, manque d'articulation avec les prestations et aides sociales... A ce constat accablant - qui interroge la conception même des politiques sociales à la française, puisque toutes ces mesures ont été prises avec les meilleures intentions et pour le bien des personnes handicapées - s'ajoute l'absence complète de cohérence, sinon la contradiction, entre le dispositif fiscal et les objectifs de la loi Handicap de 2005. Plus grave : ce système crée de sérieuses inégalités de prise en charge selon la situation de la personne handicapée et l'origine de son handicap. Emportée par son élan - et gagnée à son tour par le syndrome de la confusion -, la Cour va même jusqu'à pointer les écarts entre départements dans l'attribution de l'AAH, qui n'a pourtant rien d'une mesure fiscale et tout d'un minimum social. La conclusion s'impose d'elle-même, avec la recommandation de "procéder à un réexamen d'ensemble des mesures fiscales et sociales dans le but d'améliorer leur articulation".

Adoption internationale : plus de pilotage et moins de résultats
Déjà évoquée dans le rapport public de 2009, l'organisation et le fonctionnement de l'adoption internationale ont connu depuis lors des fortunes diverses. En se penchant à nouveau sur le dossier, la Cour des comptes constate une amélioration sensible du pilotage du dispositif, sous la houlette du ministère des Affaires étrangères. De plus, la mise en œuvre des adoptions internationales se double désormais d'actions de coopération à destination des institutions locales oeuvrant auprès des enfants abandonnés. En revanche, les faiblesses pointées en 2009 perdurent du côté de l'encadrement des organismes autorisés pour l'adoption (OAA). Si leur nombre s'est réduit (34 contre 42), la mutualisation des moyens reste encore insuffisante et la Cour attend toujours la transparence demandée sur le calcul des frais d'adoption. Reste le rôle d'Agence française de l'adoption (AFA), créée en 2005. Sur ce point, la Cour souligne les difficultés de l'agence à s'imposer. Le rôle d'opérateur de l'AFA s'est progressivement effacé - le nombre d'adoptions internationales réalisées par son intermédiaire s'est réduit de moitié en trois ans - au profit de l'accompagnement des candidats, de l'animation et du conseil. Sans qu'il soit possible de prouver un lien entre ces deux éléments, cette évolution du positionnement s'accompagne d'une réduction du nombre d'adoptions internationales en France nettement plus prononcée que chez nos grands voisins, pourtant confrontés eux aussi à la diminution du nombre d'enfants à adopter. Des critiques largement partagées par l'Assemblée des départements de France...

Oned et 119 : du mieux, mais pas assez
Après son rapport thématique de 2009 sur la protection de l'enfance, la Cour revient sur le fonctionnement du groupement d’intérêt public enfance en danger (Giped). Financé par l'Etat et les départements, celui-ci chapeaute à la fois le numéro d'appel national 119 (géré par le Snatem : service national d'accueil téléphonique de l'enfance en danger) l'Observatoire national de l'enfance en danger (Oned). Le rapport reconnaît des avancées significatives sur les observations formulées en 2009. C'est le cas notamment de la meilleure formation des répondants du 119 ou de l'élaboration d'un guide de procédures. Reste quand même un sérieux point noir : sur 1,07 million d'appels reçus en 2012, seuls 610.000 ont été décrochés par le pré-accueil, soit un taux de 57% quasi identique à celui de 2010... Côté Oned, le rapport estime nécessaire d'"améliorer la performance" de l'organisme. La remarque vise notamment la mise en cohérence des données, la connaissance de la population d'enfants protégés et le suivi de leur parcours, ainsi que l'animation du réseau des acteurs, avec en particulier la diffusion de bonnes pratiques. Si les ministères concernés ont répondu aux observations de la Cour des comptes, l'Association des départements de France - pourtant directement concernée par l'activité du Giped - n'a pas jugé utile de le faire.

Amendes de circulation et de stationnement : "des progrès dans la gestion"
La Cour des Comptes, qui se penche sur la gestion des amendes de circulation et de stationnement pour la deuxième fois depuis 2010, reconnaît dans son rapport 2014 une nette amélioration dans la gestion globale des amendes grâce à l'automatisation induite par le développement des radars et des procès-verbaux électroniques (PVe). Elle insiste d'ailleurs sur "la nécessité d'un complet abandon du support papier", jugeant le système automatisé "plus efficace, moins onéreux" et "moins contesté devant le ministère public". Parmi ses recommandations, elle appelle ainsi à "généraliser" l'emploi du PVe par les polices municipales.
Avec 23,04 millions de contraventions, les amendes issues des systèmes automatisés ont dépassé pour la première fois en 2012 le nombre de PV papier (15,77 millions). Au total, les amendes ont rapporté 1,66 milliard d'euros en 2013, dont 647 millions d'euros issus des radars. La Cour appelle néanmoins à "améliorer le taux de disponibilité" de ces derniers, c'est-à-dire la proportion de radars en état de fonctionner par rapport au nombre d'équipements en service. En effet, ce taux s'élevait à 94,7% en février mais "il a baissé jusqu'à 80,3% en juin 2013", souligne la Cour, qui réclame "un redressement sans tarder". Elle établit un lien entre cette chute et le changement de prestataire chargé de leur maintenance. Dans sa réponse à la Cour des comptes, le ministère de l'Intérieur concède que cette baisse "est essentiellement due à la passation d'un nouveau marché" mais souligne qu'"une série de mesures ont été engagées", notamment à l'encontre du prestataire (mises en demeure, application de pénalités). "Des actes de vandalisme" ont touché "une centaine d'appareils en fin d'année 2013", au moment des manifestations contre l'écotaxe, rappelle pour sa part le ministère de l'Economie.
La Cour des comptes regrette également que près d'un quart des infractions constatées par les radars automatiques ou par PVe n'aient pas donné lieu à un avis de contravention en 2013.

Transformation des foyers de travailleurs migrants en résidences sociales : une politique "en déshérence administrative"
Menée depuis 16 ans, la politique de transformation des foyers de travailleurs migrants en résidences sociales est aujourd'hui en "déshérence administrative" : elle "n'est plus portée au niveau national", elle serait "à refonder" tant le bilan est "décevant". "Les causes des retards ne sont pas de nature financière", note la Cour, les deux principaux contributeurs (État et Action Logement) ayant "toujours disposé de crédits budgétaires ou d’enveloppes suffisants". Non, les retards résulteraient de "la longueur des processus de décision". Et "c’est l’implication des collectivités territoriales qui est déterminante", note la Cour. Dans ce cadre, elle remarque que les collectivités qui détiennent la délégation des aides à la pierre "s’approprient plus facilement les dossiers".
Ce n'est peut-être pas une question financière mais la contribution budgétaire des collectivités territoriales a tout de même "significativement augmenté, passant de 3,2 % en 1997 à 15,6 % en 2012". La Cour reste prudente sur les marges de progression, au vue des "tensions qui pèsent sur les finances publiques locales". C'est bien l'avis de l'Association des maires de France qui, dans sa réponse "considère que la piste de réflexion évoquant un accroissement de la participation des communes ou intercommunalités pour la transformation des foyers de travailleurs migrants en résidences n'est pas envisageable au moment où l'État diminue ses dotations aux collectivités locales". "Nous craignons que la situation financière que nous connaissons aujourd’hui ne permette désormais d’aller plus loin", avertit également l'Assemblée des départements de France.
A noter que l'ADF se montre en accord sur plusieurs recommandations de la Cour, comme celle de "sortir d’une reconversion systématique en résidences sociales". Observant que de nombreux résidents vieillissants expriment leur réticence à aller vers des Ehpad, l'ADF est réservée, tout comme la Cour, à l'idée de créer des "Ehpad communautaires".
Quant au rôle de l'Etat, "l’État doit s’interroger sur son implication à l’égard d’une politique qu’il est censé piloter ", écrit l'ADF. L'AMF est plus directe : elle "estime que la politique de l'asile et celle de l'immigration relèvent de la responsabilité de l'État au nom de ses engagements internationaux et doit, à ce titre, être portée et financée par lui". C'est pourquoi "l'AMF ne souhaite pas qu'elle soit confondue avec la politique plus large de l'hébergement".

Les subventions allouées aux associations par la région Paca et le département des Bouches-du Rhône
La région de Provence-Alpes-Côte d'Azur et le département des Bouches-du-Rhône ont tout intérêt à progresser dans la gestion des subventions qu'ils accordent au secteur associatif. L'enjeu en vaut la peine. En 2010, la région a accordé pas moins de 190 millions d'euros de subventions à 5.600 associations, tandis que le département a distribué, la même année, 100 millions d'euros au profit de 4.600 structures. En s'appuyant sur des contrôles effectués entre 2006 et 2011, en particulier s'agissant des subventions allouées dans les domaines du sport et de la culture, la Cour des comptes formule de très nombreuses critiques à l'encontre des deux collectivités et cela à toutes les étapes de la procédure de gestion.
En amont, les deux institutions n'ont pas défini "des critères de sélection précis", ni mis en place "des modalités d'instruction garantissant un traitement objectif et transparent des dossiers", pointe-t-elle. Disposant d'une large autonomie, les services chargés de l'instruction effectuent des traitements des demandes qui diffèrent sensiblement. En outre, la Cour relève l'existence d'un "circuit parallèle de décision", à caractère officieux. Ainsi, un conseiller du président du conseil général intervient. En plus, certaines des subventions qu'il approuve, bénéficient à "des associations avec lesquelles il a des liens personnels". Les "irrégularités" dans l'octroi des subventions surviennent d'autant plus facilement que les dispositifs de contrôle mis en place s'avèrent largement perfectibles. La Cour relève, par exemple, que les associations rendent très imparfaitement compte de leurs activités et de leur gestion, sans encourir ni interrogations, ni sanctions de la part des collectivités concernées.

 

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