Pour la Cour des comptes européenne, "l’Europe pourrait bien perdre la course aux batteries "
La Cour des comptes européenne estime dans un rapport que si la Commission européenne est parvenue à promouvoir une politique industrielle de l’Union concernant les batteries, les difficultés d’accès aux matières premières, l’augmentation des coûts ou encore une concurrence mondiale "féroce" sont autant d’éléments qui risquent d’empêcher l’UE d’atteindre ses objectifs en la matière, et partant son objectif "Zéro émission" en 2035.
"L’Europe pourrait bien perdre la course aux batteries", alerte la Cour des comptes européenne. Dans un rapport publié le 19 juin dernier, elle se montre d’autant plus inquiète qu’elle rappelle que "l’inaptitude de l’industrie européenne des batteries à constituer la capacité de production" attendue "pourrait avoir pour effets de faire perdurer les émissions provenant des véhicules équipés d’un moteur à combustion interne", et ainsi d’empêcher l’atteinte de l’objectif "0 émission" en 2035, ou celui "d’opérer la transition vers un parc à 0 émission grâce à l’importation […], au détriment de l’industrie automobile européenne".
Or, elle constate que, pour l’heure, "l’industrie européenne n’est pas compétitive" (7% de la capacité mondiale). Et ce, que ce soit face à la Chine, "incontestablement devenue le premier producteur mondial" avec une capacité de production de 655 GWh (76% de la capacité mondiale), ou même face aux USA (7% également), où l’électrification du parc reste certes "à la traine", mais où "le gouvernement américain a adopté des politiques publiques d’envergure".
Un plan globalement mis en place
La Commission européenne a pourtant fait de cette industrie une priorité. Elle lui a notamment consacré un plan d’action stratégique en 2018, dont la Cour relève qu’il "reprend, pour l’essentiel, les propositions de l’alliance européenne pour les batteries, dirigée par l’industrie" et qu’il bénéficie "d’un large soutien". La Cour estime que cette promotion d’une politique industrielle européenne a été "globalement efficace". Elle observe que la Commission a mis en place des instruments essentiels (globalement, 15 actions sur les 37 prévues l’ont été), comme le soutien à la mise en place de plateformes destinées aux parties prenantes, une proposition de nouveau règlement, l’approbation de deux projets importants d’intérêt européen commun (PIIEC) et un soutien financier accru, notamment dans le cadre du programme Horizon. Et ce, en dépit d’insuffisances qui semblent pourtant importantes. La Cour relève par exemple que la Commission s’appuie sur des "données limitées et souvent obsolètes" ou qu’elle n’a pas estimé le niveau de production nécessaire à l’atteinte du double objectif de neutralité climatique et de maintien d’un secteur automobile compétitif.
Développement rapide mais fragile
À court terme, les perspectives semblent encourageantes. La Cour constate que "la capacité de production de cellules de batteries lithium-ion se développe rapidement au sein de l’UE". Cette dernière pourrait passer de 44 GWh en 2020 (mais la Cour note qu’en 2021, la production n’a atteint que 16GWh sur les 62 annoncés) à 1.200 en 2030. Mais il y a de sérieux bémols. D’une part, "la plupart des sites de fabrication sont actuellement détenus par des filiales d’entreprises de pays tiers". D’autre part, et pire encore, le "déploiement effectif de ces capacités n’est pas assuré et pourrait être compromis par des facteurs géopolitiques et économiques". Sont pointées l’augmentation des coûts de production, la concurrence de pays proposant "des conditions financières plus attrayantes" et surtout une forte dépendance à l’égard des pays tiers. Pour les matières primaires, le taux de dépendance atteint 81% pour le cobalt (dont 68% venant de la République démocratique du Congo), 81% pour le lithium (87% venant de la seule Australie), 96% pour le manganèse, 31% pour le nickel et 99% pour le graphite naturel. Une dépendance telle qu’elle se traduira, d’après la Cour, par une pénurie de matières premières pour les fabricants de l’UE à partir de 2030 (motivant notamment la récente proposition de la Commission d’un règlement sur les matières premières critiques).
Des fonds inégalement répartis, pas coordonnés… et difficiles d’accès
Côté financements, la Cour constate que les sources sont multiples (Horizon Europe, Feder, fonds pour l’innovation) : plus de 1,7 milliard d’euros de subventions et garanties de prêts de l’Union sur 2014-2020, auquel s’ajoutent 6 milliards d’aides d’État entre 2019 et 2021. Elles sont en revanche insuffisamment coordonnées, la Commission ne disposant même pas d’une vue d’ensemble. La Cour relève en outre que l’accès au financement varie d’un État membre à l’autre. L’Allemagne, la France et l’Italie concentrent ainsi plus des 4/5e des aides d’État autorisées dans le cadre des deux PIIEC. Ce qui n’empêche visiblement pas d’autres États de tirer leur épingle du jeu (v. encadré). La Cour observe ainsi que l’approbation des PIIEC par la Commission revient à autoriser les États membres à octroyer des aides d’État, mais ne confèrent aux entreprises participant aucun droit à ces dernières. Pis, elle note que les entreprises retenues pour participer aux PIEEC "doivent, pour obtenir les fonds, se soumettre à d’autres procédures diverses et variées". Elle déplore ainsi que pour 3 des 16 projets qu’elle a examinés, "bien qu’ils aient été approuvés par la Commission, leurs bénéficiaires ont dû présenter par la suite une autre demande en vue d’obtenir un financement Feder". L’ensemble du processus a duré deux ans en France et trois ans et demi en Pologne. Par ailleurs, "une entreprise a même été exclue du projet intégré [PIIEC Batteries] au motif qu’elle n’avait pas obtenu de financement du Feder", regrette la Cour.
D’après la Cour des comptes européenne, la capacité de production de l’UE en 2022 (71 GWH/an) reposait sur trois États membres : la Hongrie (38), la Pologne (15) et la Suède (16). En 2025, la production atteindrait 520 GWh, portée par 9 États membres, l’Allemagne en tête (155 GWh), devant la Suède (96), l’Italie (77), la Hongrie (58), la Pologne (50) et la France (40). En 2030, en retenant la capacité maximale (1.197 GWh), l’Allemagne accentuerait son avance (416), devant la Hongrie (188), la Suède (160), la France (122) et l’Italie (118). Contrairement à l’Allemagne, la Suède ou le Portugal, mais comme l’Espagne ou la Pologne, la Cour des comptes européenne déplore que la France ne dispose "d’aucune stratégie nationale officielle spécifiquement consacrée à la chaîne de valeur des batteries". Il faut donc en juger que le plan Batteries lancé en 2018, ou la "stratégie nationale pour les batteries" qui a pris sa suite en 2021, ne répondaient pas aux critères de la Cour. Peut-être que la stratégie déployée en mai dans le cadre de France 2030 y répondra ? |