Pour accélérer la transition écologique, l'IGN met l'IA à tous les étages
L'Institut géographique national a publié son édition 2024 de la cartographie de l'anthropocène. Un troisième opus dédié à l'intelligence artificielle, technologie qui irrigue désormais tous les métiers de l'Institut. Avec en perspective, de nouveaux services pour les territoires.
La mobilisation des algorithmes pour traiter les données n'est pas nouvelle pour l'Institut géographique national (IGN) mais la montée en puissance de nouvelles catégories d'intelligence artificielle (IA), et en particulier de l'IA générative ou "apprenante", bouleverse l'ensemble des métiers de l'institut. Des évolutions décryptées par l'édition 2024 de son "atlas de l'anthropocène", intégralement consacré à l'IA.
Aller plus vite, aller plus loin
Démentant toute idée de verser dans "le solutionnisme technologique", Sébastien Soriano, directeur de l'IGN, a estimé que "dans le contexte de l'urgence climatique, nous devons repenser la façon dont nous faisons les choses. L'IA nous permet d'aller plus vite, plus loin, tant pour décrire le territoire que pour prédire ses évolutions". L'IA doit notamment l'aider à faire face à l'accroissement des volumes de données à traiter et à croiser (LiDAR, photos aériennes, satellitaires, réglementaires…). Pour négocier ce virage technologique, l'IGN a recruté 30 spécialistes de l'IA, ce qui en fait "l'une des administrations les mieux dotées, derrière le ministère de la Défense". L'investissement en matière grise n'est cependant pas le seul enjeu : l'IGN a besoin d'investir massivement pour acquérir des données, car, a rappelé Sébastien Soriano, "nous ne sommes pas dans une économie de chasseur-cueilleur", sous-entendu, où il n'y aurait qu'à se baisser pour ramasser des données (de qualité). En d'autres termes, à l'heure des arbitrages budgétaires, l'IGN a besoin de trouver des ressources et des partenaires. Sur les volets acquisition de données, on citera l’appel aux collectivités, invitées à reverser leurs données (LiDAR, photos aériennes, vues 3D Panoramax…), l'institut les aidant à en tirer parti. Sur le volet modèles d'IA et méthodes, très consommatrices de ressources, l'institut mise sur des collaborations avec d'autres administrations, notamment le Cerema et l'Agence ministérielle pour l'IA de défense.
Ouverture des bases d'entraînement
L'IGN inscrit pleinement l'IA dans sa stratégie de création de "géocommuns", mis à disposition de tous, et notamment des start-ups tricolores. Aussi, dans la continuité de l'ouverture de ses grands jeux de données, l'Institut a décidé d'ouvrir les données servant à l'entraînement des IA ainsi que les méthodes et outils associés. C'est notamment le cas de la base sur l'occupation des sols (OCS) où l'IA a "appris", aidée au départ par des humains, à décrypter les photos aériennes. Baptisée FLAIR (French Land cover from Aerospace ImageRy), cette base compte 980 km2 d’images annotées dans 55 domaines différents. Pour les collectivités, elle est par exemple utilisée pour classifier les sols selon les critères du décret Zéro artificialisation nette (ZAN) avec la promesse de disposer d'un état de l'occupation des sols mis à jour tous les 3 ans. "FLAIR compte 20 milliards de pixels, il s'agit d’un des trois jeux ouverts les plus riches au monde sur l’occupation des sols ", a souligné Matthieu Porte, le coordonnateur IA de l'IGN. Autre exemple, le jeu de données PureForest sur les essences forestières qui compte 135.000 images LiDAR de 50 m par 50 m, couvrant 449 forêts de 40 départements français sur un total de 339 km2.
Projets IA tous azimut
Ces données se traduisent par des projets et usages concrets, dont la plupart intéressent directement les territoires. Le projet CarHab cartographie très finement les milieux naturels pour prédire la présence potentielle d'espèces naturelles animales ou végétales. Grâce à l'IA, l'ensemble de la France sera couvert en 2026 par ce jeu de données sur la biodiversité. L'IA est aussi mobilisée pour simuler des inondations ou encore l'impact d'incendies en fonction de la végétation, de la topologie et de l'occupation des sols. L’observatoire des haies répertorie pour sa part les alignements d'arbres pour aider les territoires à répondre à des obligations européennes sur le reboisement. GEO-K-PHYTO planche de son côté sur l'observation des épandages de produits phytosanitaires dans les vignes pour aider à la surveillance épidémiologique des cancers chez les populations riveraines. L'IA sert aussi à identifier les pratiques agricoles et autorise un suivi en temps réel des récoltes. Dans le domaine de l'urbanisme, SimPLU3D étudie la manière de simuler l'évolution du tissu urbain à partir des données réglementaires d'un plan local d'urbanisme. L'IGN teste enfin l'IA générative pour recréer des images aériennes et imaginer, à partir d'une description textuelle, différents scénarios d'évolution (projet Seg2Sat).
Jumeaux numériques dopés à l'IA
L'IA est une composante essentielle du jumeau numérique de territoire sur lequel planche l'IGN avec l'appui du Cerema et pour lequel un appel à candidatures a été lancé (notre article du 3 juin 2024). Ce jumeau ira au-delà de la représentation 3D de différentes catégories de données. La mobilisation de l'IA doit le mettre en capacité de simuler des phénomènes complexes et de croiser, par exemple, données climatiques, description du territoire et réglementation. Sa vocation est de permettre aux pouvoirs publics de se projeter dans l'avenir, de comparer des options et d'aider les territoires à opérer des arbitrages. Si l'Etat privilégie des briques techniques interopérables – notamment avec les jumeaux territoriaux existants – il n'envisage pas de jumeau unique au sens d'une seule plateforme nationale. Ces jumeaux se profilent sur des thématiques spécifiques : risques, énergie, ZAN, etc. avec une priorisation qui reste à définir.