"Polluants éternels" : une proposition de loi visant à protéger la population franchit une première étape à l'Assemblée
La commission du développement durable de l'Assemblée a adopté ce 27 mars une proposition de loi écologiste visant à protéger la population des risques liés aux substances per- et polyfluoroalkylées (Pfas) qualifiées de "polluants éternels". Le texte sera examiné en séance le 4 avril prochain.
Quasi indestructibles, les substances per- et polyfluoroalkylées, ou Pfas, massivement utilisées dans l'industrie chimique, s'accumulent avec le temps dans l'air, le sol, les eaux des rivières, la nourriture et jusqu'au corps humain, d'où leur surnom de polluants "éternels". La métropole de Lyon et la ville de Grenoble ont récemment engagé des actions en justice contre les rejets de ces molécules par les industriels et les risques de pollution pour les captages d'eau potable et les cours d'eau (lire nos articles des 21 et 25 mars). Décrites par certains experts comme "la plus grande menace chimique au XXIe siècle", mais jugées en partie incontournables par l'industrie, ces substances sont aujourd'hui la cible d'une proposition de loi du député écologiste de Gironde Nicolas Thierry, qui a été adoptée ce 27 mars par la commission du développement durable de l'Assemblée nationale.
"Chaque mois d'inaction compte"
L'"exposition subie" aux Pfas est "extrêmement grave" dans la mesure où "les scientifiques considèrent que ces substances représentent un sérieux risque pour la santé", a souligné le député dans son propos introductif. Parmi les risques "les plus documentés" : "l'altération de la fertilité, les maladies thyroïdiennes, des taux élevés de cholestérol, des lésions au foie, des cancers du rein, des testicules, une réponse réduite aux vaccins ou encore de faibles poids à la naissance", a-t-il énuméré.
Un rapport parlementaire réalisé à la demande du gouvernement, publié en février (lire notre article), recommandait de "faire cesser urgemment les rejets industriels" contenant des polluants éternels, "sans attendre de restriction européenne". L'Agence européenne des produits chimiques (Echa) a publié en 2023 un projet d'interdiction allant dans le sens d'une restriction large des Pfas. Mais "cette initiative est conditionnée à un long processus décisionnel et pourrait aboutir dans le scénario le plus favorable à l'horizon 2027-2028", souligne Nicolas Thierry, pour qui "chaque mois d'inaction compte".
Interdiction de certains produits contenant des Pfas
La proposition de loi, qui comporte trois articles, vise donc d'abord à réduire l'exposition de la population aux Pfas, en interdisant la fabrication, l'importation, l'exportation et la mise sur le marché de certains produits qui en contiennent. Nicolas Thierry a accepté de restreindre la portée initiale de son texte afin d'obtenir une majorité de suffrages. Un amendement adopté en commission prévoit ainsi d'interdire à compter du 1er janvier 2026 tout ustensile de cuisine, produit cosmétique, produit de fart (pour les skis) ou produit textile d'habillement contenant des substances per- et polyfluoroalkylées, à l'exception des vêtements de protection pour les professionnels de la sécurité et de la sécurité civile. L'ensemble des textiles seront concernés par l'interdiction à compter du 1er janvier 2030. Le secteur des emballages sort du périmètre de la loi mais un règlement européen doit "très prochainement" l'encadrer plus strictement.
Défendu par le groupe socialiste et apparentés, un amendement à l'article 1ervise à cartographier les principaux sites et communes concernés par une pollution aux Pfas. À l'initiative de Cyrille Isaac-Sibille et d'autres élus du MoDem, un amendement après l'article 1er vise à interdire les rejets industriels de Pfas selon un calendrier défini par décret. Cette mesure vient compléter l’arrêté ministériel du 20 juin 2023 obligeant 5.000 ICPE à surveiller les Pfas dans leurs rejets aqueux. Il est proposé d’interdire les rejets de Pfas en instaurant des échéances à 3, 6 ou 9 mois.
Substances assujetties à la redevance pour pollution de l'eau
Autre mesure du texte (article 2) : l’application du principe pollueur‑payeur à l’effort de dépollution. Concrètement, les Pfas sont ajoutés à la liste des substances assujetties à la redevance pour pollution de l’eau. Cette mesure instaure une contribution directe des émetteurs de Pfas dans l’environnement, fléchée vers les agences de l’eau. "Les collectivités, qui devront faire face à l’enjeu massif de la dépollution de l’eau contaminée par les Pfas, pourront ainsi s’appuyer sur les ressources des agences de l’eau", selon l'exposé des motifs. Après l'article 2, un amendement issu d'une proposition de France urbaine et défendu par le député Liot du Gers, David Taupiac, prévoit, dans chacune des agences régionales de santé, la réunion de la commission de coordination dans les domaines de la prévention, de la santé scolaire, de la santé au travail et de la protection maternelle et infantile pour présenter, à partir de données chiffrées disponibles ou à construire, le niveau d’exposition de la population de leur ressort aux substances per- et polyfluoroalkylées.
Pour gager financièrement le texte, Nicolas Thierry avait proposé la création d'une la création d’une contribution additionnelle de 1% sur les bénéfices générés par les industries rejetant des Pfas dans l’environnement ainsi qu’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs. En commission, la première a été rejetée mais la seconde conservée.
La majorité a apporté son soutien au texte de Nicolas Thierry, qui sera le premier à être examiné en séance lors de la "niche" écologiste du 4 avril prochain.