Politique européenne des transports : de l’importance de tenir le cap

Le Sénat organisait ce 22 mai une table ronde consacrée aux enjeux et défis de la prochaine mandature européenne en matière de politique des transports. Renforcement du marché unique, notamment ferroviaire, mise en œuvre du RTE-T, poursuite des transitions écologique et numérique ou encore renforcement de la résilience des réseaux sont d’ores et déjà des "grandes tendances" identifiées. Il est toutefois espéré une prise en compte plus importante des mobilités du quotidien et, plus largement, un cap clair… et un rythme stable.

Avec les élections du 9 juin en toile de fond, les commissions des affaires européennes et de l’aménagement du territoire du Sénat ont organisé, ce 22 mai une table ronde consacrée aux "enjeux et défis de la prochaine mandature en matière de politique européenne des transports". Pas de candidats autour de la table néanmoins mais le conseiller transports de la Représentation permanente de la France auprès de l’UE, Florent Moretti, et trois représentants d’intérêts : Jean-Philippe Peuziat, directeur des affaires publiques de l’Union française des transports publics et ferroviaires (UTP) ; Pierre Leflaive, responsable transports de Réseau Action Climat, et Denis Saada, président de la section Nouvelles mobilités au sein de l’Alliance des mobilités.

Renforcement du marché unique des transports, notamment ferroviaire…

Même si la couleur de la future Commission n’est pas encore connue, Florent Moretti semble parier sur une certaine continuité en matière de politique des transports, identifiant trois "grandes tendances" à l’œuvre. 

La première, c’est l’approfondissement du marché unique dans les transports, "bien mis en œuvre pour le mode aérien", mais dont "un certain nombre d’obstacles empêchent la mise en œuvre complète" dans le ferroviaire, relève-t-il. Et ce, bien que l’objectif soit "assez consensuel à Bruxelles". Florent Moretti indique qu’un "important rapport sur la mise en œuvre de la grande directive de 2012 sur l’espace ferroviaire européen" devrait être remis à la Commission à la fin de l’année. Il en devine déjà quelques têtes de chapitre : "la méthode de calcul du niveau des péages pourrait éventuellement être remise sur la table", de même que "l’organisation des groupes ferroviaires, et le niveau de séparation entre le gestionnaire d’infrastructures et les entreprises ferroviaires elles-mêmes", "la question de l’harmonisation technique" (en particulier le déploiement de la signalisation ERTMS) ou encore la billettique, afin de "faire en sorte que la vente de billets soit plus simple pour l’usager pour des trajets internationaux".

… et déploiement du RTE-T

Mais le secteur ferroviaire ne concentre pas toutes les attentions. Florent Moretti estime ainsi que la mise en œuvre du règlement révisé relatif au réseau transeuropéen de transport (RTE-T), "qui vient d’être adopté notamment pour améliorer les interconnexions entre les États" (voir notre article du 30 avril), sera également suivie de près par la Commission. Il observe d’ailleurs que c’est "un objectif repris par le rapport d’Enrico Letta" récemment remis sur le marché unique (voir notre article du 25 avril). Pour le fonctionnaire, "on peut d’ores et déjà anticiper que la difficulté portera sur le financement de ces investissements, dans un contexte de ressources limitées à la fois au niveau européen et au niveau des États". Et ce, d’autant plus que "les États ont également d’autres priorités, comme par exemple en France l’amélioration de la mobilité du quotidien ou la rénovation du réseau ferroviaire". 

Interrogé sur le financement par l’UE de grands projets ferroviaires comme le Lyon-Turin ou la ligne nouvelle en Provence-Alpes-Côte d'Azur, Florent Moretti assure que "les dossiers de demandes de financement ont été bien déposés", mais juge néanmoins "l’inquiétude compréhensible parce que si l’on compare les ressources disponibles dans les budgets européens avec les besoins de financement des États, on constate un écart"… 

Quid des mobilités du quotidien ?

Ferroviaire et RTE-T sont deux dossiers qui satisfont, en partie, Jean-Philippe Pleuziat. "Le RTE-T, c’est quelque chose qui est allé dans le bon sens. D’autant qu’avec sa révision, on a maintenant intégré 424 grandes villes – à qui la Commission demande d'adopter des plans de mobilité urbaine durable – qui vont être interconnectées en Europe", se réjouit-il. De même, il "se félicite que la Commission travaille beaucoup sur le transport ferroviaire, que l’on défend". "Mais il ne faut pas oublier les mobilités du quotidien", alerte-t-il. Il déplore ainsi que la Commission reste "frileuse" sur la mobilité urbaine – même s’il salue sa communication de 2021 en la matière (voir notre article du 16 décembre 2021) –, estimant "que l’Union européenne pourrait faire plus, notamment pour aider les collectivités". 

Un constat que partage Daniel Saada, pour qui "la mandature précédente était très tournée autour de la réglementation des mobilités existantes" et "a assez peu parlé de transport du quotidien, et encore moins des autres mobilités durables". Et ce, quand bien même s’est-elle "conclue par une déclaration européenne sur le vélo" (voir notre article du 3 avril). 

Pierre Leflaive se fait, lui, moins critique, considérant que "ce qui a été fait dans la précédente mandature en matière de décarbonation des transports, on peut dire sans aller trop loin que c’est historique. Historique dans les objectifs qui ont été fixés et dans les différents leviers qui ont été actionnés". "Malheureusement, ce n’est pas suffisant", tempère-t-il, jugeant que "même en mettant en œuvre tout ce qu’il y a aujourd’hui, on rate l’objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre". Pour lui, "toute pause serait donc un renoncement".

Poursuite des transitions écologique et numérique, résilience des réseaux

À écouter Florent Moretti, une telle pause semble toutefois écartée puisque la deuxième grande tendance qu’il identifie est "la poursuite de la transition écologique et de la transition numérique, sans oublier le caractère inclusif de ces grandes transitions". Et de préciser : "D’une part, verdir chaque mode de transport et, d’autre part, créer des incitations suffisantes pour un report modal vers les modes les plus écologiques". 

Une orientation qui devrait satisfaire Jean-Philippe Pleuziat : "On voudrait qu’au niveau européen ce report modal soit un objectif à part entière, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui", déclare-t-il, estimant que le terme même "pose problème à la Commission, qui préfère parler de co-modalité". Pour Daniel Saada, les efforts doivent singulièrement porter sur les infrastructures, et notamment celles liées aux mobilités durables, dont "la France, l’Europe, manquent cruellement".

L’effort d’investissement devra être d’autant plus conséquent que la troisième grande tendance identifiée par Florent Moretti est "l’émergence et le renforcement de l’objectif de résilience des réseaux et des services de transport". Un objectif dont il relève "qu’il s’apprécie à la fois au regard des conséquences du changement climatique et des conséquences des crises et des conflits", qui est "en lien avec la politique de réindustrialisation et de sécurisation d’un certain nombre d’approvisionnements" et que la Commission "appréhende également dans la perspective d’un possible élargissement futur de l’Union à l’Est" (voir notre article du 14 mai).

Un cap clair… et un rythme stable

Reste que, souligne Pierre Leflaive, "on ne va pouvoir investir partout, sur tout. Donc il va falloir faire des arbitrages". "Il faut qu’on prenne une ligne directrice. Le meilleur moyen de ne pas y arriver, c’est d’aller partout, et donc nulle part", renchérit le sénateur Jean-François Longeot. Le président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable s’avoue par ailleurs toujours à la recherche des 100 milliards de la "nouvelle donne ferroviaire" naguère promis par Élisabeth Borne quand elle était à Matignon (voir notre article du 24 février 2023). 

"Il faut un cap clair", insiste encore Pierre Leflaive, relayant les récents propos du PDG de Stellantis, Carlos Tavares, exhortant les politiques à "arrêter de changer les règles ou de laisser penser que vous pourriez les changer". Une "stabilité réglementaire" également souhaitée par Jean-Philippe Peuziat, sans doute las de "parfois tomber un peu de la chaise". Et de prendre l’exemple de la réglementation relative aux bus des collectivités, évoquée dans le récent manifeste de l’UTP (voir notre article du 28 février dernier) : "Vous avez aujourd'hui des collectivités qui, sur la base d'une transposition de 2021, pensent en toute bonne foi se lancer sur du biogaz. Or même pas un an et demi après la transposition, une proposition de règlement [voir notre article du 15 février 2023] vient tout modifier avec l'interdiction de la vente des bus qui ne seraient pas hydrogènes ou électriques en 2030 [2035, aux termes du trilogue – voir notre article du 19 janvier dernier]. Ce qui fait qu’aujourd'hui, il faut courir voir des collectivités en leur disant : ‘Vous savez que si aujourd'hui vous vous lancez sur du bio, vous ne pourrez pas avoir une deuxième génération de bus et vous n’amortirez pas votre nouveau dépôt ?’", narre-t-il. Des collectivités qui en perdent leur latin, et ne manquent de lui exprimer leur désarroi : "On vient seulement nous faire une présentation sur le nouveau cadre juridique et vous êtes en train de nous dire que l'Union européenne est déjà en train de revenir dessus ?"

 

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