Politique de la ville : pour un retour du droit commun dans les quartiers
Une soixantaine d'élus locaux publiaient samedi 23 septembre une tribune pour interpeller le gouvernement à l'approche du Comité interministériel des villes du 9 octobre. Quelques jours plus tôt, les élus de Ville & Banlieue avaient évoqué leurs inquiétudes quant à la situation de leurs quartiers et détaillé leurs attentes. Ils demandent avant tout à ce que ces quartiers soient traités à égalité avec les autres territoires.
Le Comité interministériel des villes prévu pour le 9 octobre, en principe à Chanteloup-les-Vignes, suscite on le sait beaucoup d'attentes de la part des élus locaux concernés. D'une part parce qu'il a été maintes fois repoussé (ou remplacé, début juillet, par une réunion uniquement consacrée au traitement des émeutes), d'autre part parce qu'il intervient à un moment où beaucoup de voyants seraient au rouge pour les quartiers politique de la ville. Les élus de France urbaine en ont témoigné en fin de semaine dernière lors de leurs Journées nationales (voir notre article). Quelques jours plus tôt, le 20 septembre, ce sont les élus membres du bureau de Ville & Banlieue qui, après s'être réunis à Paris, faisaient part à la presse de leurs principales préoccupations et propositions, en prévenant d'emblée : "Ce n'est pas un CIV comme les autres", "Ce CIV va être crucial", "Il faut que ce CIV marque une nouvelle prise de conscience, après il sera trop tard"… Et ce samedi 23 septembre, également à l'initiative de Ville & Banlieue, plus d'une soixantaine de maires et représentants d'EPCI cosignaient une tribune (à télécharger ci-dessous) pour "interpeller le gouvernement".
Cette tribune ou lettre ouverte revient nécessairement sur les émeutes du début de l'été, pour rappeler que ce sont avant tout les habitants des quartiers touchés qui en ont été les victimes… et que ce sont pourtant eux qui ont été "stigmatisés" à grand renfort de "discours simplistes". Mercredi déjà, Catherine Arenou, maire de Chanteloup-les-Vignes et première vice-présidente de Ville & Banlieue, avait regretté "le discrédit et l'opprobre jetés sur les habitants de nos quartiers". "Le premier besoin exprimé par les habitants, c'est bien celui de la sécurité", complétait l'un de ses homologues.
La tribune insiste sur cet enjeu de la sécurité : "À rebours de toute forme d’angélisme, requestionner la doctrine policière nous semble nécessaire, au vu de la distance entre la jeunesse et la police. L’ordre républicain, la sécurité publique, constituent évidemment des préalables, attendus par les habitants." Gilles Leproust, maire d'Allonnes et président de l'association, estime que ce rapport entre jeunes et police mérite d'être travaillé, par exemple via l'organisation de rencontres par territoires. Il souligne aussi à quel point la question de la sécurité ne peut être traitée sans se pencher sur celle de la justice et de ses moyens.
Pour Gilles Leproust, malgré leur caractère exceptionnel, "les émeutes ne sont pas arrivées comme une surprise dans un ciel serein", mais bien sur fond de "dégradation sociale" tous azimuts. "Tous les éléments de l'embrasement étaient là", dit de même Ali Rabeh, le maire de Trappes. Et "la plupart des facteurs nourrissant le malaise sont toujours là, les braises rougeoient encore", peut-on lire dans la tribune.
"Inflation énergétique et alimentaire", "précarité qui s'accentue", "début d'une crise absolue du logement et de la pauvreté" ("Nous sommes interpellés par les bailleurs face aux dettes de loyers et de charges qui s'accumulent"), "concentration des précarités", logements souvent synonymes de "bouilloires", "associations exsangues"… Les mots des divers maires de banlieue s'étant exprimés devant la presse sont sombres. Face aux enjeux de pauvreté, les mesures du Pacte des solidarités notamment, présentées le 18 septembre (voir notre article), "ne sont pas au niveau", juge Gilles Leproust.
"Il faut que l'État revienne dans les quartiers de manière durable"
Bientôt un CIV donc, une nouvelle secrétaire d'État chargée de la ville, Sabrina Agresti-Roubache, avec laquelle Ville & Banlieue a pu échanger plusieurs fois, un possible CNR dédié aux émeutes… "Le moment nous paraît opportun pour redire notre ouverture au dialogue, autour de plusieurs principes et pistes de travail", écrivent les élus.
Parmi ces principes : "Nos quartiers ont droit, plus que jamais, à des services publics de même niveau que sur le reste du territoire national", alors même qu'ils sont aujourd'hui par exemple "sous-dotés en enseignants, en magistrats et en policiers". "C'est la grande question sur la table : celle du droit commun dans nos quartiers", insiste le maire d'Allonnes, prenant l'exemple de l'éducation : "Les cités éducatives sont un dispositif qui marche bien. Mais si dans le même temps l'Éducation nationale supprime des postes sur nos territoires… Et c'est la même chose pour la sécurité, le sport, la culture, la santé…" Damien Allouche, le maire d'Épinay-sous-Sénart, fait lui aussi du retour de ce droit commun un "pilier" essentiel : "Nos territoires sont considérés comme des zones de non-droit. Il faut que l'État revienne dans les quartiers de manière durable."
"On nous demande, à travers des crédits politique de la ville, de financer ce qui relève en réalité du droit commun", abonde Saïd Rahmani, adjoint au maire de Sarcelles, sachant que ces crédits ne représentent que 1% du budget de l'État, tout en concernant 8% de la population. "600 millions d'euros, cela représente 110 euros par an par habitant", complète le maire de Trappes. Dans ce contexte, les récents propos de la secrétaire de la secrétaire d'État sur "la fin de la politique du chéquier" ont laissé un goût amer. Lamine Naham, le maire de Trélazé, relève au passage qu'en réalité, "l'État nous enlève déjà des moyens", par exemple du fait que les abattements de taxe foncière accordés aux bailleurs sociaux "ne sont pas compensés à 100% par l'État". Ainsi, sa ville, qui compte une part importante de logements sociaux, "perçoit 1 million d'euros de recettes fiscales en moins par rapport à une ville voisine de même taille".
D'après le "document martyr" qui leur a été présenté lors d'un échange en visio avec Sabrina Agresti-Roubache, le CIV ne devrait pas donner lieu à "beaucoup de surprises" : "Pour l'heure, c'est un peu une liste à la Prévert. La transition écologique y occupe une place trop petite. On n'y trouve ni la culture ni le sport…" confie Gilles Leproust. "Nous serons en tout cas attentifs à ce que les mesures se retrouvent bien dans le projet de loi de finances", ajoute-t-il.
Une mesure aurait une chance de voir le jour : la généralisation des cités éducatives à l'ensemble des QPV. Les élus de banlieue plaident d'ailleurs pour la création de "cités sportives" sur leurs territoires, un peu sur le même modèle, en réunissant tous les acteurs du sport (collectivités, fédérations, associations…).
Parmi leurs autres demandes : que le niveau de la dotation de solidarité urbaine (DSU) soit maintenu, qu'une "nouvelle Anru" permette de faire face aux enjeux climatiques (dont l'adaptation au changement climatique), que les politiques jeunesse soient "à la hauteur"… Sur le front de l'emploi, la tribune souligne que "la création de France Travail constitue un enjeu fort, et les priorités territoriales doivent figurer en bonne place parmi les missions de cet opérateur, eu égard aux défis d’insertion et d’emploi auxquels nos quartiers sont confrontés". Mais dans le même temps, les élus craignent les effets d'une nouvelle suppression d'emplois aidés, qui aurait "un impact fort sur le tissu associatif déjà fragilisé", et s'interrogent sur certains "paradoxes", tels que celui d'une possible non-reconduction du dispositif Territoires zéro chômeur, "qui pourtant marche bien" sur les 45 QPV concernés.
Les élus de Ville & Banlieue auront une occasion privilégiée, les 18 et 19 octobre, d'échanger sur les annonces qui auront été faites lors du CIV : l'association fêtera alors ses 40 ans par une rencontre nationale organisée à Lyon. Ils prévoient d'ores et déjà de lancer alors un "Appel de Lyon". Comme un écho à l'"appel de Grigny" lancé il y a six ans.