Des élus amers et désemparés

Un Comité interministériel des villes (CIV) s'est bien tenu ce 30 juin à Matignon, mais a été entièrement consacré aux violences urbaines. Le "vrai CIV" aura lieu après la rentrée. Les élus présents y ont fait part de leur désarroi, jugeant la situation plus difficile qu'en 2005. Juste après, la cellule interministérielle de crise s'est réunie au ministère de l'Intérieur. Localement, les décisions se sont multipliées, entre arrêtés préfectoraux et arrêtés municipaux. Dimanche, après l'attaque contre le domicile du maire de L'Haÿ-les-Roses, Élisabeth Borne a assuré les élus de son soutien et l'AMF a invité les maires à "réunir les habitants de leur commune sur le perron de chaque mairie" ce lundi à midi.

"Une situation qu’on ne maîtrise plus." Pour Catherine Arenou, maire de Chanteloup-les-Vignes (Yvelines) et vice-présidente de l’association Villes & Banlieue, les maires n’ont "pas une seule solution" pour faire face aux violences qui se propagent désormais au-delà du seul périmètre des villes populaires. Le couvre-feu que certaines villes ont déjà décrété ? "On n’est pas capable de le faire tenir", affirme l’édile, interrogée par Localtis. Selon elle, cette "très mauvaise solution" créerait d’autres problèmes pour la population sans pour autant intimider "les délinquants qui cassent tout".

Au lendemain de la troisième nuit de violences suite au décès de Nahel survenu à Nanterre dans le cadre d’une interpellation, plusieurs maires de villes de banlieue - dont le maire de Nanterre, d’Épinay-sous-Sénart, d’Allonnes, de Vaulx-en-Velin, de Gennevilliers - étaient conviés ce vendredi 30 juin, aux côtés de responsables associatifs notamment, à un Comité interministériel des villes (CIV). Initialement prévu à Chanteloup-les-Vignes, le CIV a été rapatrié au dernier moment à Matignon pour ne pas mobiliser des forces de l’ordre dans un contexte aussi tendu. La Première ministre a honoré le rendez-vous, avant de rejoindre la cellule interministérielle de crise à Beauvau. Une quinzaine de ministres – dont Christophe Béchu, Olivier Klein, Gérald Darmanin, Olivier Dussopt, Jean-Christophe Combe – étaient présents comme prévu. Le programme, en revanche, a été complètement remanié au vu des circonstances.

"Ce CIV attendu depuis si longtemps, maintes fois reporté malgré nos interpellations fréquentes car nous voulions porter quelque chose d’important, arrive dans un contexte où ce n’est quasiment plus le sujet", commente amèrement la maire de Chanteloup-les-Vignes. Ce "CIV de rencontre" a donc été un moment d’"un échange sur ce que nous vivons", poursuit-elle. Avec globalement "un constat d’échec" pour les élus, et les responsables associatifs tout autant désemparés.

Autre constat mêlé de grandes inquiétudes : tout a changé depuis l’année 2005 des émeutes qui avaient secoué la France pendant des mois, et plutôt en pire. "Il y a une vraie différence sur les tranches d’âge concernées", beaucoup plus jeunes, et sur la rapidité de la propagation du mouvement du fait des réseaux sociaux, explique Catherine Arenou. En 2005, les élus, les associations de parents, les "grands frères" pouvaient encore avoir un certain "poids" auprès des émeutiers ; "cette pression n’existe plus", constate l’élue. Coprésident de la coordination nationale "Pas sans nous" et porte-parole du collectif ACLeFeu, collectif qui avait vu le jour après les émeutes de 2005, Mohamed Mechmache aurait témoigné lors de la réunion de cette évolution qui laisse les associations impuissantes. "Ils ne peuvent plus les tenir", commente Sylvie Thomas, déléguée générale de Villes & Banlieue.

Les élus sont donc repartis avec peu de choses. La seule promesse, de la part du ministère de l’Intérieur, d’un renforcement des moyens des forces de l’ordre pour les nuits à venir. Quant au "vrai CIV", celui au cours duquel le gouvernement présentera des mesures structurelles pour les quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV), il aura finalement lieu après la rentrée de septembre. "Faire bloc pour répondre à l’urgence comme pour préparer l’avenir", a ainsi twitté la Première ministre, annonçant ce report. À côté des mesures esquissées par le président de la République à Marseille en début de semaine sur l’éducation, le logement et l’entrepreneuriat, les élus de Villes & Banlieue espèrent être enfin entendus sur le renforcement des moyens de police et de justice qu’ils demandent depuis des années (voir notamment notre article : "’Vivre en paix dans nos communes’ : le cri d'alarme des maires de banlieue").

Dans toute la France, plus de transports de surface après 21h

Pendant ce temps, les décisions ont afflué ce vendredi, que ce soit au niveau national, départemental ou local. Car malgré l'arrestation de 875 personnes dans la nuit de jeudi à vendredi, 492 bâtiments ont été visés, 2.000 véhicules brûlés et des dizaines de magasins pillés. Et des incidents ont de nouveau éclaté dans l'après-midi de vendredi.

À l'issue de la réunion de la cellule interministérielle de crise, Emmanuel Macron s'est félicité de la réponse "rapide et adaptée" des 40.000 policiers et gendarmes mobilisées, dont des unités d'intervention d'élite, et a annoncé des "moyens supplémentaires" sur le terrain pour les nuits suivantes. Des blindés de la gendarmerie seront déployés, selon Élisabeth Borne. La décision d'instituer l'état d'urgence n'a pas été retenue pour l'instant.

Le ministère de l'Intérieur a en revanche ordonné vendredi aux préfets d'interrompre bus et tramways sur tout le territoire à partir de 21h, afin de limiter la propagation des émeutes qui visent aussi les infrastructures de transport. Une décision identique avait déjà été appliquée dès la veille en Île-de-France et des décisions de fermeture de réseaux de transports avaient été prises un peu partout dans le pays tout au long de la journée. À Marseille, tout le réseau a ainsi été mis à l'arrêt dès 19h, métro compris. À Metz, la fermeture était annoncée pour 19h30, en Auvergne-Rhône-Alpes, les lignes Cars Région étaient elles aussi fermées "exceptionnellement" à partir de 19h30 sauf dans l'Allier, l'Ardèche, le Cantal et la Haute-Loire. Cette interruption inhabituelle des services publics de transport a suscité des interrogations, entre ceux qui la jugent "injuste socialement et totalement contraire à l'obligation de continuité de service public" et certains syndicats qui l'estiment insuffisante.

Et tandis que le gouvernement a aussi décidé l'annulation d'événements "de grande ampleur", localement, des mesures de restrictions ont été prises pour éviter le chaos. Les préfectures de plusieurs grandes villes, comme Marseille, Lyon, Bordeaux, Montpellier, Toulouse ou Blois ont ainsi interdit toute manifestation dans les centres-villes, alors que des appels à des rassemblements avaient été lancés dans 18 villes, largement relayés sur les réseaux sociaux. Plusieurs arrêtés préfectoraux sont également venus interdire la vente, le transport et l'utilisation "de produits explosifs, d'artifices de divertissement, de fumigènes et de pétards de toutes catégories" ainsi que de carburant en jerrican et de tous produits inflammables.

Parallèlement, de nouvelles villes ont instauré des couvre-feux : Aulnay-sous-Bois, Roubaix, Denain, Asnières-sur-Seine, Levallois-Perret, Colmar… pour ne citer que quelques exemples. Le plus souvent pour les seuls mineurs non accompagnés de leurs parents. De multiples événements locaux, qu'il s'agisse de concerts, de soirées d'écoles ou de kermesses ont été annulés. Et nombreux sont les maires à avoir adressé des messages à leurs administrés, y compris aux jeunes – et à leurs parents –, via les réseaux, pour tenter de les appeler à la "responsabilité" et à cesser de brûler ou dégrader leurs "biens publics".

(MAJ dimanche 2 juin)

  • Un "Appel des maires"

Dans la nuit de samedi à dimanche, le domicile du maire de L'Haÿ-les-Roses (Val-de-Marne) a subi une attaque à la voiture-bélier incendiaire, obligeant sa famille à fuir, ce qui suscitait dimanche la condamnation unanime de la classe politique, après une cinquième nuit d'émeutes. Une enquête pour "tentative d'assassinat" a été ouverte par le parquet de Créteil. "Cette nuit, un cap a été franchi dans l'horreur et l'ignominie", a déclaré le maire, Vincent Jeanbrun (LR), dans un communiqué. Élisabeth Borne est arrivée sur place dimanche en début d'après-midi avec les ministres Gérald Darmanin (Intérieur), Christophe Béchu (Cohésion des territoires) et Dominique Faure (Collectivités territoriales).

Ailleurs, cette cinquième nuit de violences urbaines a été dans l'ensemble de moindre intensité que la précédente. Selon le ministère de l'Intérieur, 719 personnes ont été interpellées dans la nuit de samedi à dimanche, dont 315 à Paris et en proche banlieue. Marseille et l'ensemble de l'agglomération lyonnaise sont les deux villes les plus touchées par les violences. Outre l'attaque de L'Haÿ-les-Roses, le véhicule de fonction du maire de La Riche, près de Tours en Indre-et-Loire, a subi un début d'incendie. Le ministre de l'Économie, Bruno Le Maire, a recensé samedi plus de 700 pillages en quatre nuits.

"Nous ne laisserons rien passer", a déclaré Élisabeth Borne à L'Haÿ-les-Roses. "Cela fait plusieurs mois que l'on travaille sur ces questions de violences" sur les élus, a rappelé la Première ministre, qui avait rencontré encore jeudi leurs associations. Elle a indiqué "regarder comment on accompagne les villes qui ont des équipements détruits". "On ne va pas vous laisser seuls, on sera aux côtés des maires, aussi des maires qui ont une difficulté pour accompagner les jeunes pendant les vacances", a-t-elle indiqué.

Le président de l'Association des maires de France (AMF) a pour sa part écrit dimanche à tous les maires de France pour les inviter à "réunir les habitants de leur commune sur le perron de chaque mairie" ce lundi 3 juillet à midi afin de "partager l’Appel des maires de France pour le retour à la paix civile". "Nous ferons sonner les sirènes (...) et nous continuons notre travail au quotidien pour que l'ordre revienne", a déclaré David Lisnard sur TF1. Partout en France, les violences ciblent "les symboles républicains que sont les hôtels de ville, les écoles, les bibliothèques, les polices municipales", souligne l'AMF dans un communiqué, appelant d’abord l’État à "rétablir l’ordre républicain : c’est sa responsabilité pleine et entière" et appelant à "une mobilisation civique des citoyens".

Dans le texte de cet "Appel des maires", l'association écrit : "Malheureusement, cette situation ne nous surprend pas et les maires de France alertent depuis des années sur la dégradation de notre société. Il faudra en tirer le moment venu toutes les conclusions en termes de politiques publiques nationales". Elle estime aussi qu'il appartiendra aux maires de "décortiquer les ressorts profonds" de cette crise et de "de retisser les liens brutalement rompus".

L'Élysée a ensuite annoncé dimanche soir qu'Emmanuel Macron recevra ce lundi les présidents de l'Assemblée nationale et du Sénat, puis mardi les maires des "plus de 220 communes victimes d'exactions" lors des émeutes des derniers jours. "Le président a aussi demandé à Élisabeth Borne de recevoir les présidents de groupes politiques au Parlement lundi", a ajouté la présidence. Emmanuel Macron "souhaite débuter un travail minutieux et de plus long terme pour comprendre en profondeur les raisons qui ont conduit à ces événements", a-t-elle souligné. "Nous devons d'abord qualifier les événements avant d'en tirer des conclusions", a-t-il insisté selon un participant, lors d'une réunion avec la cheffe du gouvernement et six ministres. Le chef de l'État a aussi demandé aux ministres de "continuer à être présents sur le terrain chacun dans leur domaine de compétence et d'action". Il présidera une nouvelle réunion de même format "dans les 48 heures" pour faire un nouveau point de situation.

  C.M., avec AFP