Habitat - Plus de propriétaires, plus de chômeurs?
Alors que le gouvernement vient de créer un nouveau prêt à taux zéro pour faciliter l'accès à la propriété, l'Agence nationale pour l'information sur le logement (Anil) publie une étude de 15 pages sur les liens entre mobilité résidentielle et emploi. Celle-ci vise à trouver une réponse à la question suivante : "La politique du logement est-elle un obstacle à la mobilité et donc au plein emploi ?" Autrement dit : l'augmentation du taux de propriétaires dans la population totale a-t-elle pour conséquence de rendre les gens moins mobiles, et donc moins aptes à aller chercher un travail là où il est? Cette question est évidemment centrale dans l'allocation d'argent public dans les politiques du logement : faut-il consacrer de l'argent à encourager la propriété ou la location, si cet argent a pour effet indirect d'augmenter le chômage? Pour répondre à cette question à forts enjeux politiques, Jean Bosvieux, directeur des études à l'Anil, et Bernard Coloos, directeur des affaires économiques à la Fédération française du bâtiment, procèdent à une revue de la littérature économique sur le sujet puis proposent leur point de vue.
Corrélation n'est pas causalité
Depuis une quinzaine d'années, de nombreux économistes travaillent sur les liens supposés entre statut d'occupation (propriétaire, locataire du parc privé, locataire du parc social) et emploi. A partir des travaux d'Andrew Osward, s'est développée l'idée selon laquelle le développement du nombre de propriétaires occupants, en rendant les gens moins mobiles, serait une des causes majeures de l'accroissement du taux de chômage. Les auteurs de l'étude soulignent que d'autres travaux économiques ont contesté la réalité de ce lien et son signe (plus de propriétaires augmente-t-il ou diminue-t-il le taux de chômage?). De plus, aucun chercheur n'a réussi à montrer que les propriétaires connaissaient, toutes choses égales par ailleurs, une durée de chômage plus longue que celle des locataires. Pas non plus que leur statut de propriétaire les faisaient accepter des salaires plus bas pour éviter de déménager. L'étude rappelle également qu'une corrélation économétrique (constater un plus fort taux de chômage dans les pays où il y a plus de propriétaires) n'est pas une causalité (le taux de propriétaires est la cause du chômage).
Comme "rien n'est solidement établi", il faut poser la question autrement : "C'est au moins autant le besoin (ou les anticipations) de mobilité qui détermine le statut que l'inverse." Ainsi, les individus choisissent ou sont contraints d'être locataires lorsqu'ils sont en contrats précaires. Autre point souligné par l'étude : la plupart des déménagements n'ont pas pour cause des motifs professionnels mais des raisons familiales (formation d'un couple, nouvel enfant, divorce, etc.). D'où la conclusion : les politiques publiques doivent encourager la mobilité résidentielle pour "répondre au désir légitime, pour un ménage d'améliorer ses conditions de logement ou d'accéder à la propriété". Bref, pour faire le bonheur individuel de ces familles. Mais "il est sans doute vain, en revanche, d'attendre de telles mesures un impact significatif sur le marché de l'emploi". Ce qui laisse quand même les décideurs publics - qu'ils soient de l'Etat ou des collectivités - un peu seuls face à un arbitrage budgétaire...
Hélène Lemesle
Référence : Agence nationale pour l'information sur le logement, Jean Bosvieux et Bernard Coloos, "Accession à la propriété, mobilité résidentielle et emploi. La politique du logement est-elle un obstacle à la mobilité et donc au plein emploi?, février 2011