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Habitat - Eurostat et USH : deux visions différentes du logement des jeunes

Deux publications récentes apportent des visions différentes - sinon contradictoires - de l'accès des jeunes au logement. La première émane d'Eurostat. Il s'agit d'une étude - en anglais, parue dans le numéro 50/2010 de "Statistics in focus" - intitulée "51 million young EU adults lived with their parent(s) in 2008". Elle porte sur les phénomènes de cohabitation ou de décohabitation entre parents et enfants au sein de l'Union européenne et dans d'autres pays européens pour deux tranches d'âge : 18-24 ans et 25-34 ans.
Les résultats apparaissent plutôt positifs pour l'accès au logement des jeunes Français. Certes, les taux de cohabitation parents-enfants dans l'Hexagone sont très supérieurs à ceux des pays scandinaves. Parmi les 18-24 ans, ils sont en effet de 57,7% pour les femmes et de 65,9% pour les hommes, contre respectivement 27,1% et 40,4% au Danemark ou 29,9% et 40,7% en Norvège. En revanche, la France affiche des taux de cohabitation nettement inférieurs à ceux de ses principaux partenaires : 82,5% et 91,8% en Italie, 84,8% et 87,8% en Espagne, 70,8% et 83,5% en Allemagne, 64,2% et 75,6% au Royaume-Uni... La moyenne européenne est de 71% et 81,5%, donc très au-dessus des taux français.
Sur la tranche d'âge des 25-34 ans, la France affiche des taux de cohabitation parents-enfants de 8% pour les femmes et de 13% pour les hommes. A nouveau, ces taux sont supérieurs à ceux des pays nordiques (0,5% et 2,8% au Danemark, 2,2% et 4,7% en Norvège), mais se révèlent nettement inférieurs à ceux de nos grands voisins : 32,7% et 47,7% en Italie - où la question est devenue un véritable enjeu de société -, 29,8% et 41,1% en Espagne, 10,5% et 20% au Royaume-Uni, 9,2% et 18,7% en Allemagne... Sur cette tranche d'âge, la moyenne de l'Union européenne est de 19,6% pour les femmes et de 32% pour les hommes. Les "bons" chiffres de la France témoignent de la relative facilité avec laquelle des jeunes parviennent à accéder à un logement autonome. On peut y voir, sans doute, l'effet d'un dispositif social - à commencer par l'allocation logement des CAF - plutôt favorable. 
Autre son de cloche du côté de l'Union sociale pour l'habitat (USH), dont le conseil social a publié, lors du congrès de Strasbourg tenu du 28 au 30 septembre 2010, une étude intitulée "Eclairage sur le logement des jeunes". Ce document donne de l'accès au logement une vision nettement moins optimiste. Pour l'USH en effet, "dans les zones de marché tendu, la disparition du parc privé à bas loyer et du parc inconfortable dont les loyers sont loin d'être accessibles ne permet plus la décohabitation des ménages dans des conditions favorables à l'insertion sociale et professionnelle. Le parc social, dont l'une des fonctions premières est bien l'accueil de nouveaux ménages, ne peut plus répondre à la demande", d'autant plus que les jeunes ne sont généralement pas prioritaires dans l'accès au logement social.
L'étude ne fournit cependant pas de chiffres attestant ce recul de la décohabitation parents-enfants. En revanche, l'USH apporte des éléments intéressants sur la qualité du logement des jeunes. Ainsi, en logement ordinaire, 21% des ménages de moins de 30 ans (contre 9% de l'ensemble des ménages) occupent un logement trop petit, tandis que 9% (contre 7%) occupent un logement de qualité médiocre et que, d'autre part, les retards de paiement sont plus nombreux chez les jeunes (17% contre 11%).
L'étude pointe également plusieurs facteurs qui compliquent l'accès au logement des jeunes : l'augmentation de la décohabitation vers le célibat notamment chez les jeunes femmes (15% d'entre elles vivent seules contre 9% en 1984), le développement et l'allongement des études supérieures, la hausse de l'emploi précaire et du chômage des jeunes ou encore la mobilité induite par la recherche d'un emploi. Par ailleurs, la part des jeunes ménages a fortement diminué dans le parc social : de 29% en 1988, elle est retombée à 19% en 2006, revenant ainsi à son étiage du début des années 1970 (20% en 1973). C'est essentiellement le parc privé - "beaucoup plus cher" - qui pallie le recul du secteur social en la matière. Sa part dans le logement des jeunes est passée de 42% en 1988 à 53% en 2006. La pente sera difficile à remonter pour le parc social dans la mesure où les petits logements (studios et deux-pièces) ne représentent que 23,3% de l'offre, contre plus de 40% dans le parc privé.
Pour faire face aux difficultés d'accès au logement des jeunes, le conseil social de l'USH formule une vingtaine de propositions. Certaines sont de portée générale et correspondent aux revendications récurrentes de l'association : augmentation de la production de logements sociaux, réactualisation des aides à la personne, meilleure répartition de l'offre sur le territoire... D'autres sont en revanche plus spécifiques, : annualisation des aides au logement des étudiants, renforcement des dispositifs d'intermédiation locative, développement des conventions d'occupation temporaire (prévues par la loi Molle du 25 mars 2009) ou encore développement de la colocation dans le parc social.

 

Jean-Noël Escudié / PCA