Office français de la biodiversité : le Sénat propose de prioriser la pédagogie sans verbalisation
Bien que produit de la fusion d’établissements publics antérieurs, l’Office français de la biodiversité, à la confluence de multiples tensions avec le monde agricole, n’a pas encore trouvé près de cinq ans après sa création, son point d’équilibre dans le paysage administratif ni le positionnement fédérateur souhaité par les élus locaux. Pour y parvenir, la mission sénatoriale, dont le rapport a été présenté ce 25 septembre, recommande de réorienter ses missions au profit de la prévention et de l’appui aux territoires.
Près de cinq après, le Sénat a souhaité tirer un bilan de la loi de 2019 ayant créé l’Office français de la biodiversité (OFB), établissement public devenu central, mais contesté, en particulier dans ses missions au titre de la police de l’environnement par les principaux syndicats de la profession agricole, dans un contexte rendu encore plus sensible par la crise agricole, au point que certains bâtiments de l’opérateur ont été dégradés ou bloqués par du lisier. Dans son rapport, adopté ce 25 septembre par la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, la mission d’information menée par le sénateur Jean Bacci (LR/Var) préconise un ensemble d’évolutions et de mesures pour remédier à ce déficit de légitimité, "grâce à des liens plus étroits avec les élus locaux et les acteurs contrôlés ainsi qu’un rééquilibrage entre prévention et répression, pour une police de l’environnement mieux acceptée et plus apaisée".
"Créé en réponse à un contexte de changements rapides et de déclin de la biodiversité à un rythme sans précédent, l’OFB gagnerait à renforcer la dimension préventive de son action, à optimiser sa présence dans les territoires, à se mettre à l’écoute des élus locaux et à accompagner de façon plus régulière les acteurs, pour capitaliser les gains de proximité qui nourriront sa légitimité et l’acceptation de son rôle au titre de la police de l’environnement", appuie le rapport.
Les sénateurs du groupe socialiste n’y ont pas apporté leur caution, regrettant dans un communiqué "qu’une majorité des recommandations semble se borner à envoyer des gages à une partie du monde agricole et à remettre en cause le fonctionnement et le travail des agents de l’OFB sur le terrain". "A l'heure où on a l'impression que la République a abandonné la biodiversité, c'est un coup supplémentaire pour venir fragiliser toute l'approche de conservation", a également déploré auprès de l'AFP Cédric Marteau, responsable de l'association de protection de la nature LPO et administrateur de l’OFB.
Des moyens humains et budgétaires à mieux calibrer
Pour mener à bien ses missions, l’OFB, placé sous la double tutelle des ministres chargés de l'environnement et de l’agriculture, s’appuie sur plus de 3.000 agents, dont 2.000 sur le terrain et 1.700 inspecteurs de l’environnement, et comptabilise 270 implantations territoriales, qui lui confèrent sur le papier un maillage territorial dense pour mieux appréhender les enjeux locaux. "Avec un effectif moyen inférieur à 15 agents par département, l’OFB n’est toutefois pas en mesure d’accompagner de façon satisfaisante les acteurs et les élus locaux sur le terrain", pointe le rapport. L’opérateur fait face "à un réel enjeu de territorialisation de ses effectifs au sein des services départementaux", pour remplir la promesse d'un établissement à l'écoute des territoires et en mesure d'apporter des solutions adéquates aux problématiques locales, relève-t-il. La question est moins celle de la taille des services que celle de la répartition territoriale et du pyramidage des services départementaux. Le rapport recommande donc notamment de réaliser un audit afin d'optimiser l’organisation des services à tous les échelons et déterminer de nouvelles modalités de financement pour garantir la stabilité des ressources budgétaires et limiter la contribution des agences de l’eau.
Car ces dernières y participent à hauteur de plus de 400 millions d’euros, une ponction sur les redevances de l’eau critiquée par de nombreux élus de bassin. Malgré un budget primitif 2024 de l'OFB qui s'établit à 659 millions d’euros en autorisations d'engagement, des besoins nouveaux en financement pour la mise en oeuvre de la Stratégie nationale biodiversité 2030 - évalués à plus de 465 millions d’euros d'ici à 2027 - se font également jour. C'est pourquoi le rapport encourage la réflexion pour élargir les sources de financement de l’OFB. Une redevance assise sur les pressions et les atteintes à la biodiversité, dont une fraction du produit pourrait être affectée à l'OFB, constitue une première piste. Une autre source de diversification du budget de l'OFB pourrait consister en l'affectation d'une partie des recettes tirées des mesures de compensation des atteintes à la biodiversité. La mission sénatoriale plaide en outre pour une meilleure évaluation par l'OFB de l'efficacité des subventions versées.
Approfondir l’accompagnement des élus locaux
L’OFB, complémentaire du maire, détenteur du pouvoir de police administrative générale sur l'ensemble du territoire communal, doit "s'efforcer de tirer le meilleur parti de (son) maillage territorial" plébiscité par les élus locaux, dans une logique apparentée à celle d'un "guichet unique de la biodiversité", martèle le rapport. Il pourrait être opportun, comme l'a recommandé la Cour des comptes, de créer un indicateur de performance dans le prochain contrat d'objectifs et de performance de l'établissement pour évaluer et mesurer le taux de satisfaction globale des élus locaux bénéficiaires des actions de l’OFB.
Le rapport recommande également que l’opérateur anime des espaces d'échange institutionnalisés et des rencontres régulières avec les élus locaux. Et prône une meilleure représentation du monde rural au sein du conseil d'administration de l'établissement public pour renforcer la prise en considération des enjeux territoriaux et l'indispensable lien de confiance avec les élus locaux. La mission d'information déplore également que les maires ne puissent pas être mieux informés des contrôles se déroulant sur leur commune et des suites qui leur sont données : "un canal d'information anonymisée" serait, selon elle, susceptible d'améliorer la prise en compte par les élus locaux des priorités environnementales mises en oeuvre par l'établissement public.
La mission estime aussi au passage impératif que le lien entre l’OFB et le monde de la chasse "cesse de se distendre" (le nombre total d’infractions relevées au titre de la police de la chasse a baissé de 87% entre 2019 et 2022) "Le temps consacré aux interventions territoriales en matière de chasse ne doit pas descendre en deçà d’un seuil de 15% du temps passé sur le terrain, faute de quoi l’expertise cynégétique de l’établissement ne serait plus assurée", note le rapport.
Dépénaliser certaines infractions environnementales
Si elles ont culminé lors de la crise agricole du début 2024, les manifestations d'hostilité à l'égard des normes environnementales sont courantes, et les inspecteurs de l’environnement sont régulièrement la cible d’exactions sur le terrain. Pour apaiser les relations et rompre avec l'image répressive attachée à l’établissement, le rapport appelle à "mettre davantage l’accent sur la pédagogie et l’accompagnement". On retrouve sur ce chapitre l’écho des annonces faites par l’ancien Premier ministre Gabriel Attal pour apaiser les agriculteurs. La question névralgique du désarmement des agents, véritable totem pour les syndicats agricoles, n'est pas reprise par la mission sénatoriale, qui estime toutefois opportun de définir une doctrine du port de l'arme "moins ostensible" lors des contrôles de routine, et propose de "proportionner la visibilité du port de l'arme à la conflictualité potentielle des situations de contrôle". L’accent est aussi mis sur la formation et le cadre déontologique via l’adoption d’une charte, et pour superviser ces contrôles, la création d’une inspection générale de l’OFB.
Un partenariat pourrait par ailleurs être noué entre l'OFB et les chambres d'agriculture "afin de favoriser les démarches de contrôles pédagogiques sans verbalisation, sous forme de 'contrôle à blanc'". Autre recommandation : instaurer un "droit à l'erreur" pour les acteurs de bonne foi et mieux prendre en compte le caractère non intentionnel des infractions environnementales. Un pas avait déjà été fait en ce sens par les députés en mai dernier lors de l'examen du projet de loi d'orientation agricole interrompu par la dissolution. Un amendement gouvernemental avait aussi révisé l'échelle des peines en cas d'atteinte à l'environnement en réservant "la qualification de délit" aux atteintes "de manière intentionnelle". Une piste également reprise par la mission sénatoriale qui suggère "une réflexion visant à dépénaliser certaines infractions environnementales afin de favoriser un meilleur équilibre entre police judiciaire et police administrative, moins inquisitoriale et traumatisante" et invite à "une meilleure gradation des sanctions administratives aux atteintes à l’environnement, en fonction de leur gravité". Et plus globalement propose de développer "les mesures alternatives aux poursuites et les stages de sensibilisation aux enjeux de la préservation de l'environnement pour les infractions environnementales les moins graves".