Nuisances aéroportuaires : l'Acnusa en vol libre
Le 7 janvier, l'Autorité de contrôle des nuisances aéroportuaires (Acnusa) a fêté ses vingt ans lors d'un colloque à l'Assemblée nationale. À l'heure où le développement de l'aérien suscite de fortes tensions, la plus petite des autorités administratives indépendantes a rappelé son ambition : "donner la confiance nécessaire sur la volonté de l’État de bien concilier développement économique et social avec environnement et santé".
Pour un anniversaire, l'ambiance n'était pas si consensuelle... et c'est tant mieux ! L'Autorité de contrôle des nuisances aéroportuaires (Acnusa) a fêté le 7 janvier ses vingt ans lors d'un colloque à l'Assemblée nationale réunissant un parterre d'une centaine de personnalités du secteur, élus, associations et parties prenantes. Intervenue en clôture de l'événement, la ministre de la Transition écologique, Élisabeth Borne, a salué la qualité des travaux, des recommandations (même si elles ne sont pas toujours suivies d'effets) et l'impartialité de la structure. Ajoutons son originalité car la plus petite des autorités administratives indépendantes, par ses budgets et effectifs (une dizaine de personnes), n'a guère d'équivalent européen.
La tension contradictoire entre la croissance du trafic aérien (206 millions de passagers en France en 2018) et la demande environnementale figurait déjà dans son acte de naissance. Mais son action, discrète, technique, en croissance, se retrouve de plus exposée avec la montée de l'enjeu climatique qui s'invite sur le tarmac. "Aujourd'hui c'est l'opportunité même de développer l'aérien qui interroge et ressort des dernières concertations organisées à Nantes et Roissy par la Commission nationale du débat public (CNDP). Une impasse, un sujet sur lesquels le niveau politique n'offre pour l'heure aucune réponse", éclaire Chantal Jouanno, présidente de la CNDP.
Un spectre progressivement élargi
Pierre Graff, qui dirigea un temps Aéroports de Paris et l'aviation civile, compare la création de l'Acnusa à un coup de poker. Elle se fit au détour d'idées glissées dans des rapports (mission Douffiagues en 1995, concertation par le préfet Carrère sur l'extension de l'aéroport de Paris-CDG) puis d'un forcing pour l'imposer et la doter d'un peu de moyens - cinq millions de francs par an à l'époque, depuis guère beaucoup plus en euros. "Elle a le mérite d'objectiver les mesures du bruit, des trajectoires et d'informer les riverains, alors que le moindre sonomètre posé sur un toit fâchait auparavant les élus locaux", raconte-il. De la maîtrise des nuisances sonores, première compétence dont elle s'est saisie "alors que personne à l'époque dans l'administration ne s'en chargeait", poursuit-il, son action s'est élargie il y a dix ans à la qualité de l'air.
L'Acnusa multiplie ainsi les conventions, par exemple avec Atmo France, et suit les progrès dans l'enceinte même des aéroports (voir son dernier rapport annuel). Des stations de suivi de la qualité de l'air équipent les six plus grands d'entre eux. "Y réduire les nuisances tout en continuant de développer l'activité est devenu une priorité", confirme Thomas Juin, président de l'Union des aéroports français. Les marges de progrès restent énormes. Prenons les avions au sol. Il est possible d'alimenter autrement qu'au diesel les systèmes auxiliaires APU qui fournissent ensuite l’avion en électricité et climatisation (quand ses moteurs sont éteints). Des aéroports le font mais pas tous.
Quelques pistes à suivre
Pour viser la neutralité carbone, la compensation des émissions n'est pas la panacée. "Un aéroport est comme une petite ville : développons-y à fond le photovoltaïque", presse Nicolas Notebaert. À la tête de Vinci Airports, qui exploite une quarantaine d'aéroports dans le monde, il estime que les compagnies ont mûri sur des sujets tels que les incitations tarifaires (modulation des taxes et redevances) selon que les avions sont plus ou moins bruyants et leurs vols effectués en dehors de la période nocturne. De quoi inciter aussi à renouveler les flottes. "À chaque renouvellement, l'empreinte sonore chute grâce aux progrès des motoristes. Avec les pilotes, nous travaillons sur des solutions d’éco-pilotage développées par des start-up", complète Nathalie Stubler, PDG de Transavia France. La conception de trajectoires de navigation aérienne plus performantes est aussi dans le champ d'étude de l'Acnusa. Très attendue des riverains éloignés des aéroports mais subissant des nuisances, la généralisation d'ici 2023 de la descente dite douce (sans paliers, avec un moteur tournant au ralenti dès 3.000 mètres d'altitude), représente selon Patrick Gandil, directeur général de l’aviation civile, un défi très complexe sur le plan de la sécurité mais auquel la DGAC s'est attelée en commençant par l'expérimenter sur le territoire francilien.
Mieux insonoriser
Sur et autour des aéroports, l’Autorité de contrôle appelle à consolider le corpus réglementaire et la coopération territoriale entre les parties prenantes du secteur. "Le développement des activités aéroportuaires, lié au développement économique et social des métropoles, ne peut se faire au détriment de la 'riveraineté'", défend-elle. Dans son giron, l'évaluation régulière de la pertinence des plans de gêne sonore (PGS), à faire adapter ou de réviser. En révisant celui de Nantes-Atlantique, la population éligible à l’aide à l’insonorisation a triplé : "Des milliers d’habitants ont donc subi les effets du bruit sans bénéficier de l’aide légale pendant des années." Cette année il faudrait, selon elle, réviser les PGS de Paris-CDG et du Bourget. Une autre de ses recommandations : insonoriser, voire déplacer, "les écoles, collèges et lycées situés dans les périmètres des PGS". L’insonorisation est financée à 100% par la taxe sur les nuisances sonores aériennes (TNSA). "Il est donc possible de réaliser avant le 31 décembre 2020 les programmes opérationnels relatifs aux établissements restant à traiter", considère l'Acnusa.
L'enjeu sensible des vols de nuit
Pour mieux veiller sur l’urbanisation proche des aérodromes (servitudes, plans d’exposition au bruit, populations des quartiers exposés), elle se rapproche actuellement de la Fédération nationale des agences d’urbanisme (Fnau). "Il serait intéressant de mieux cerner d'un point de vue sociologique la paupérisation des quartiers survolés", suggère Chantal Beer-Demander, présidente d'une fédération d'associations de riverains. L'étendue des travaux paraît presque sans fin... Pour commencer, la publication d'une étude épidémiologique (programme Debats) sur les effets des nuisances sonores aériennes sur la santé est attendue cette année. Avec l'Ademe, le Conseil national du bruit (CNB) va aussi procéder de son côté à une réévaluation du coût social du bruit. Pour Jean-Pierre Blazy, maire de Gonesse et président de l'association d'élus Ville & Aéroport, "l'autre grand sujet reste l'encadrement, la réduction des vols de nuit". Des restrictions s'appliquent dans certains aéroports mais les progrès sont lents. L'Acnusa pousse à accélérer sur le sujet et à "donner des perspectives pour les aéroports, compagnies, collectivités et riverains". Pour conclure, la députée européenne Karima Delli explique que d'autres aéroports mettent en place chez nos voisins des couvre-feux. Elle annonce qu'un débat sera tenu sur le sujet au sein de la commission Transports qu'elle préside.