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Transports - Nouveaux TER trop larges : les régions ne paieront pas le "rabotage" des quais des gares

"Rocambolesque", "consternant" : la révélation par le Canard enchaîné de la nécessité d'engager des travaux dans les gares pour accueillir la nouvelle génération de trains régionaux, plus larges que les quais existants, a suscité une déferlante de critiques. Un mois avant le début de l'examen de la réforme ferroviaire au Parlement, l'affaire est en tout cas révélatrice des difficultés de gouvernance du système actuel. Face aux inquiétudes des régions qui craignaient une nouvelle mise à contribution, Réseau ferré de France a assuré qu'il prendrait en charge la totalité des travaux.

A première vue, l'information dévoilée par le Canard enchaîné dans son édition du 21 mai ressemble à un gag : les nouveaux trains régionaux qui commencent à entrer en service progressivement – 182 rames Regiolis d'Alstom et 159 Regio 2N de Bombardier déployés d'ici fin 2016 - sont plus larges que les précédents TER et vont nécessiter des travaux importants sur les quais des gares. "La mise en circulation sur le réseau de cette nouvelle génération de trains, plus larges pour répondre aux attentes du public, requiert la modernisation de 1.300 quais sur les 8.700 quais du réseau ferré français", ont confirmé la SNCF et Réseau ferré de France (RFF) dans un communiqué, accréditant l'information de l'hebdomadaire satirique.
La plupart des trains concernés ont été construits à une époque où il n'existait pas de norme et l'écartement entre deux quais ou entre le quai et la voie n'est pas le même dans les différentes gares de France. C'est pourtant, selon l'hebdomadaire satirique, la SNCF qui "a défini le cahier des charges avec, notamment, les dimensions des nouvelles rames". "Or, les savants ingénieurs de la SNCF ont omis de vérifier la réalité sur le terrain. Conséquence, selon l'Association des régions de France (ARF), que préside le socialiste Alain Rousset : 1.200 quais sont trop proches des voies pour laisser passer les trains", écrit le journal.

Un problème découvert... tardivement

La SNCF s'est ainsi vue contrainte de lancer une série de travaux en trois ans, entre fin 2013 et fin 2016, selon le calendrier de livraison des rames. A ce jour, 300 quais ont été traités et 600 le seront fin 2014. Les travaux vont s'étaler jusqu'en 2016. "Ça peut consister à raboter un quai de quelques centimètres (...), ça peut consister à déplacer une armoire électrique qui était un petit peu trop près du bord du quai", a expliqué le porte-parole de RFF, Christophe Piednoël, sur France-Info. Et d'user d'une métaphore pour mieux rendre compte de la situation : "C'est comme si vous achetiez une Ferrari que vous vouliez rentrer dans votre garage et vous vous rendez compte que votre garage n'a pas exactement la taille pour accueillir une Ferrari parce que vous n'aviez pas de Ferrari avant." "On a découvert le problème un peu tardivement", a reconnu le porte-parole. On fait notre mea culpa."
Selon la compagnie ferroviaire et le gestionnaire d'infrastructure, les travaux prévus entre 2014 et 2016 entrent dans une logique de modernisation et de mise aux normes internationales. Les deux entreprises ont assuré que les 50 millions d'euros nécessaires pour modifier les quais font partie des 4 milliards d'euros consacrés chaque année par RFF à la modernisation et au développement. Mais le Canard enchaîné affirme que RFF aurait débloqué d'urgence 80 millions et que, "la note (risquant) d'être beaucoup plus salée", le gestionnaire d'infrastructure s'est tourné vers les régions, ce que ne confirmait pas RFF. Pas question en tout cas pour Alain Rousset que les régions mettent la main au pot et servent de "pigeons". "Nous refusons de verser un seul centime sur cette réparation", a-t-il aussitôt réagi, estimant que c'est à RFF de payer la facture.

50 millions d'euros de travaux, selon RFF


Interviewé sur Europe 1 ce 21 mai, Jacques Rapoport, président de RFF, a d'abord cherché à rassurer le grand public. "Il n'y aura aucun impact, et je m'en porte totalement garant, aucun impact sur le prix du billet", a-t-il affirmé. "Ça n'aura aucun impact ni sur les voyageurs, ni sur les prix du billet, ni sur les contribuables", a-t-il insisté. "Cette modification d'un septième des quais va coûter 50 millions. (...) Pas un euro de plus, pas un euro de moins non plus. C'est donc bien 1% (du coût annuel) du matériel roulant (...) qui sont affectés à ces travaux", a-t-il relevé. RFF dépense chaque année 8 milliards d'euros "pour assurer le bon fonctionnement du réseau", dont 4 milliards pour la maintenance, la modernisation et le développement du réseau. Réfutant la qualification de "boulette", le patron de RFF a souligné que "quand on achète une voiture, on peut avoir des travaux d'adaptation à faire chez soi pour la faire entrer où on doit la faire entrer. C'est vrai pour les trains, c'est vrai pour les avions, c'est vrai pour les bateaux."
L'affaire a continué à susciter tout le long de la journée de ce 21 mai une avalanche de critiques. Le président PS de la région Rhône-Alpes, Jean-Jack Queyranne, en a profité pour réclamer "plus de pouvoir aux régions dans le système ferroviaire". "Une nouvelle fois, nous constatons que le modèle de gouvernance entre SNCF et RFF connaît de graves dysfonctionnements, qui révèlent la dégradation et les incohérences du système ferroviaire français, en particulier depuis la séparation non aboutie entre RFF et SNCF", écrit-il dans un communiqué. Alors qu'elle a commandé récemment 40 rames de matériel ferroviaire pour un montant de 400 millions d'euros, la région, a-t-il rappelé, avait été alertée "des difficultés d'adaptation des quais en 2013 par RFF". "Celui-ci s'engageait alors à faire le nécessaire en termes de travaux pour accueillir le nouveau matériel dans les délais" et en Rhône-Alpes, "ces engagements sont tenus puisque les travaux sont en cours de finalisation (36 quais concernés, 2 millions d'euros)", a souligné la collectivité. "Le combat de la région Rhône-Alpes comme des autres régions est aujourd'hui de ne pas payer les travaux d'adaptation des quais au matériel, ni de manière directe ni via les redevances que paient déjà les régions pour la circulation de leurs TER", a-t-il averti. Et Jean-Jack Queyranne de justifier le bien-fondé de la création avec sept autres régions de l'association d'études sur le matériel roulant, dont il a pris la présidence en avril dernier, afin de proposer des alternatives au système d'achat actuel. "Aujourd'hui, les régions paient le matériel dont elles ont besoin mais ne maîtrisent pas les appels d'offres, ne fixent pas les normes techniques et n'en deviennent pas propriétaires, rappelle-t-il. Nous demandons que la réforme ferroviaire donne aux régions une réelle place dans la gouvernance des TER."
Plus tard dans la journée, Alain Rousset s'est félicité qu'il n'y ait pas de mise à contribution des régions. "Je viens de recevoir un message du président de RFF, Jacques Rapoport, qui me confirme que c'est RFF qui prend sur ses ressources propres, et non sur ses conventions avec les régions, le financement du rabotage des quais", a déclaré dans les couloirs de l'Assemblée le président de l'ARF et de la région Aquitaine, qui est aussi député. "Donc le problème pour les régions au niveau financier est réglé", a-t-il ajouté après avoir prévenu un peu plus tôt qu'"il n'est pas question que les régions paient". Dans cette lettre, dont l'AFP a obtenu copie, Jacques Rapoport confirme que "ces travaux seront, dans leur intégralité, réalisés et financés dans le cadre du programme d'investissements de RFF. De ce fait, ils n'auront aucun impact sur les péages d'infrastructure ou sur les redevances de qua". Alain Rousset a critiqué au passage un "France bashing": "Nos entreprises ne seraient pas capables de faire des trains ? Nos services publics capables de fonctionner ?" "Est-ce qu'il ne vaut pas mieux dire que les régions viennent de commander (pour) 2,5 milliards/3 milliards de trains neufs ? Tout ça, ça fait 4.500 emplois chez Bombardier et chez Alstom", a-t-il relevé.

Enquête interne à la demande du gouvernement

Au sommet de l'Etat, les réactions sont aussi allées bon train. "C'est consternant!" s'est exclamé, à la sortie du Conseil des ministres, la ministre de l'Ecologie, Ségolène Royal, demandant "comment des décisions aussi décalées, aussi éloignées du terrain peuvent être prises". "Il faudrait que les gens sortent de leur bureaux" et "viennent se rendre compte de la réalité du terrain avant de prendre des décisions qui en plus coûtent très cher", a insisté la ministre. Selon elle, il faut également que les dirigeants de la SNCF et de RFF "fassent toute la clarté sur les raisons pour lesquelles des décisions aussi stupides ont été prises". Elle a aussi prévenu que "les régions ne paieront pas ces erreurs invraisemblables qui prouvent simplement qu'il y a des gens dans les bureaux parisiens qui sont beaucoup trop éloignés des réalités du territoire". Elle a en outre "suggéré qu'à l'occasion des travaux qui seront faits sur les quais des gares, on rende ces gares totalement accessibles aux personnes handicapées".
Le porte-parole du gouvernement, Stéphane Le Foll, a jugé lui aussi "assez consternante" l'affaire des trains trop larges. Interrogé sur d'éventuelles sanctions, lors du compte-rendu du Conseil des ministres, il a répondu "aucun commentaire". "La volonté qui est la nôtre, c'est de mettre de la cohérence dans le dispositif actuel", a-t-il ajouté. "Cela justifie d'autant plus la réforme ferroviaire qui est en préparation pour coordonner les actions et les choix entre celui qui gère les infrastructures (Réseau ferré de France, RFF) et ceux qui font l'exploitation des trains (la SNCF), puisque s'il y a dysfonctionnement, il est là", a expliqué le ministre. "Il faut donc redonner de la cohérence. C'est en tout cas la position du gouvernement, elle est claire, elle est nette", a-t-il dit.
Frédéric Cuvillier, secrétaire d'Etat aux Transports, a quant à lui critiqué une situation "rocambolesque" et "comiquement dramatique". "L'enjeu de la réforme ferroviaire prend tout son sens quand on constate l'état du dysfonctionnement du ferroviaire en France", a-t-il souligné. Il a dénoncé la "confrontation, l'opposition", issue selon lui de la séparation, depuis 1997, entre la SNCF, qui gère le matériel, les gares et fait rouler les trains, et RFF, qui gère l'infrastructure ferroviaire et les quais. Le projet de réforme ferroviaire, qui doit être examiné le 16 juin par l'Assemblée nationale, prévoit de regrouper les deux entités en un grand groupe public. Il a également annoncé sur France Inter avoir "demandé à Jacques Rapoport (président de RFF) et Guillaume Pepy (président de la SNCF) par courrier qu'il y ait une enquête interne", pour pouvoir "identifier la façon dont les choses sont décidées". "Qu'il y ait des travaux de modernisation, d'adaptation des infrastructures, (...) on ne peut que s'en féliciter", a-t-il dit, tout en soulignant que ces décisions doivent être prises "en connaissance de cause", et non après une erreur de commande. Les présidents de la SNCF et de RFF se sont engagés à remettre ce rapport d'enquête au secrétaire d'Etat le 26 mai prochain. "Ce rapport précisera les conditions dans lesquelles une commande de nouveaux matériels a été passée en octobre 2009 avec Alstom et en février 2010 avec Bombardier", ont annoncé SNCF et RFF dans un communiqué. "Cette enquête devra déterminer à quel moment il est apparu que les quais devaient être adaptés pour permettre les circulations de ces nouveaux trains, comment les experts ont décelé cette nécessité, comment les décisions ont été prises et enfin comment les régions en ont été informées", ont ajouté les deux entreprises.

La commission du développement durable de l'Assemblée nationale va, elle, auditionner les présidents de la SNCF et de Réseau ferré de France (RFF), a annoncé son président Jean-Paul Chanteguet (PS). Cette audition commune, proposée par le député UMP Jean-Marie Sermier, interviendra "dans les plus brefs délais", a indiqué Jean-Paul Chanteguet lors d'une réunion publique de la commission.